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L’IMPOSSIBLE EXONERATION DU PRATICIEN MEDICAL PAR L’IMPUTATION PRESUMEE

Le praticien médical à qui on impute une faute pénale non-intentionnelle, ne pourra pas vaincre le lien présumé entre lui et l’infraction.

Il est en effet quasiment impossible pour ce professionnel de santé de pouvoir s’exonérer par le jeu des causes exonératoires légales (I) et par le jeu de la délégation de pouvoir (II).

I. L’IMPOSSIBLE EXONERATION DU PRATICIEN MEDICAL PAR LE JEU DES CAUSES LEGALES D’EXONERATION

155. Il est des situations où un fait reconnu comme délictueux ne sera toutefois pas imputé à son auteur à qui la loi reconnaît une cause exonératoire de responsabilité pénale. Parmi les causes légales d’exonération, les causes subjectives d’irresponsabilité pénale s’opèrent in personam de sorte qu’elles ne s’appliquent qu’à l’auteur 346 et peuvent s’entendre comme des causes de non imputabilité de l’infraction à celui qui l’a commise.

156. La première cause subjective d’irresponsabilité pénale est liée à la capacité de l’auteur à vouloir et à comprendre ses actes.

Cette cause subjective d’irresponsabilité pénale est une hypothèse d’école en matière d’actes médicaux car le discernement du praticien, sauf cas exceptionnel et rarissime de démence, n’est pas aboli au moment de l’acte médical.

Aussi ne sera-t-elle évoquée qu’à titre liminaire et sommairement mais nécessairement, compte tenu de la place centrale qu’elle occupe au sein des causes subjectives d’irresponsabilité pénale.

L’article 122-1 du Code pénal fait état de l’abolition du discernement dans son premier alinéa selon les termes suivants et dispose que « n’est pas pénalement

346 Cette saisine in personam implique que les autres protagonistes poursuivis comme coauteurs ne peuvent bénéficier de la cause d’exonération, impliquant ainsi que leur responsabilité civile puisse être maintenue.

responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».

L’abolition de ce discernement suppose sa suppression totale de sorte que la personne n’a ni la volonté ni la conscience de ses actes.

La personne atteinte d’un trouble psychique ou neuropsychique sera ainsi déclarée irresponsable pénalement si cet état a aboli son discernement au moment des faits infractionnels.

Appliquées au praticien médical, ces conditions de conscience et de volonté sont acquises puisqu’il est invraisemblable que le praticien médical ne dispose pas de son libre arbitre dans son exercice professionnel.

157. En outre, le Code pénal prévoit au titre des causes subjectives d’irresponsabilité pénale, la contrainte, l’erreur sur le droit et la minorité.

En matière d’infractions non-intentionnelles imputables à un praticien médical, la condition de minorité ne peut évidemment pas s’appliquer puisque l’auteur, professionnel de santé, est en tout état de cause majeur.

Les causes subjectives d’irresponsabilité pénale que sont la contrainte et l’erreur sur le droit sont elles aussi inadaptées aux infractions non-intentionnelles commises par un praticien.

L’article 122-3 du Code pénal dispose que « n’est pas pénalement responsable,

la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte ».

L’erreur sur le droit, comme celle « que pourrait songer à invoquer l’auteur d’une

infraction qui soutiendrait qu’il ignorait le caractère illicite de son activité ou s’est trompé sur la portée du texte d’incrimination ou croyait que son action se trouvait justifiée par un autre texte », 347 n’est qu’exceptionnellement admise par les juges car elle contredit fondamentalement la présomption selon laquelle nul n’est censé ignorer la loi.

Aussi, doit-elle obéir à des conditions strictes.

L’auteur doit démontrer que l’erreur était inévitable et invincible et qu’il croyait à la légitimité de l’acte accompli.

L’erreur sur le droit a été refusée dans le domaine de la pharmacie alors que l’erreur était liée à l’ouvrage de référence348.

En effet, l’erreur sur le droit ne peut être invoquée par un professionnel lorsque l’erreur a été commise dans l’exercice habituel de son activité professionnelle349. La contrainte qui affecte la volonté de la personne, peut être d’ordre moral ou physique.

La jurisprudence impose que la contrainte soit irrésistible id est ayant créé une impossibilité absolue pour le praticien de se conformer à la loi.

Toute faute antérieure du praticien exclut par ailleurs la contrainte, qui de ce fait, n’est quasiment jamais admise.

En outre, le caractère restrictif des conditions légales de la contrainte que sont l’irrésistibilité et l’imprévisibilité pour la contrainte physique, et la privation du libre arbitre, pour la contrainte morale, la rend quasiment irrecevable en pratique.

On trouve néanmoins quelques cas d’espèces emblématiques mais dont on ne peut déduire aucune position jurisprudentielle.

A cet égard, l’affaire HUMBERT fournit une illustration de ce que la contrainte a pu motiver l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction ayant considéré que commis sous l'emprise d'une contrainte, les auteurs étaient exonérés de toute responsabilité pénale350.

Il convient par ailleurs de préciser que dans le cadre de cette affaire, le médecin et la mère de la victime étaient toutefois mis en examen pour des infractions intentionnelles des chefs d’administration de substances nuisibles et d’empoisonnement, les plaçant hors champ de la présente étude portant sur les fautes non-intentionnelles351.

Il se déduit de ce qui précède que les quatre causes légales subjectives d’irresponsabilité pénale ne peuvent être invoquées par le praticien médical ayant commis une infraction non-intentionnelle, ni davantage la délégation de pouvoir qui semble lui être refusée.

348 Cass. crim., 4 oct. 2011, n°10-88157, Dr. pén. 2011, comm., n°146, obs. M.VERON. 349 Cass. crim., 9 avr. 2013 : Dr. pénal. 2013, comm. 106.

350 V. supra,n°89.

351 V. supra. Encore que cette distinction ne soit pas si évidente… car la frontière entre faute intentionnelle et non-intentionnelle devient très ténue en matière médicale. Ce point de vue sera explicité plus avant.

II. L’IMPOSSIBLE EXONERATION DU PRATICIEN MEDICAL PAR LE JEU DES DELEGATIONS DE POUVOIR

158. Le praticien chirurgien ou le chef de service352 semblent investis d’un devoir plus large que les actes de leur spécialité qui leur imposent un devoir général de surveillance.

Alors qu’à l’instar du dirigeant d’entreprise, le chef de l’équipe médicale et le chirurgien semblent responsables des fautes commises par les membres de leur équipe en raison d’un défaut de surveillance.

Le régime de leur responsabilité pénale leur est plus défavorable puisqu’ils ne peuvent espérer s’exonérer par une délégation de pouvoirs concédée à un membre de l’équipe ou à l’interne.

Ce devoir général de surveillance suit la même logique que celle retenue pour le dirigeant d’entreprise qui est censé disposer des compétences et des moyens justifiant par une certaine fiction sa responsabilité personnelle.

La pratique de la délégation de pouvoir semble inconciliable dans le contexte de la relation du chef d’équipe avec l’interne car ce dernier est en situation d’apprenant, qui, s’il était délégataire ne remplirait pas les conditions de recevabilité de la délégation imposées par la jurisprudence à défaut d’être pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires.

En ce qui concerne le chirurgien, si la délégation semble de facto impossible et inappropriée eu égard au colloque singulier qui unit le chirurgien à son patient dans une relation intuitu personae faite d’intimité et de confiance, la reconnaissance prétorienne d’un devoir général de surveillance qui lui incombe semble en revanche dans ses conséquences plus discutable.

En effet, ce devoir général de surveillance créé indirectement un risque de présomption d’imputation pour le chirurgien.

Outre le fait que les présomptions sont rarement admises et admissibles en droit pénal quand elles n’ont pas pour effet de faciliter la manifestation de la vérité, cette conséquence est préoccupante en ce qu’elle crée une présomption de responsabilité pénale.

Alors que la délégation de pouvoirs en matière d’infractions non-intentionnelles peut apparaître comme une stratégie ponctuelle d'anticipation du risque pénal pour le dirigeant d’entreprise, puisqu’elle entraine, sous conditions, transfert de sa responsabilité pénale, cette faculté ne semble pas offerte au praticien médical qui semble peu à même de se protéger.

P ar conséquent, toutes possibilités d’exonération semblent fermées au praticien médical au moyen des causes légales subjectives d’exonération ou par le jeu d’une délégation de pouvoir.

Il appert de ces développements, que l’on semble déduire de la qualité même du praticien médical, la possibilité de lui imputer une faute pénale médicale, malgré le principe d’une faute personnelle, non exclusive et cumulée, comme en témoigne la reconnaissance d’un devoir général de surveillance qui pèse sur le chirurgien créant ainsi une présomption de faute à son égard.

La constatation de cette imputabilité subjectivement présumée, est corroborée par le bilan selon lequel le praticien médical, ès-qualités, ne pourra pas s’exonérer grâce aux causes subjectives d’irresponsabilité pénale censées s’appliquer in personam. Paradoxalement donc, c’est en raison de sa condition et de sa fonction de praticien médical que lui est imputée une faute pénale médicale et qu’il ne peut, dans le même temps, et à ce titre, s’en exonérer.