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Le droit disciplinaire matériel

Chapitre 4 : Les infractions disciplinaires

A. La compétence et le degré normatifs (aperçu)

2. Le choix de la technique de réglementation

a. Généralités

344. — D’une manière générale, on constate que les règles de comportement relatives aux personnes exerçant une profession soumise à une surveillance disciplinaire sont souvent réunies sous le terme de « règles professionnelles ». Il en va ainsi, notamment, de la Loi fédérale sur la libre circulation des avocats (cf. art. 12 s. LLCA) ; de la Loi fédérale du 23 juin 2006 sur les professions médicales universitaires (cf. art. 40 LPMéd) ; de la Loi fédérale du 18 mars 2011 sur les professions relevant du domaine de la psychologie (cf. art. 27 LPsy).

345. — Quant aux règles de comportement relatives aux personnes soumises à une surveillance disciplinaire en vertu du rapport de droit qui les lie à l’Etat, celles-ci sont réunies sous des appellations diverses. L’art. 91 al. 3 CP emploie le terme d’ « infractions disciplinaires » en matière d’exécution des peines et des mesures. Le Règlement disciplinaire concernant les étudiants de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne du 15 décembre 2008 fait appel à la notion de « fautes disciplinaires » (art. 2 de ladite loi)551. L’art. 2 du Règlement disciplinaire de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich du 2 novembre 2004552 utilise le terme de « manquements disciplinaires ». Les art. 25 LPers et 97 ss OPers, celui de « manquements aux obligations professionnelles ».

551 RS 414.138.2.

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346. — Plusieurs solutions se présentent. Il est possible (i) de prescrire des obligations ou devoirs professionnels dont la violation (fautive) entraîne le prononcé de sanctions (ci-après, b.), (ii) de poser des interdictions assorties de sanctions en cas de non-respect, ou encore (iii) d’édicter des infractions disciplinaires assorties de sanctions (ci-après, c.). Les cas (i) et (iii) méritent un examen particulier ; le cas (ii), qui représente un cas intermédiaire, sera discuté dans le cadre de l’examen des cas (i) et (iii).

b. Les devoirs professionnels

347. — La technique de réglementation consistant à définir des devoirs professionnels (cas (i) défini ci-dessus553) vise à établir, par le biais de règles de conduite dont le contenu est généralement formulé de manière large, un comportement-modèle (comportement idéal attendu) de la part des personnes visées par une telle réglementation.

348. — A notre sens, cette démarche procède davantage, conceptuellement, d’une approche déontologique (stricte) que d’une approche disciplinaire de la réglementation des comportements554. Elle permet notamment de (se) livrer (à) une réflexion sur la condition et l’exercice de la profession ou de la fonction considérée555.

349. — Une telle solution ne devrait selon nous pas être retenue en droit disciplinaire – à tout le moins, dirons-nous, concernant les magistrats du siège556. En effet, celle-ci ne nous paraît pas entièrement conforme aux exigences applicables en matière de légalité des infractions disciplinaires. 350. — Il paraît toutefois opportun de préciser que la solution consistant à définir des devoirs professionnels (ou « règles professionnelles »), rencontrée dans les lois relatives à la surveillance de plusieurs professions réglementées, même si elle ne nous paraît pas être la plus appropriée d’un point de vue général557, n’enlève en principe pas à la réglementation en cause son caractère disciplinaire558. Il ressort notamment du Message relatif à la Loi fédérale sur la

553 N 346.

554 Cf. ég. DELPEREE (B/F), p. 134.

555 Cf. p. ex. DE CLERK (B), p. 19.

556 Comp. FISCHER (D), p. 234 s. et passim.

557 FISCHER (D), p. 61 ss préconise pourtant une telle technique de réglementation. Cf. ég. NÉZARD (F ; anc.), p. 152 ss.

558 Cf. p. ex. Charte européenne sur le statut des juges, ch. 5.1, qui prévoit que seul un manquement par un magistrat du siège « à l’un des devoirs expressément définis par le

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libre circulation des avocats (LLCA) et du Message relatif à la Loi fédérale sur les professions relevant du domaine de la psychologie (LPsy) que les « règles professionnelles » prévues par les lois précitées doivent être distinguées des règles déontologiques – ou « us et coutumes » – (Standesregeln), lesquelles sont reconnues comme émanant des associations professionnelles559. L’examen de la jurisprudence du Tribunal fédéral confirme cette approche : l’on fait bien correspondre aux « règles professionnelles » précitées, par hypothèse violées, des sanctions ou peines disciplinaires560. La notion de règles professionnelles revêt donc bien, dans ces situations, une fonction disciplinaire.

c. Les infractions disciplinaires

351. — A notre sens, la technique de réglementation consistant à cataloguer directement des infractions – formulées de la même manière qu’en droit pénal spécial –, lesquelles seraient assorties de sanctions (cas (iii) défini ci-dessus561), constitue la technique la plus appropriée562. En effet, celle-ci nous paraît la plus à même de satisfaire aux exigences applicables en matière de légalité des infractions disciplinaires. La notion d’infractions disciplinaires doit par ailleurs être préférée à celles de « fautes » ou de « manquements » disciplinaires, celles-ci étant moins précelles-cises563. La prise en compte de circonstances propres à exclure l’illicéité ou la culpabilité de l’auteur se fera de la même manière qu’en droit pénal général (cf. art. 14-21 CP)564.

statut » peut donner lieu à une sanction disciplinaire (cf. ég. Charte européenne sur le statut des juges, Exposé des motifs, ad. ch. 5.1).

559 MCF-LLCA, p. 5367 s. ; MCF-LPsy, p. 6277 s. Cf. ég. ATF 138 II 162, consid. 2.5.2 ; 140 III 6, consid. 3.1 (avocats).

560 TF 2A.448/2003 du 03.08.2004, consid. 1.2.

561 N 346.

562 En ce sens : RICOL (F ; anc.), p. 58, 69 ss ; DELPEREE (B/F), p. 133 ss, 197. Comp. p. ex. KERBAOL (F), Notes, p. 45, qui propose de rechercher des obligations dont la violation est susceptible de constituer une faute.

563 DELPEREE (B/F), p. 78 ; cf. ég. RICOL (F ; anc.), p. 73 et passim. Comp. p. ex. MORITZ, N 4 s. ; KERBAOL (F), Notes, p. 23-26.

564 Cf. TF 1P.652/2003, consid. 6.1 (médecins) : « [d]ans la mesure où le prononcé d’une sanction disciplinaire suppose une faute […], il n’est à tout le moins pas arbitraire de prendre en considération les faits justificatifs excluant la punissabilité et les causes d’exclusion ou d’atténuation de la peine, tels que l’état de nécessité ou l’erreur de droit » (avec des réf. à FAVRE, HINTERBERGER et BELLWALD et à la jurisprudence relative à l’application analogique des dispositions du droit pénal aux mesures administratives).

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352. — Les règles de comportement ainsi définies devraient être consignées dans un code : on devrait tendre, dans l’approche de droit disciplinaire, à l’exhaustivité. Le principe d’une « légalité négative », selon lequel « tout

comportement qui se situe[rait] en dehors soit de ce qui est prescrit […], soit de ce qui […] est expressément autorisé, est présumé fautif »565, n’est en aucun cas admissible.

353. — Le choix de la méthode consistant à définir des infractions disciplinaires assorties de sanctions disciplinaires ne devrait pas être compris comme une atteinte à l’indépendance des magistrats du siège, bien au contraire. Partant de la prémisse selon laquelle la surveillance disciplinaire des magistrats du siège est nécessaire à la bonne marche de la justice, il apparaît en effet que l’on ne peut tolérer toute liberté d’incriminer et de punir et qu’il faut assurer un minimum de prévisibilité du régime disciplinaire, notamment au niveau des comportements pouvant entraîner une sanction. La protection de l’indépendance des magistrats du siège passe donc, selon nous, notamment par une définition claire des infractions disciplinaires566.

354. — Il s’agira toutefois d’éviter une instrumentalisation, par les acteurs politiques, du débat sur l’adoption de telles règles567. A notre sens, le risque d’une atteinte à l’indépendance de la justice, respectivement des magistrats du siège, ne se rapporte pas, à proprement parler, à la démarche de réglementation issue de la volonté « étatique » d’instaurer un contrôle disciplinaire sur les magistrats du siège ; il se situe bien davantage au niveau des tentatives d’ingérence du politique – parfois largement empreintes de démagogie – dans l’activité judiciaire.

3. La corrélation entre les infractions et les sanctions