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161. Le modèle légal actuel de l’article 121-3 du Code pénal ne permet pas de prendre en compte le particularisme de l’activité médicale.

Le praticien médical qui commet non-intentionnellement une faute pénale médicale est assimilé à une catégorie informe de délinquance endémique, à l’état de dangerosité du délinquant lambda et qui constitue la majorité des affaires appelées à la barre des tribunaux répressifs.

La responsabilité pénale du praticien en cas de faute pénale non-intentionnelle est donc régie par des dispositions de droit commun au nom d’un principe d’égalité contestable, alors que l’activité médicale revêt des particularismes évidents qui ne sont pas pris en compte par la loi.

On applique à la responsabilité pénale médicale non-intentionnelle un modèle commun issu d’une conception unitaire théorique de la responsabilité pénale d’appréhension des délits non-intentionnels influencée par une prégnance dévoyée du phénomène de victimisation sur la vocation punitive des sentences répressives et qui fige a priori toute approche dynamique de la résolution des délits médicaux.

La généralité du propos législatif de l’article 121-3 du Code pénal en matière d’infractions non-intentionnelles a certes le mérite de son adaptabilité et préserve facialement le principe d’égalité devant la loi, mais il méconnait les situations particulières.

Rappelons que le principe d’égalité figurant dans la devise républicaine est un principe constitutionnel ancré dans le corpus constitutionnel et prévu notamment à l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789354 faisant écho à une passion de la représentation française pour l’égalité355.

354 L’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dispose « la Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».

355 D’ailleurs selon CHATEAUBRIAND, « Les Français n'aiment point la liberté ; l'égalité seule est leur idole ». Mémoires d’outre-tombe.

Or ce principe admet des dérogations comme le démontre un attendu de principe du Conseil constitutionnel qui énonce que :

« Le principe d'égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon

différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit

»356.

Même si l’on peut supposer que le particularisme des affaires médicales est finalement pris en compte dans l’application de la loi par les juges, le risque est que ce particularisme ne soit appréhendé que par un travail interprétatif qui manque de prévisibilité et de légitimité par des magistrats potentiellement opportunistes qui ne sont pas investis du pouvoir de faire le droit.

S’agissant des praticiens médicaux, la finalité même de l’acte médical, les spécificités du contexte et des compétences permettraient pourtant de justifier des mesures de différenciation et une dérogation au principe d’égalité à travers une réponse pénale spécifique.

Cela ne veut pas dire que l’activité médicale fautive doit rester impunie mais cela signifie que la proposition légale pénale doit être adaptée et offrir des gages de sécurité et d’équité.

Investi d’un pouvoir de vie ou de mort, l’activité du praticien médical doit être particulièrement appréhendée mais dans des conditions qui permettent au médecin de recevoir un traitement juste et différencié par rapport à son activité et qui n’aboutissent pas à la reconnaissance d’une responsabilité exorbitante.

Or en l’état de la législation et du dispositif de l’article 121-3 du Code pénal, outre son caractère de généralité critiquable, il est impossible de qualifier légalement la faute pénale non-intentionnelle compte tenu de l’incertitude tenant au principe de la culpabilité non-intentionnelle et à la paradoxale imputabilité en matière médicale d’une faute pénale non-intentionnelle tout à la fois objectivement paradoxale et subjectivement présumée.

356 Pour un exemple : Décision « Mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole », n° 87-232 - DC du 7 janvier 1988.

162. En son fondement même, la culpabilité non-intentionnelle est discutable en tant qu’expression d’une volonté de pénalisation marquée des comportements maladroits ou négligents, qui trahit les tentations d’une société à vouloir tout contrôler.

La pénalisation de la faute non-intentionnelle exprime une forme de dévoiement de la vocation punitive et répressive du droit pénal et son glissement vers une finalité préventive par la reconnaissance d’une culpabilité qui repose sur la prévisibilité objective du résultat, réalisé ou non.

Appliquée à l’activité médicale, cette culpabilité non-intentionnelle devient même antinomique avec la finalité bienfaitrice de l’acte médical soignant.

Cette culpabilité non-intentionnelle est dans son ensemble construite sur un élément moral indéfini, véritable fiction juridique, qui est détourné au profit de la notion de faute qui se heurte elle-même à un vide législatif que de plus, les dispositions de la loi à travers la consécration de l’appréciation in concreto de la faute pénale graduée et la dualité des fautes civiles et pénales, ne réussissent pas à suppléer.

Plus regrettable encore, le vœu pieux du législateur, d’affirmer une responsabilité subjective pour faute prouvée alors que la reconnaissance de culpabilité non-intentionnelle découle parfois d’un élément moral présumé qui revient en fait à généraliser le caractère inconscient de l’imprévoyance et à brouiller la notion même de culpabilité.

Le bégaiement de la justice face à des sujets médicaux et éthiques, notamment dans les affaires d’euthanasie, conduit à des relaxes et des non-lieux, démontrant ainsi la difficulté de pouvoir démontrer en ce domaine la preuve de l’élément moral.

Le défaut de cette démonstration de l’élément moral conduit au paradoxe suivant que la faute intentionnelle étant plus difficile à démontrer que la faute non-intentionnelle, elle sera en définitive moins pénalisée que la faute pénale médicale non-intentionnelle qui marque pourtant un degré moindre de dangerosité et d’hostilité à la vie et à l’intégrité physique d’autrui.

163. En outre, l’imputabilité, second volet de la responsabilité pénale, suit en matière médicale une logique qui place le praticien médical face à des injonctions contradictoires et inconciliables.

Or l’acte médical est une activité violente par nature, à la fois essentielle et périlleuse, mais autorisée par la loi sur un objet sacralisé par le droit, qui devrait par

ses critères intrinsèques spécifiques commander une action répressive exceptionnelle au sens premier et second du terme.

On observe pourtant que les causes légales et prétoriennes d’exonération de droit commun de responsabilité pénale sont inadaptées à l’activité médicale ce qui réduit à néant toute chance d’exonération du praticien médical.

Alors que l’égalité commande une responsabilité pénale pour faute non-intentionnelle du praticien médical bâtie sur un texte de droit commun, elle en signe au nom de cette même égalité, la potentielle rupture de traitement et donc d’égalité.

Le modèle juridique théorique posé à l’article 121-3 du Code pénal est à la base imparfait.

On peut donc s’interroger sur sa transposition jurisprudentielle.

Une fois constatée l’impossible qualification légale de la faute pénale non-intentionnelle qui conduit à une responsabilité pénale insaisissable du praticien médical en cas de faute non-intentionnelle, il convient donc d’étudier la réponse judiciaire apportée à ce texte d’essence interprétative.

PARTIE 2. LA DIFFICILE APPREHENSION