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Le droit disciplinaire matériel

Chapitre 2 : La responsabilité des magistrats du siège siège

C. La portée pour notre sujet

1. La tension entre la responsabilité des magistrats du siège et l’indépendance de la justice

109. — Les magistrats du siège remplissent une mission de service public et ne peuvent refuser de statuer sur les conflits dont ils sont saisis. Ils s’exposent à un regard du public également sur leurs activités privées, extrajudiciaires, et peuvent encourir une responsabilité pour des faits commis en dehors de

162 P. ex. TF 1B_460/2012 du 25.09.2012, consid. 3.1. Sur cette question, cf. ég. infra, N 124, 338 ss.

163 TF 1B_460/2012 du 25.09.2012, consid. 3.1 et les réf.

164 CCJE, Avis n° 3, par. 16 ; CourEDH, arrêt Dubus SA c. France du 11.06.2009, req. n° 5242/04, par. 54 et les réf. ; CourEDH, arrêt Oleksandr Volkov c. Ukraine du 09.01.2013, req. n° 21722/11, par. 107. Cf. ég. Cour Suprême (CA), arrêt Andrée Ruffo c. Conseil de la magistrature, 1995 CanLII 49 (C.S.C.), par. 38 ss.

165 CCJE, Avis n° 1, par. 11.

166 P. ex. GASS, Bild, p. 150.

167 CCJE, Avis n° 3, par. 16.

168 P. ex. CourEDH, arrêt Oleksandr Volkov c. Ukraine du 09.01.2013, req. n° 21722/11, par. 107.

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l’exercice de leur fonction. La question de la responsabilité des magistrats du siège se confronte toutefois nécessairement avec le principe de l’indépendance de la justice, qui déploie des effets sur la quasi-totalité des aspects de la fonction de magistrat du siège169. Il apparaît ainsi une tension170 entre, d’une part, la responsabilité que l’on fait porter aux magistrats du siège dans un système donné et, d’autre part, l’indépendance dont ceux-ci jouissent171.

110. — En raison des exigences liées à la fonction qu’ils exercent au sein de l’Etat, les magistrats du siège ne peuvent généralement pas, sans autre, être soumis au même régime de responsabilité – civile, pénale et disciplinaire – que celui réservé aux autres agents publics. Cette problématique peut être illustrée par l’extrait suivant, tiré d’une prise de position du Tribunal cantonal neuchâtelois publiée à l’occasion des discussions relatives, notamment, à l’institution d’un conseil de la magistrature : « [l]a surveillance d’un magistrat

judiciaire est fort éloignée de celle qui peut s’exercer dans un service administratif, caractérisé par l’existence d’un chef de service qui peut adresser des directives à ses subordonnés, en contrôler l’application et adresser des remontrances aux collaborateurs qui les appliqueraient mal ou pas du tout. Par essence, la surveillance d’un magistrat [judiciaire] empiète sur l’indépendance pleine et entière qui devrait être la sienne, en sorte qu’elle ne peut s’exercer qu’avec mesure »172. Des aménagements doivent être faits afin d’assurer le respect de leur indépendance173.

111. — La question du respect du principe de l’indépendance sous-tendra ainsi l’ensemble des questions étudiées dans le cadre de la présente étude. Il s’agira d’examiner, à chaque stade de l’exposé, si les solutions en présence, ou celles proposées, sont conformes au principe de l’indépendance de la justice174.

169 CCJE, Avis n° 1, par. 11. Cf. ég. CCJE, Magna Carta des juges, principe 4 ; CCJE, Avis n° 3, par. 51 ; OSCE-BIDDH/MPI, Kyiv Recommendations, N 2 et passim.

170 Cf. HAMMERGREN (USA), p. 149 : « accountability should not be understood as the diametric opposite of independence; the interaction of the two concepts is more complex ». Cf. ég., parmi beaucoup d’autres, GAROUPA/GINSBURG (USA), passim. Cf. ég. CCJE, Avis n° 18, par. 20.

171 CCJE, Avis n° 10, par. 62. Cf. ég. HOUILLON (F), p. 24.

172 TC/NE, prise de position du 08.12.2003 sur le Rapport de la commission d’enquête parlementaire (i) concernant les relations entre le Conseil d’Etat et le Département de la justice, de la santé et de la sécurité d’une part, et les autorités judiciaires d’autre part, et (ii) à l’appui d’un projet de décret portant révision de la Constitution cantonale et de six projets de lois, BGC/NE 2003/2004 p. 2187 ss, p. 2346.

173 CCJE, Avis n° 10, par. 62.

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2. Le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège en tant que garant de l’indépendance de la justice

112. — Le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège – lorsqu’il est prévu – a une portée différente selon les ordres juridiques. D’une manière générale, il peut être défini comme étant une forme de garantie en vertu de laquelle lesdits magistrats du siège ne peuvent être déplacés, rétrogradés, révoqués et/ou suspendus de leurs fonctions, sauf dans les cas et suivant les formes expressément prévus par la loi175.

113. — Le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège vise à assurer l’indépendance de la justice. Il constitue un des éléments clés de cette indépendance176, dont l’Etat est le garant177. GUICHETEAU posait déjà de manière très claire que « [l]e véritable sens, le but unique de l’inamovibilité, est

de soustraire les [magistrats du siège] à l’influence du pouvoir exécutif, et par suite d’assurer leur indépendance, de garantir leur impartialité »178. La protection recherchée se rapporte également à l’influence du pouvoir législatif sur les magistrats du siège, voire à une influence qui serait exercée sur lesdits magistrats au sein même du pouvoir judiciaire.

114. — L’idée d’une nomination des magistrats judiciaires pour une durée indéterminée tend à s’imposer dans les sociétés démocratiques. L’inamovibilité des magistrats judiciaires est notamment recommandée par l’IBA179 et par la Commission de Venise180 ; elle est prévue par exemple en France181 et en Espagne182. En Suisse, le canton de Fribourg est, pour l’heure, le seul canton ayant instauré une forme d’inamovibilité des magistrats du siège : les magistrats fribourgeois du siège sont désignés – en l’occurrence par le biais d’élections – pour une durée indéterminée (cf. art. 6 al. 1 LJ/FR)183. Le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège devrait, le cas échéant, être érigé au rang de principe constitutionnel.

175 Nous renvoyons pour le surplus à PLUEN (F), N 2 ss.

176 Recomm. CM/Rec(2010)12, par. 49.

177 CCJE, Avis n° 1, par. 60.

178 GUICHETEAU (F ; anc.), p. 238. Cf. ég. Recomm. CM/Rec(2010)12, par. 50 ; CCJE, Avis n° 1, par. 60.

179 IBA MSJI, Rule 22.

180 COMMISSION DE VENISE, Rapport Indépendance, N 43.

181 Art. 4 al. 1 Ord.1958/F.

182 Art. 378 al. 1 LOPJ/E.

183 Pour des discussions sur la durée du mandat, cf. not. GUGGISBERG ; FELLMANN ; CORBOZ, Richterzeitung, passim.

41 115. — Comme nous le verrons, le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège, garant de l’indépendance de la justice, ne doit toutefois pas permettre en tant que tel d’écarter les conséquences d’éventuels manquements de la part desdits magistrats. Des garde-fous sont donc nécessaires. La révocation – disciplinaire ou non disciplinaire – des magistrats du siège offre à ce titre un contrepoids au principe de l’inamovibilité des magistrats du siège184. Le canton de Fribourg, qui comme indiqué ci-dessus connaît le principe de l’élection pour une durée indéterminée, réserve ainsi les cas de révocation (art. 6 al. 3 LJ/FR, qui renvoie aux art. 107 ss LJ/FR).

IV. L’importance du droit disciplinaire des magistrats du

siège