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Le droit disciplinaire matériel

Chapitre 2 : La responsabilité des magistrats du siège siège

C. La responsabilité disciplinaire

1. La responsabilité disciplinaire des magistrats du siège

85. — La responsabilité disciplinaire est la forme de responsabilité des magistrats du siège présentant la portée pratique la plus importante. Elle peut être définie de manière générale comme étant la reconnaissance de la violation par un magistrat du siège d’une norme de comportement destinée à assurer le bon fonctionnement de l’appareil judiciaire.

122 Cf. Note de synthèse relative à l’objet parlementaire n° 08.447 (Garantie de la confidentialité des délibérations des commissions et modification des règles légales relatives à l’immunité), consultable à l’adresse [http://staenderat.ch/e/suche/pages/ legislaturrueckblick.aspx?rb_id=20080447] [consulté le 16.10.2014], et les réf.

123 Ces modifications, adoptées par l’Assemblée fédérale le 17.06.2011, sont entrées en vigueur le 05.12.2011 (RO 2011 p. 4627 ss).

124 Concernant le Conseil consultatif de juges européens (CCJE), cf. supra, n. 44.

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86. — La nécessité d’une régulation par l’Etat des comportements par le biais d’un droit disciplinaire est apparue en premier lieu dans le cadre judiciaire. Elle touchait non seulement les magistrats judiciaires, mais aussi l’ensemble des acteurs du monde judiciaire tels que les greffiers, les avocats et les avoués126, les huissiers, les commissaires-priseurs et les notaires127. Cela provient manifestement du fait que les acteurs du monde judiciaire font l’objet d’attentes particulières de la part du public. On considère en effet, traditionnellement, que ceux-ci – en particulier les magistrats judiciaires – doivent être « au-dessus de tout soupçon » et être « investis au plus haut degré de la confiance publique »128. 87. — Même si elle peut parfois conduire au prononcé d’une sanction pécuniaire129, la responsabilité disciplinaire ne vise pas à l’allocation d’une réparation, sous forme patrimoniale, à une personne qui serait lésée du fait d’un certain comportement du magistrat du siège. Elle se distingue en ce sens de la responsabilité civile.

88. — La distinction entre la responsabilité disciplinaire et la responsabilité pénale s’avère plus délicate. Généralement, on considère que la première découle d’une volonté de maintenir l’ordre intérieur et le bon fonctionnement du pouvoir judiciaire afin de préserver la confiance du public à l’égard de la justice, tandis que la seconde s’inscrit dans un cadre répressif et intéresse la société dans son entier. En réalité, comme nous le verrons, les deux domaines se recoupent partiellement quant à leurs buts et aux moyens mis en œuvre pour atteindre ces buts, de sorte qu’il est possible de considérer que le droit disciplinaire (des magistrats du siège) revêt certains aspects de droit pénal130. 89. — A toutes fins utiles, nous relevons à ce dernier titre que l’immunité pénale131 des magistrats du siège ne doit le cas échéant pas pouvoir être invoquée par ces derniers en matière de responsabilité disciplinaire. Les règles relatives à la responsabilité disciplinaire des magistrats du siège constituent en effet une lex specialis par rapport à d’éventuelles règles pénales relatives à leur immunité.

126 En France, un avoué était un juriste, officier ministériel, et un auxiliaire de justice chargé de la représentation des parties auprès des cours d’appel. La profession d’avoué a disparu depuis le 01.01.2012 (cf. loi du 25.01.2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appel [JORF/F n° 0021 du 26.01.2011, p. 1544 ss]).

127 Cf. MORIN (F ; anc.), I, passim.

128 RICOL (F ; anc.), p. 19.

129 Cf. infra, Chap. 5, en particulier N 507-515, 516-521, 535-544 et 545-555.

130 Cf. infra, Chap. 3, N 151-158 et 165-166.

31 90. — La responsabilité disciplinaire des magistrats du siège devrait faire l’objet, dans chaque ordre juridique donné, d’une réglementation propre. Des renvois ponctuels – soigneusement choisis – aux dispositions sur les fonctionnaires, notamment en matière de procédure, restent bien évidemment possibles. 91. — Toutefois, la responsabilité disciplinaire des magistrats du siège se confond parfois dans la responsabilité disciplinaire des fonctionnaires – éventuellement avec un régime plus ou moins détaillé d’exceptions132. Ainsi, les cantons suisses alémaniques, lorsqu’ils connaissent la responsabilité disciplinaire des agents publics, ne prévoient généralement pas de réglementation distincte concernant les magistrats du siège133. L’instauration d’un régime de responsabilité disciplinaire propre aux magistrats du siège, dont la mise en œuvre est assurée par une autorité spécialisée, reste donc largement, en Suisse, l’apanage des cantons latins.

2. La distinction avec la (haute) surveillance de la justice

92. — La responsabilité disciplinaire des magistrats du siège correspond à une forme de surveillance de l’activité individuelle desdits magistrats. La surveillance des magistrats du siège doit être distinguée de la surveillance portant sur la justice en tant qu’institution – même si la première peut être exercée dans le cadre de la seconde134. En Suisse, la surveillance de la justice revêt des formes multiples ; une forme de surveillance de la justice est traditionnellement exercée par le pouvoir législatif (parlement), et est désignée par la notion de « haute surveillance (parlementaire) » sur la justice (ci-après : la « haute surveillance »)135.

132 Cf. HANGARTNER, p. 425.

133 Par exemple, le canton de Bâle-Campagne, hormis une disposition spécifique concernant la qualité de l’autorité disciplinaire (art. 60 al. 1 PG/BL), ne distingue pas la surveillance disciplinaire des magistrats du siège de celle des autres agents publics (cf. art. 1 al. 1 let. a et 2 al. 1 let. a PG/BL) ; sont ainsi applicables les art. 59 ss PG/BL, de même que les art. 57 ss du Dekret zum Personalgesetz (Personaldekret) du 08.06.2000 (RS/BL 150.1). Cf. ég. infra, Chap. 6, not. N 860-871 (BE), 973-990 (ZH) et N 779, 789 (GR). A noter pour le surplus que certains cantons, à l’exemple du canton d’Obwald (cf. JENNY), ne prévoient apparemment pas de responsabilité disciplinaire des magistrats du siège, même par renvoi.

134 Cf. FONJALLAZ, p. 52 s. ; cf. ég. MARTY, Rapport, p. 21 s.

135 Sur la notion de haute surveillance, cf. not. FONJALLAZ, p. 49 ss, 54 ss ; cf. ég. CONTROLE PARLEMENTAIRE DE L’ADMINISTRATION (CPA ; organe parlementaire de contrôle de l’administration), Rapport du 11.03.2002 intitulé « La portée de la haute surveillance parlementaire sur les tribunaux – les avis de la doctrine juridique », FF 2002 p. 7141 ss.

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93. — Nous reproduisons ci-après les propos du juge fédéral FONJALLAZ à propos de la notion de haute surveillance : « [l]a haute surveillance trouve son

fondement dans le principe de l’Etat démocratique, suivant lequel les autorités de justice exercent leur pouvoir au nom du peuple. Celui-ci s’assure, par ses représentants, que la justice fonctionne conformément au mandat qu’il lui a confié par le biais de la constitution. Ce contrôle institutionnel exercé par le pouvoir législatif est une particularité helvétique. Il s’explique par la très large place faite en Suisse à l’élection – directe ou semi­directe – pour toute charge supérieure »136.

94. — La haute surveillance du pouvoir législatif sur l(a gestion d)es autorités judiciaires ressort par exemple de l’art. 169 al. 1 Cst. féd., qui institue la haute surveillance de l’Assemblée fédérale sur les tribunaux fédéraux ; de l’art. 5 al. 1 LHS/NE, qui prévoit la haute surveillance du Grand Conseil du canton de Neuchâtel sur la gestion des autorités judiciaires neuchâteloises.

95. — Des organes parlementaires notamment ont distingué, dans leurs travaux, trois conceptions doctrinales – qualifiées de stricte, élargie et étendue – de la haute surveillance137. L’on n’entend pas développer ici ces questions. Nous nous limiterons à indiquer que la haute surveillance correspond à un moyen de contrôle essentiellement politique, ponctuel ou régulier, sur la conduite générale de l’activité judiciaire138, et qu’elle devrait à ce titre se rapporter uniquement à des questions structurelles touchant à l’administration du pouvoir judiciaire139. La haute surveillance ne devrait donc pas porter sur le contenu de la

Cf. ég. STREULI, passim. Cf. pour le surplus, mutatis mutandis, ATF 141 I 172, consid. 4.3.4 et les réf. (haute surveillance parlementaire sur l’activité gouvernementale).

136 FONJALLAZ, p. 49.

137 Cf. COMMISSION DE GESTION DU CONSEIL DES ETATS, Rapport du 28.06.2002 intitulé « Haute surveillance parlementaire sur les tribunaux fédéraux » (FF 2002 p. 7077) ; CONTROLE PARLEMENTAIRE DE L’ADMINISTRATION (CPA ; organe parlementaire de contrôle de l’administration), Rapport du 11.03.2002 intitulé « La portée de la haute surveillance parlementaire sur les tribunaux – les avis de la doctrine juridique » (FF 2002 p. 7141). Cf. ég. sur ce point TANQUEREL, Avis de droit, N 41 ; CONSEIL D’ETAT (VD), septembre 2010, (i) Exposé des motifs et projet de loi sur la haute surveillance du Tribunal cantonal, (ii) Projets de lois modifiant la loi sur le Grand Conseil et modifiant la loi d’organisation judiciaire et (iii) Rapport au Grand Conseil sur la motion Anne Baehler Bech demandant une loi d’application de l’art. 135 Cst./VD.

138 Cf. SÄGESSER, Bundesbehörden, N 589 ad art. 169 Cst. féd. Cf. ég. ATF 141 I 172, consid. 4.3.4 et 4.4.2.

139 Cf. p. ex. SÄGESSER, Oberaufsicht, p. 125 ss. Sur la distinction entre l’activité judiciaire et l’administration de la justice, nous renvoyons pour le surplus à POLTIER, Richterzeitung, N 1-10, en particulier N 10 ; POLTIER, PJA, p. 1018-1021 et passim.

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jurisprudence (cf. en ce sens l’art. 26 al. 4 LParl) ni sur le comportement individuel des magistrats du siège140.

96. — Cela étant, il convient de relever que l’exercice d’une haute surveillance sur la justice peut influencer de manière plus ou moins marquée le régime de responsabilité disciplinaire des magistrats du siège, voire empiéter sur lui. Notamment, les compétences du pouvoir législatif en matière de révocation et de (non-)réélection des magistrats du siège ont une portée disciplinaire qu’il conviendra de circonscrire et d’évaluer141.

III. La responsabilité des magistrats du siège et

l’indépendance de la justice