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LA FRAGILE JUSTIFICATION DE LA CULPABILITE NON-INTENTIONNELLE

PARAGRAPHE 2. LE PARADOXE DE LA CULPABILITE NON-INTENTIONNELLE EN DROIT PENAL

B. LA FRAGILE JUSTIFICATION DE LA CULPABILITE NON-INTENTIONNELLE

72. Les infractions non-intentionnelles soulèvent une question de fond au plan politique et philosophique car on peut se demander pourquoi elles relèvent du droit pénal alors qu’elles ne procèdent pas d’une démarche intentionnelle.

Juridiquement, la criminalisation de la faute d’imprudence ou de négligence est possible puisque le Conseil constitutionnel ne pose comme condition, que l’existence de l’élément moral, intentionnel ou non sans exiger de définition de ce dernier. Mais cette légitimation juridique semble trop laconique pour être inattaquable.

Le sénateur Fauchon ayant pourtant lui-même présidé aux deux importantes lois de 1996 et 2000 relatives à la responsabilité pénale, exprimait ses doutes quant à la légitimité de la culpabilité non-intentionnelle et déclarait que « d’une manière

générale, l’existence d’une culpabilité non-intentionnelle heurte la notion même de délinquance telle qu’on la conçoit dans une société fondée sur le droit, la liberté et

n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.

la responsabilité personnelle » 125 faisant ainsi part de ses interrogations quant à la compatibilité de la répression des comportements non-intentionnels avec les principes du droit pénal.

73. Pour le professeur Y.MAYAUD, ce qui justifie la culpabilité non-intentionnelle réside en ce que certains comportements non-intentionnels peuvent traduire une indifférence coupable aux valeurs humaines et un mépris d’autrui126.

Si ces comportements méritent d’être traités en certaines circonstances par le droit pénal, ils devraient néanmoins être réservés à une défaillance suffisamment prononcée et selon des règles dans leur principe et leur application qui offrent une sécurité juridique.

Or, et cela est l’objet de cette étude, tel, n’est pas toujours le cas, et en particulier en matière médicale, où la responsabilité pénale déduite d’une culpabilité non-intentionnelle est souvent exorbitante du droit commun.

On entrevoit déjà à travers cette justification apportée à la culpabilité non-intentionnelle, les prémisses d’une première difficulté, puisque le raisonnement consiste à induire la culpabilité d’un comportement, négligeant, maladroit par exemple et non de l’élément moral de l’infraction qui est l’intention ou l’absence d’intention127.

En outre, la difficulté réside dans l’appréciation de la gravité de cette défaillance128 et dans l’appréhension de cette indifférence à autrui.

Peut-on assimiler l’imprudence à de l’indifférence?

L’imprudence ou la négligence en tant que manque de prudence ou de précaution ne se révèle souvent qu’à posteriori avec la survenance du fait dommageable et est fonction de l’appréciation d’un risque ou d’un danger.

Or cette faculté d’anticipation est éminemment subjective et varie en fonction de l’histoire et des capacités de chaque individu, des circonstances et du moment de sa vie.

Il semble présomptueux et assez utopique de vouloir percevoir toute la substance hostile et dangereuse du comportement humain non-intentionnel à travers des

125 P. FAUCHON, Rapp. Sénat, 1995-1996, n°32, p. 9.

126 Y. MAYAUD, Droit pénal général, 3e éd., PUF, 2010, n° 430.

127 V. infra, n°165, le comportement renvoie à l’élément matériel de l’infraction et non à l’élément moral et en outre cet élément moral semble insaisissable, partie 1, chapitre 1, section 2, §1.

comportements négligents ou imprudents tant le rapport de chaque individu à la peur et au danger est très complexe.

L’imprévu est intrinsèquement lié à l’action humaine et est aussi une condition de sa possibilité.

« Être l’auteur de ses actes ne signifie pas maîtriser la détermination de son

destin personnel : être homme, c'est être parmi les hommes, et, les affaires humaines sont marquées du sceau de la fragilité, du fait de l'imprévu logé au cœur de toute action comme sa condition de possibilité »129.

Aussi vouloir pénaliser le comportement imprudent ne revient-il pas à figer l’action humaine dans une forme d’immobilisme qui la rend impossible ?

Certes une approche casuelle de la psychologie de l’auteur et une approche

in concreto130 de la faute pénale sont prônées par le texte mais leur mise en œuvre ne

sont pas toujours satisfaisantes et ne permettent pas d’offrir toutes les garanties exigées pour un procès pénal131.

Cette faculté de prévision du risque ou du danger est aussi culturellement et historiquement dépendante.

En effet, les sociétés modernes ont évolué vers une prise en considération majeure de la notion de risque comme l’illustre l’apparition du principe de précaution132.

Pénaliser la faute d’imprudence revient à considérer qu’elle est criminelle en ce qu’elle renvoie à un « ensemble de comportements accomplis par des êtres humains

et qualifiés de délictueux par la société, en raison des atteintes qu’ils portent aux valeurs du groupe133 ».

La justification de la pénalisation de l’imprudence réside sans doute dans le fait que le cantonnement à l’exigence d’une intention coupable créerait une sphère grandissante d’impunité au profit des négligents ou des imprudents notamment dans

129 H. ARENDT, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, 1961.

130 L’article 121-3 du Code pénal dispose ainsi en son alinéa 3 qu’ « il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».

131 V. infra, la prédominance d’un droit prétorien, n°316 et suivants, l’insaisissabilité de la faute pénale non-intentionnelle n° 81.

132 Or l’interprétation du principe de précaution reste difficile et controversée. Au sens juridique du terme, le principe de précaution provient du droit de l’environnement et du droit de la santé, ayant été développé à la suite des affaires du sang contaminé ou de l’encéphalopathie spongiforme bovine.

des domaines très accidentogènes, porteurs intrinsèques de risques et de dommages massifs pour la société, tels la circulation routière ou les activités industrielles et médicales.

Mais cet argument est aussi discutable dans la mesure où il est toujours possible d’investir le terrain juridique de la responsabilité civile pour pointer le comportement inadapté et pour réparer les victimes.

Ainsi on le constate, ces justifications de la culpabilité non-intentionnelle sont fragiles.

74. En somme, la culpabilité non-intentionnelle illustre une évolution conceptuelle de la culpabilité pour faute vers une culpabilité pour cause d’erreur134, car elle sanctionne non pas une volonté infractionnelle de transgresser la norme pénale mais plutôt une erreur de jugement135 traduite dans une réponse comportementale inadaptée génératrice de risque.

Elle est ainsi l’expression d’un durcissement de principe de nos politiques répressives.

Si la répression des infractions non-intentionnelles peut être justifiée en ce qu’elles peuvent gravement porter atteintes à la vie ou à l’intégrité physique, leur pénalisation n’en demeure pas moins délicate car précisément les conséquences dommageables n’ont pas été souhaitées.

Paradoxalement, l’incrimination du délit de risque causé à autrui136, infraction non-intentionnelle, introduite par le législateur dans le chapitre III du nouveau code pénal intitulé « De la mise en danger » devient une forme de répression préventive alors que le droit pénal est en principe forgé sur la répression après la réalisation de l’acte délictueux.

Cette nouvelle infraction accentue encore la répression et permet de se servir de la notion de risque comme point d’appui à des poursuites pénales.

Certes, la culpabilité non-intentionnelle adossée à la notion de risque est justifiée dans certains domaines de la vie sociale et économique telles la circulation routière

134 V. infra, ce changement de paradigme de la culpabilité non-intentionnelle vers une culpabilité pour cause d’erreur, n°246 et 301.

135 Le nouveau petit ROBERT, définition de l’erreur comme étant le jugement qui découle « d’un acte de l’esprit qui tient pour vrai ce qui est faux et inversement », les Dictionnaires le Robert, 1993.

136 L’article 223-1 du Code pénal dispose que « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende ».

ou certaines activités industrielles qui sont particulièrement accidentogènes et à l’origine de nombreux comportements dangereux mais cette prise en considération du risque fragilise encore davantage les fondements et la légitimité de la culpabilité non-intentionnelle.

75. Ainsi cette introduction de la répression préventive à travers l’incrimination du risque apporte une nouvelle dérogation aux principes du droit pénal.

Par conséquent compte tenu des nombreuses exceptions qui accordent une place centrale à la culpabilité non-intentionnelle et des difficultés à la justifier sans ambivalence et sans contredire le principe acquis d’une culpabilité intentionnelle, celle-ci semble bien paradoxale.

Plus encore, alors que la culpabilité non-intentionnelle est censée être subsidiaire dans l’esprit général du droit, elle devient la forme de culpabilité principale en droit pénal médical.

II. LE PARADOXE SPECIFIQUE DE LA CULPABILITE NON-INTENTIONNELLE DANS LE CAS PARTICULIER DE LA RELATION MEDICALE

Il existe à deux titres un paradoxe spécifique de la culpabilité non-intentionnelle. Le premier paradoxe tient à la place des infractions non-intentionnelles par rapport aux infractions intentionnelles (A).

A. DES INFRACTIONS NON-INTENTIONNELLES PEU