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LE PARADOXE LIE AU PARTICULARISME DE L’ACTIVITE MEDICALE

PARAGRAPHE 2. LE PARADOXE DE LA CULPABILITE NON-INTENTIONNELLE EN DROIT PENAL

B. LE PARADOXE LIE AU PARTICULARISME DE L’ACTIVITE MEDICALE

77. L’acte médical loin d’être hostile aux valeurs socialement protégées, poursuit un objectif de soin.

Le praticien médical est animé par l’intention du résultat espéré et se voit poursuivi alors qu’il n’a pas eu l’intention du résultat redouté.

Aussi culpabilité non-intentionnelle et culpabilité médicale semblent antithétiques.

78. En outre, la nature incertaine de l’acte médical et l’existence d’un pari aléatoire sur une amélioration effective de l’état de santé du patient auxquelles s’ajoute le postulat utopique de l’infaillibilité du praticien médical et le mythe de la guérison, conduisent à rendre cette culpabilité non-intentionnelle quasiment inéluctable au cours d’une vie professionnelle.

Jean PRADEL résume le postulat utopique de l’infaillibilité du praticien médical à travers ces mots « le médecin soigne et le médecin sait138 ».

De son pouvoir de guérison et de sa connaissance, le médecin tire son omnipotence et son omniscience.

Les attentes des malades assimilent les interventions fréquentes au risque zéro. Le recul de l’admission du risque se traduit à travers le critère aléatoire de l’initiative médicale qui est indemnisé en matière civile depuis la loi du 04 mars 2002139.

Les avancées thérapeutiques et les espoirs des patients sont source d’incompréhension et de vindicte en cas d’échec.

La culpabilité non-intentionnelle en matière médicale est fondée sur un injonction sociale particulièrement forte, comme en témoigne le droit de la responsabilité qui évolue vers un droit de la garantie.

138 Rapport conclusif, « Les orientations actuelles de la responsabilité pénale en matière médicale », sous la direction de M. DANTI JUAN, édition CUJAS, Travaux de l’institut de Sciences criminelles de Poitiers, p.282.

139 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, JORF du 5 mars 2002.

« La santé parfaite, où tout est réparé, serait un prétexte égoïste pour

magnifier la transcendance de l’homme.

Par la symbolique du corps, on présente les utopies, les mythes, les nouveaux dieux. On indemnise, non pas de manière profane, la mort ou l’accident, mais finalement parce qu’on a empêché l’homme d’être surnaturel »140.

Le progrès médical fait naître une sorte de « droit à la sécurité médicale » qui exclut toute acceptation du risque et la société moderne développe un principe nouveau d’admissibilité d’un droit à la guérison.

Selon cette logique se développe l’idée que le patient doit être garanti contre les risques de toute nature d’un acte médical susceptibles d’altérer sa santé même si ceux-ci ne trouvent pas leur origine dans un acte fautif.

Le régime de garantie trouve sa justification en raison du caractère dangereux de certaines activités et de la difficulté en ces domaines d’établir la faute simple d'imprudence ou d'inattention141 qui ralentit l’issue du procès et l’indemnisation de la victime.

En outre, la société est moins compatissante des fatalités et les progrès médicaux ont finalement repoussé les croyances dans les limites de la science.

Les progrès médicaux ont été tels qu’ils font oublier les mystères de la vie et du corps humain laissant croire aux hommes que l’activité médicale est omnipotente.

79. En outre, l’admission d’une culpabilité non-intentionnelle en matière médicale est fondée sur l’idée que le malade est dans un état de particulière vulnérabilité et qu’il doit être particulièrement protégé.

Les emplois terminologiques du texte de l’article 121-3 du Code pénal dans l’expression « qu’elles ne pouvaient ignorer » scellent l’impact répressif des présomptions de connaissance du risque.

140 G. DARÇY, « La responsabilité des établissements public hospitaliers », LPA, 22 septembre 1999, n°189, p.37. 141 Bien qu’à l’origine il s’agissait d’établir la faute d’imprudence que la victime avait pu commettre.

Poussée par la jurisprudence dite « DESMARES » rendue par la Cour de cassation (2ième civ. 21 juil.1982), la loi du 05 juillet 1985, dite « Badinter » a consacré le régime de protection au vu du constat du nombre important des victimes d'accidents de la circulation et des conditions insatisfaisantes de leur indemnisation.

Or il est pratiquement impossible de vaincre cet argument compte tenu de l’omniprésence du risque en matière médicale142.

80. Si la répression appliquée au droit médical est légitime en son principe dans les cas d’un comportement professionnel inadapté, elle nécessite néanmoins une réponse spécifique sans que la sauvegarde de l’intégrité des patients ne dévoie la responsabilité médicale.

Or s’agissant des infractions intentionnelles, cette assimilation se comprend, la qualité de l’auteur en tant que praticien médical, pourrait même constituer en ce cas une circonstance aggravante.

Par contre s’agissant des infractions non-intentionnelles, la pénalisation est plus discutable et demande a minima une approche différenciée.

La voie pénale devrait être réservée aux rares praticiens indignes.

Dans ces cas avérés, leur impéritie ou leur indifférence est telle qu’elle confine à l’intention de sorte que leur culpabilité est moins discutable.

La répression fondée sur la non-intention du praticien se justifie donc en son principe mais à la condition d’être fondée sur une logique d’incrimination différenciée et atténuée qui tiendrait compte de la finalité thérapeutique de l’acte médical, en ce qu’elle exprime une détermination et une psychologie différentes.

Or en matière médicale, en son fondement même, cette culpabilité non-intentionnelle repose sur une légitimité controversée compte tenu de la relativité spatiale et temporelle de la culpabilité non-intentionnelle dans la plupart des dispositifs délictueux européens.

Cette légitimité est d’autant plus discutable que, dérogatoire et difficilement justifiable, elle apparaît paradoxale au plan général à l’égard de la philosophie du droit pénal qui en principe sanctionne une culpabilité intentionnelle et, au plan particulier, antithétique des finalités de l’activité médicale dont elle méconnait le particularisme humanitaire.

Qui plus est, la responsabilité pénale du praticien médical fondée sur une culpabilité non-intentionnelle apparaît d’autant plus impossible à qualifier que sa légitimité est critiquable et qu’elle est légalement imprécise.

142 V. infra n°155 à 160, il est de fait impossible au praticien médical de s’exonérer par le jeu des causes légales d’exonération.

SECTION 2. L’IMPRECISION LEGALE DE LA CULPABILITE