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LA CONSECRATION DU RISQUE CAUSE A AUTRUI

PARAGRAPHE 2. UN MOUVEMENT DE PENALISATION CARACTERISE PAR UN RETRECISSEMENT DE L’ELEMENT MATERIEL DE LA FAUTE

A. L’ADMISSION DE L’ATTEINTE EN TANT QUE RISQUE

1. LA CONSECRATION DU RISQUE CAUSE A AUTRUI

178. La notion de risque a profondément muté au cours du siècle dernier, au point que celui-ci n’est plus considéré comme exogène aux activités humaines et dû à la fatalité mais est désormais perçu comme intrinsèque à celles-ci et généré par elles.

Le domaine médical n’a pas échappé à ce phénomène et notamment sous l’effet des progrès techniques et médicaux, au point que la tolérance au risque s’est ostensiblement atténuée et que la responsabilité du praticien médical apparaisse comme « le revers inéluctable de l’efficacité »417.

La notion de risque a d’abord été utilisée en droit civil418 et des assurances et entendue comme « un événement dommageable dont la survenance est incertaine,

quant à sa réalisation ou à la date de cette réalisation ; se dit aussi bien de l’éventualité d’un tel événement en général, que de l’événement spécifié dont la survenance est envisagée »419.

En d’autres termes, le risque renvoie à tout événement dont la réalisation est possible mais non certaine.

Le risque est repris à la fois dans l’alinéa 2 de l’article 121-3 du Code pénal comme une disposition de droit pénal général, à travers la notion de mise en danger délibérée, et, à l’article 223-1, à travers l’exposition directe d’autrui à un péril comme une disposition de droit pénal spécial à titre de délit spécifique et autonome. Le délit de risque causé à autrui introduit à l’article 223-1 du Code pénal de 1994 consacre par une approche subjective, la notion de risque en droit pénal qui devient élément constitutif de l’infraction.

Le risque se trouve donc au centre de la matérialisation de l’infraction, naissant du comportement délictueux de l’auteur et n’est plus posé comme condition préalable.

179. Le délit de risque causé à autrui est défini par l'article 223-1 du Code pénal, comme : « Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de

blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente

417 P. MISTRETTA, Droit pénal médical, Editions Cujas, 2013, p.30.

418 Le risque au sens où l’entendaient SALEILLES et JOSERAND est le fondement d’une responsabilité objective jouant de plein droit en conséquence du profit retiré de l’usage d’une chose, de la puissance économique…alors que le droit pénal postule une responsabilité subjective ancrée sur la culpabilité.

par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ».

Par ce délit, introduit dans le chapitre III du nouveau code pénal intitulé « De la mise en danger », la loi remplit un objectif social de prévention en remplissant une fonction pédagogique et de responsabilisation et franchit une étape importante en permettant que la notion de risque puisse servir de catalyseur aux poursuites pénales.

La prévention pénale qui n'est plus subordonnée à l'intervention du dommage, agit sur les causes et non sur les effets, et la répression blâme alors les comportements dangereux.

Lorsque la violation délibérée de l’obligation de prudence ou de sécurité expose le patient à un risque de complications réversibles, et non à un risque de mort ou d’infirmité permanente, le délit de mise en danger d’autrui n’est pas caractérisé420. Le texte d’incrimination suppose deux conditions cumulatives que sont d’une part, l’exposition directe d’autrui à un risque de mort ou de blessures de nature à provoquer une mutilation ou une infirmité permanente et, d’autre part, la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement421.

S’agissant du risque, le risque exigé doit être d’une telle gravité qu’il ait été de nature à provoquer la mort d’autrui ou des blessures mutilantes ou une infirmité ayant un caractère d’atteinte irréversible.

L’examen du caractère direct et immédiat du risque suppose que soit établi un lien de causalité direct entre le comportement dangereux et la potentialité du dommage. En ce qui concerne, la nature de l’obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement prévu dans le délit de risque causé à autrui, le texte fait référence au caractère particulier de l’obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement.

En matière médicale, la Cour de cassation a considéré que les obligations déontologiques prévues aux articles R. 4127-32 et R. 4127-33 du Code de la santé publique, selon lesquelles le médecin doit, d’une part, assurer des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, et,

420 Cass. crim., 6 oct. 2009, n° 09-81.037.

421 V. infra, n°226. La violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.

d’autre part, élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, édictent des règles générales de conduite et non des obligations particulières de prudence ou de sécurité422.

Cette conception restrictive de l’obligation particulière a normalement pour conséquence de limiter la pénalisation des praticiens médicaux.

Mais dans le même temps, s’agissant de la nature de l’obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, étonnamment, les juges ne se sont pas contentés de l’acception constitutionnelle de l’expression « loi et règlement » et en ont retenu un sens large.

Aussi les normes d’utilisation d’un appareil ou d’un produit semblent en faire partie, de même que les obligations de prudence et les protocoles médicaux.

Ainsi l'arrêt confirmatif retient que :

« L’auteur a pris l'initiative, relevant de sa compétence, d'ouvrir au

maximum, et en urgence, la vanne d'échappement du sas, provoquant ainsi une décompression accélérées du caisson, en méconnaissance des normes imposées par le protocole en la matière » ; que les juges ajoutent que « le prévenu n'a pas respecté son obligation de surveillance alors qu'un suivi en temps réel de la séance d'oxygénothérapie et une présence constante auprès des patients, qui était d'autant plus nécessaire que l'un d'eux présentait un état jugé comme sévère, auraient dû le conduire à arrêter la décompression voire à l'inverser, ce qui aurait limité les conséquences de l'accident »423.

S’il est vrai que certains domaines d’activités sont très règlementés et donnent lieu à des obligations de sécurité parfaitement décrites par le législateur424, le droit médical ne se prête guère à ce type de réglementation.

En effet les protocoles évoluent et s’améliorent constamment, les obligations précises ne peuvent relever que des médecins eux-mêmes, en dehors de celles concernant l’utilisation de produits ou d’appareils produits par les industriels de santé.

C’est la raison pour laquelle sans doute, les juges ont admis une acception plus large de l’expression « loi et règlement » et les ont étendues aux normes et règles privées en usage dans le corps médical.

422 Cass. crim., 18 mars 2008, n° 07-83.067, Bull. crim., 2008, n°67. 423 Cass. crim., 16 janvier 2007, n° 06-83179.

Si cette méthode est utilisée dans d’autres domaines, chaque fois que le législateur s’en remet aux professionnels pour établir leurs procédés et les règles de l’art, elle n’est pas à l’abri de critiques en matière pénale.

180. La première critique est d’ordre général et tient au fait que procédant ainsi par renvoi, à des textes qui ne sont ni issus du travail législatif ni conformes à la qualité exigée d’un texte de loi, cette méthode n’apporte pas la sécurité juridique tout particulièrement attendue en matière pénale.

La seconde critique tient au fait que cette position jurisprudentielle crée une différence de traitement entre les infractions relevant de la mise en danger et les infractions de résultat, telles les blessures ou l’homicide involontaire puisque dans ces derniers cas les termes « loi et règlement » de l’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal afférant à la faute délibérée de la causalité indirecte sont strictement entendus par les juges au sens constitutionnel.

Cette approche, sans doute guidée par un souci d’efficacité répressive425, peut sembler exprimer une certaine sévérité des juges à l’égard des auteurs d’infraction de mise en danger.

Il est cependant possible d’en relativiser l’apparente sévérité en matière médicale car au fond, laisser aux professionnels la détermination de leurs propres obligations ne semble pas à leur désavantage et ce d’autant, que les magistrats distinguent les protocoles et pratiques devant être respectées, des pratiques simplement recommandées, mais non obligatoires.

C’est ainsi que « la pratique d'une médecine pluridisciplinaire « concertée » au

chevet du patient n'était en 1998 qu'une pratique recommandée mais aucunement obligatoire au sein des services hospitaliers chirurgicaux spécialisés »426.

Concernant la possibilité de cumuler les infractions d’homicide ou de blessures involontaires avec le délit de mise en danger d’autrui tel que prévu à l’article 223-1 du Code pénal, le cumul d’infraction est théoriquement possible puisque les délits protègent des valeurs sociales différentes.

Dans les premiers cas, l’intégrité physique est protégée alors que dans le second cas, la sécurité est en jeu.

425 V. infra, n°226, la faute délibérée est en réalité difficile à caractériser compte tenu de la définition stricte retenue des notions de « loi et règlement ».

Toutefois comme le législateur a érigé les éléments constitutifs de la mise en danger en circonstance aggravante de l’homicide ou des blessures involontaires, les deux infractions matérielles et formelles ne peuvent se cumuler à l’égard des mêmes personnes.

Dès lors un praticien médical ne saurait être poursuivi et condamné pour homicide ou blessures involontaires, et délit de risque causé à autrui, mais pourra par contre, voir sa sanction majorée si le risque causé à autrui est retenu comme circonstance aggravante.

Or fondamentalement cette incrimination soulève la question de la place du risque dans le domaine médical dont on sait qu’elle est inhérente à la pratique médicale et facteur de progrès médical : la prise de risque en matière médicale peut-elle et doit-elle être justifiée ?

La réponse pourrait être positive à la condition de l’admission d’un risque limité, conscient et nécessaire.

Parmi les infractions dites formelles qui se consomment indépendamment du dommage et susceptibles d’être imputées à un praticien médical, se rencontre en outre, le délit d’omission de porter secours.

Compte tenu de la proximité des deux infractions qui sanctionnent le risque et non le résultat, on peut s’interroger sur la redondance des deux incriminations que les juges n’hésitent pas à poursuivre sous les deux chefs de délit.

En effet bien que le dénominateur commun de ces deux infractions soit l’absence de dommage effectif mais la seule éventualité de celui-ci, les deux infractions ne se confondent pas car la teneur matérielle de la faute n’est pas la même : le délit de risque procédant d’un acte positif de commission, le délit d’omission de porter secours procédant d’une abstention qui met en péril.