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UNE RESPONSABILITE PENALE PERSONNELLE NON EXCLUSIVE ET CUMULEE

PARAGRAPHE 1. L’IMPUTATION PRESUMEE AU PRATICIEN MEDICAL D’UNE FAUTE PENALE PERSONNELLE

B. UNE RESPONSABILITE PENALE PERSONNELLE NON EXCLUSIVE ET CUMULEE

151. Dans le contexte d’une équipe médicale ou de soins, il n’est pas rare en pratique de relever qu’une action pénale est dirigée à l’encontre de plusieurs intervenants.

Il pourra s’agir d’un chirurgien, de l’anesthésiste, de l’infirmière du bloc opératoire et le cas échéant du Directeur de l’établissement à qui l’on reprochera de ne pas avoir mis les moyens nécessaires à la réalisation du geste litigieux.

328 Cass. crim., 26 nov. 2013, n°12-86.586 ; RDS, 2014, n°58, p. 1074 et s., obs. A. PONSEILLE.

329 E.VERNY, « La responsabilité pénale au sein de l’équipe médicale », RDSS 2008 hors-série, Le droit pénal de la santé, p. 63.

Dans l’hypothèse où chacun des intervenants aurait, par un comportement plus ou moins fautif, concouru à la réalisation du dommage, il appartiendra dès lors au juge pour un dommage unique, de qualifier les fautes personnelles et de sanctionner l’ensemble des acteurs selon leur participation dans la réalisation du préjudice final. Ainsi, bien que personnelle, la responsabilité pénale médicale est non-exclusive. La jurisprudence en la matière est sans équivoque jugeant par exemple que « l’existence d’une faute relevée à l’encontre du médecin anesthésiste n’exclut pas

nécessairement l’éventualité de celle du chirurgien ».

Les auteurs déduisent de cette jurisprudence que la faute d’un praticien ne peut servir de fait justificatif au comportement fautif d’un autre331.

152. S’agissant de l’interne en médecine, sa responsabilité pénale médicale demeure personnelle mais avec la particularité tenant à son statut prévu à l’article R. 6153-3 du Code de la santé publique qui dispose que « l’interne en médecine exerce des

fonctions de prévention, de diagnostic et de soins par délégation et sous la responsabilité du praticien dont il relève ».

Ce texte fait naître une obligation légale de surveillance de l’interne à la charge du chef de service dans le cadre d’une responsabilité pénale personnelle du chef de service332.

Les conséquences sur la responsabilité pénale du chef de service, débiteur de cette obligation légale de surveillance de l’interne, font l’objet d’appréciations différentes333.

En effet, la responsabilité pénale du médecin peut être retenue de manière exclusive ou la responsabilité seule de l’interne peut être recherchée.

La responsabilité pénale exclusive du médecin a été retenue par la Cour de cassation contre la décision de la cour d’appel dans une affaire où un interne en médecine participait avec son chef de service à une intervention chirurgicale.

Suite à l’intervention chirurgicale, le patient souffrait d’une hémorragie cervicale avec hématome compressif et décédait.

Alors que le tribunal correctionnel avait relaxé les deux prévenus du chef d’homicide involontaire, la cour d’appel avait quant à elle condamné les deux praticiens.

331 J. GUIGUE et M. VERON, « Responsabilité pénale médicale. Atteinte involontaire à la vie et à l’intégrité physique », Traité dr. méd et hosp, Litec, fasc.20, n°41.

332 Cass. crim., 10 février 2009, n°08-80679, Dr pén. 2009, n°60, obs. M. VERON.

333 V. M GUIGUE, « La responsabilité pénale au sein d’une équipe de soins », in « Les grandes décisions du droit médical », LGDJ, 2009, 2009.

Finalement la Cour de cassation ne retient que la responsabilité pénale du chef de service et écarte celle de l’interne car ce dernier exerçait ses fonctions en sa qualité d’interne par délégation et sous la responsabilité du praticien dont il relevait334. Mais le statut de l’interne ne constitue pas en tant que tel, une cause d’exonération de sa responsabilité pénale.

Ainsi, un interne est reconnu coupable d’homicide involontaire car après avoir reçu un détenu transféré en urgence, il ne contacte pas le chef de service alors que les résultats du patient étaient préoccupants335.

En revanche, est relaxé du chef d’homicide involontaire, un interne n’ayant pas décelé une tumeur rare et indétectable.

En l’espèce, l’interne n’a pas réalisé d’examens complets et n’a pas prévenu un médecin plus expérimenté mais sa responsabilité pénale n’est pas retenue, car aux dires de l’expertise, le lien de causalité entre la faute et le décès n’est pas certain puisqu’il n’est pas établi que la patiente aurait survécu si la tumeur avait été détectée336.

153. La jurisprudence contemporaine semble s’attacher au principe de la responsabilité personnelle et non-exclusive pour engager cumulativement toutes les responsabilités alors que précédemment seule la responsabilité pénale du médecin commettant était engagée à l’instar de la responsabilité pénale du chef d’entreprise.

La responsabilité personnelle n’exclut donc pas la responsabilité cumulée en cas de fautes pénales multiples de la part de plusieurs praticiens.

Quand les praticiens se succèdent dans une logique de continuum de soins, il existe une possibilité de cumuler plusieurs responsabilités pénales personnelles à propos d’une même infraction et d’un même malade.

Dans un arrêt du 10 mai 1984, la Cour de cassation a pris une décision validant la possibilité de cumul, en relevant que « l’existence d’une faute relevée à l’encontre du

médecin anesthésiste n’exclut pas nécessairement l’éventualité de celle du chirurgien à qui a été confiée l’intervention »337.

334 Cass. crim., 3 mai 2006, n°05-82591, Bull. crim., n°117. 335 Cass. crim., 1er avril 2003, n°02-81.872.

336 Cass. crim., 22 mai 2007, n°06-84.034 ; DDS, 2008, p.88 et s., obs. A. BRONKHORST. 337 Cass. crim., 10 mai 1984, Bull.crim., n°167, D., 1985, p. 256 et s., note J. PENNEAU.

Dans une affaire, sept des huit médecins qui s’étaient occupés d’un malade sur une période de quarante-huit heures ont été condamnés pour n’avoir pas ordonné une réanimation immédiate et les soins et analyses pourtant nécessaires338.

Une autre espèce illustre la volonté des juges de retenir le principe de la responsabilité pénale cumulée et concomitante en condamnant l’anesthésiste et le chirurgien suite au décès d’un enfant après une amygdalectomie339.

Une parturiente avec deux antécédents médicaux de césarienne avec hypertension artérielle connus des praticiens, décède des suites d’une hémorragie liée à une toxémie survenue en fin de césarienne.

L’obstétricien et l’anesthésiste sont tous deux condamnés par les juges du fond du chef d’homicide involontaire car ils n’ont pas procédé aux examens pré- anesthésiques, n’ont pas vérifié la disponibilité de sang en raison du risque hémorragique et n’ont pas transféré la victime dans un établissement de santé mieux équipé pour cette pathologie340.

Au sein de l’équipe de soins, la répartition des responsabilités pénales suit la même logique qu’au sein de l’équipe médicale.

Il est donc possible de cumuler ou de dissocier les responsabilités pénales personnelles du médecin et du personnel soignant non médecin à propos d’une même infraction et d’un même malade pour une faute commise par chacun d’eux.

Ainsi, un médecin gynécologue et une sage-femme sont renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef d’homicide involontaire à la suite du décès des suites hémorragiques d’une parturiente ayant accouché de jumeaux.

Les juges du fond ne retiennent que la responsabilité pénale du médecin, à qui il incombait selon eux, dans le cadre d’un accouchement gémellaire présentant de forts risques, de procéder lui-même à l’examen clinique et de donner à la sage-femme les directives nécessaires qui auraient permis l’arrêt fautif prématuré de la perfusion. Le tribunal correctionnel et la cour d’appel seront censurés par la Cour de cassation qui retient que :

« D’une part, au cours de la phase postopératoire, la sage-femme était libre

de prescrire ou d’interrompre sous sa propre responsabilité l’administration d’un produit qu’elle est autorisée à prescrire et, d’autre

338 CA Paris, 30 juin 1983, D. 1984, IR, p.462, obs. J.PENNNEAU. 339 Cass. crim., 13 févr. 2007, Bull. crim. n°44.

part, l’existence des fautes relevées à l’encontre du gynécologue pendant les opérations d’évacuation de la cavité utérine ne suffit pas à exclure l’éventualité de fautes commises par la sage-femme pendant ces opérations ou dans la surveillance des suites des couches »341.

La responsabilité pénale de la seule sage-femme, ayant en charge l’administration des soins postnatals, a été retenue, à l’exclusion de celle du médecin accoucheur, dans une affaire où la sage-femme a placé un nourrisson né prématurément sur une table d’opération à air chaud pulsé qui a provoqué la perte de ses orteils342.

Une infirmière et un médecin sont tous deux condamnés pour homicide involontaire pour avoir commis une faute caractérisée, l’infirmière en raison d’une lecture erronée de la prescription du médecin, ce dernier pour n’avoir pas rédigé avec suffisamment de clarté ladite prescription343.

Lorsque, en revanche, les magistrats considèrent que la faute à l’origine du dommage a été exclusivement commise par le professionnel de santé non médecin, le médecin ne voit pas sa responsabilité pénale engagée.

Les juges n’hésitent pas à sanctionner les négligences en cascade dans une prise en charge globale, d’un médecin psychiatre ayant diagnostiqué par erreur un syndrome anxiodépressif réitéré par le service de médecine générale, ayant abouti au décès du patient qui souffrait en fait d’une insuffisance cardiaque.

En l’espèce, le diagnostic semblait extravagant eu égard à la personnalité de la victime, des réserves exprimées par la famille et des symptômes apparents de sa pathologie réelle344.

Ces quelques affaires illustrent ainsi que les magistrats identifient et imputent au sein de l’équipe médicale des fautes distinctes et personnelles pour engager cumulativement et non exclusivement les responsabilités pénales des praticiens considérés comme fautifs.

Si la responsabilité pénale personnelle bien que non exclusive et cumulée reste le principe, une spécialité médicale semble toutefois engager la responsabilité du praticien médical en raison d’un acte non strictement individuel.

341 Cass. crim., 21 oct. 1998, Bull.crim., n°270.

342 Cass. crim., 16 janv. 2007, Dr pén., comm. n°49, obs. M.VERON. 343 Cass. crim., 1er avr. 2008, n°07-81.509.

II. LE TEMPERAMENT A LA RESPONSABILITE PENALE PERSONNELLE ET LA RECONNAISSANCE D’UN DEVOIR GENERAL DE SURVEILLANCE

154. La responsabilité pénale personnelle du praticien médical connaît une application particulière qui crée une présomption de faute sur certains praticiens.

La jurisprudence a retenu successivement trois scenarii de répartition des responsabilités pénales au sein de l’équipe médicale en opérant une distinction selon les spécialités.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a tenté d’établir une hiérarchie au sein de l’équipe médicale considérant que le chirurgien, en tant que chef d’équipe, s’inspirant de la logique en matière de responsabilité du dirigeant d’entreprise, était responsable des fautes commises par les membres de son équipe en raison d’un défaut de surveillance.

Mais cette approche a été abandonnée car elle contredisait le principe d’indépendance qui préside à l’exercice de l’art médical et qui est consacré à l’article R. 4127-8 du Code de santé publique qui prévoit que « dans les limites fixées par la

loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance ».

Ce principe d’indépendance est par ailleurs précisé dans le cadre d’un exercice collectif de la médecine selon les termes ci-après à l’article R. 4127-4 « lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ou au traitement d’un malade

(…) chacun des praticiens assume ses responsabilités personnelles (…) ».

Dans un second temps, la jurisprudence a fait évoluer son analyse pour tenir compte des spécialités en privilégiant une répartition distributive des responsabilités, cumulables ou pas.

Par conséquent, les juges ont distingué les domaines de compétence des chirurgiens et des anesthésistes et ont segmenté les différents actes dans le temps en distinguant les phases préopératoires, opératoires et postopératoires.

De ce fait, les juges du fonds répartissaient ainsi l’obligation de surveillance dans le temps en imputant la surveillance postopératoire au seul médecin anesthésiste.

Dans un troisième temps, l’approche chronologique précédente a été censurée par la Cour de cassation étendant la responsabilité du chirurgien aux actes non strictement

relevant de sa spécialité qui « n’en demeure pas moins tenu, d’une obligation

générale de prudence et de diligence (…) »345.

Cette jurisprudence a été confirmée dans une espèce où une parturiente hospitalisée deux mois avant terme, décède le lendemain de son accouchement de deux jumeaux. Alors que le tribunal correctionnel relaxe le médecin accoucheur, la Cour de cassation confirme la décision de condamnation de la cour d’appel dont elle reprend les termes au motif :

« Qu’il lui appartenait de mettre en œuvre une surveillance postopératoire

d’autant plus vigilante que la parturiente, hospitalisée depuis plusieurs mois, était soumise à un traitement anticoagulant » alors « qu’il s’est borné à faire une visite le lendemain de l’intervention sans exiger que l’anesthésiste et le personnel soignant le tiennent informé de l’évolution de l’état de santé de sa patiente demeuré sous leur surveillance ».

Cette décision frappe par sa sévérité à l’égard du praticien chirurgien qui semble ainsi investi d’un devoir plus large que les actes de sa spécialité lui imposant un devoir général de surveillance, à l’identique du dirigeant, mais plus sévère à son endroit puisque ne pouvant s’exonérer et qui fragilise le principe d’une responsabilité pénale personnelle.

De cette façon, l’imputation au praticien médical d’une faute pénale, en principe personnelle mais non-exclusive permettant un cumul de responsabilités pénales, semble connaître un tempérament lorsqu’il s’agit du chirurgien sur qui pèse un devoir général de surveillance qui n’implique pas une faute personnelle stricto sensu. La qualification légale de la faute pénale non-intentionnelle du praticien médical est d’autant plus compromise qu’il ne pourra pas en réalité, s’exonérer du fait de cette imputabilité subjectivement présumée.

PARAGRAPHE 2. L’IMPOSSIBLE EXONERATION DU PRATICIEN MEDICAL