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Le principe de l’indépendance de la justice (aperçu)

Le droit disciplinaire matériel

Chapitre 2 : La responsabilité des magistrats du siège siège

B. Le principe de l’indépendance de la justice (aperçu)

1. Notions générales

98. — Le principe de l’indépendance de la justice constitue l’un des fondements de l’Etat de droit. Il doit être mis en lien avec le principe de la séparation des pouvoirs143, qui forme un droit constitutionnel dont peut se prévaloir tout citoyen, et qui régit la répartition des compétences entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, en ce sens qu’il interdit à un organe de l’Etat d’empiéter sur les compétences d’un autre organe144. Le principe de l’indépendance de la justice revêt par ailleurs une importance particulière à une époque où les « pouvoirs » politique(s) et médiatique(s) ont une place et une influence significatives et complexes dans le débat sur la justice145. Le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) a ainsi mis en évidence le besoin marqué de disposer de garanties (plus) fortes en termes d’indépendance des magistrats du siège146. 99. — Le Conseil consultatif de juges européens (CCJE) a par exemple indiqué que « [l]e pouvoir judiciaire est l’un des trois grands piliers égaux d’un Etat

démocratique moderne. Il a un rôle et des fonctions essentiels face aux deux autres piliers. Il veille à ce que les autorités et l’administration rendent compte de leur action et, s’agissant du pouvoir législatif, il participe à la mise en œuvre véritable des lois qui entrent régulièrement en vigueur et, dans une mesure plus ou moins grande, vérifie qu’elles sont conformes à la Constitution ou à tout autre ordre juridique supérieur […]. Pour remplir son rôle, le pouvoir judiciaire doit être indépendant de ces pouvoirs, si bien qu’il ne doit pas être lié par des relations préjudiciables ou soumis à leur influence »147. Ledit Conseil a en outre précisé que « [l]’indépendance des [magistrats du siège] est

une condition préalable à l’Etat de droit et une garantie fondamentale d’un procès équitable […]. [Elle] n’est pas une prérogative ou un privilège octroyé

[aux magistrats du siège] dans leur propre intérêt, mais elle leur est garantie

143 Cf. p. ex. MAHON,BGC/NE, p. 2297 ss ; MAHON, Séparation des pouvoirs, et les réf. Cf. ég. CCJE, Avis n° 18, par. 11 : « Le principe de la séparation des pouvoirs est en soi une garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire ».

144 P. ex. ATF 136 I 241, consid. 2.5.1 et les réf. Cf. ég. CCJE, Avis n° 18, par. 6 ss ; GUARNIERI/PEDERZOLI (I/GB), p. 20 s., qui remarquent qu’il devient de plus en plus difficile de délimiter la législation, la juridiction et l’administration (« structure multifonctionnelle »), ce qui relativise la théorie de la séparation des pouvoirs.

145 Sur cette question, cf. not. ZEMANS, p. 636 ss.

146 CCJE, Avis n° 3, par. 15.

35 dans l’intérêt de la prééminence du droit et de ceux qui recherchent et demandent justice »148.

100. — En Suisse, l’indépendance de la justice trouve son assise notamment à l’art. 191c Cst. féd. Aux termes de cette disposition, les autorités judiciaires, tant fédérales que cantonales, dans l’exercice de leurs fonctions, sont indépendantes et ne sont soumises qu’à la loi (cf. ég. art. 30 al. 1 Cst. féd. ; art. 14 par. 1 Pacte ONU II). Cette garantie constitutionnelle est concrétisée dans les différentes réglementations, cantonales et/ou fédérales, relatives aux autorités judiciaires (constitutions cantonales, lois d’organisation judiciaire, etc.). Par exemple, l’art. 2 al. 1 LTF consacre le principe de l’indépendance du Tribunal fédéral : il prévoit que « [d]ans l’exercice de ses attributions

judiciaires, le Tribunal fédéral est indépendant et n’est soumis qu’à la loi »

(cf. ég. l’art. 26 al. 4 LParl).

101. — C’est le lieu de mentionner que la jurisprudence et la doctrine emploient abondamment la notion d’ « apparence d’indépendance »149. Ce concept, qui renvoie à la perception de la justice par le justiciable150, est généralement énoncé par référence à l’aphorisme « [n]ot only must Justice be done; it must

also be seen to be done »151. On constate que le critère de l’apparence, dans l’examen de la structure et du fonctionnement de l’appareil judiciaire, a pris une importance croissante durant les dernières décennies, à tel point que l’on pourrait se demander si l’aphorisme précité ne devrait pas parfois également être renversé : « [n]ot only must Justice be seen to be done; it must also be

done ».

148 CCJE, Avis n° 1, par. 10. Cf. ég. CCJE, Avis n° 18, par. 10.

149 Cf. p. ex. CourEDH, arrêt Oleksandr Volkov c. Ukraine du 09.01.2013, req. n° 21722/11, par. 106.

150 Cf. ég. infra, N 107 s., 124 et 156 concernant la notion de « préservation de la confiance du public dans la justice ».

151 Cet aphorisme, attribué au Lord Chief Justice GORDON HEWART, tire en réalité son origine d’un extrait du fameux jugement rendu en 1924 par le prénommé dans l’affaire « R v Sussex Justices, ex parte McCarthy » : « [t]he answer to [the question whether the deputy clerk was so related to the case in its civil aspect as to be unfit to act as clerk to the justices in the criminal matter] depends not upon what actually was done but upon what might appear to be done » (House of Lords [GB], arrêt R. vs Sussex Justices, Ex parte McCarthy, [1924] 1 KB 256, [1923] All ER Rep 233).

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2. L’indépendance institutionnelle et l’indépendance individuelle

102. — L’indépendance de la justice a deux composantes : l’indépendance institutionnelle et l’indépendance individuelle. La première se rapporte à l’institution judiciaire, la seconde aux magistrats judiciaires qui la composent152. La délimitation entre l’indépendance institutionnelle et l’indépendance individuelle trouve par exemple son expression à l’art. 117 Cst./GE, lequel prévoit sous l’intitulé « indépendance », d’une part, que « [l’]autonomie du pouvoir judiciaire est garantie » (al. 1), d’autre part, que « [les magistrats judiciaires] sont indépendants » (al. 2).

103. — Le principe de l’indépendance s’oppose ainsi à toute idée de hiérarchie pouvant être exercée tant sur le pouvoir judiciaire que sur les magistrats judiciaires qui le composent. Le Juge fédéral FONJALLAZ a notamment relevé, en rapport avec l’indépendance institutionnelle, que « […] la haute surveillance [du parlement sur la justice] ne saurait être en soi l’expression d’une éventuelle

supériorité hiérarchique du pouvoir législatif sur le pouvoir judiciaire, mais bien un instrument de mise en oeuvre des règles constitutionnelles relatives à la justice dans l’intérêt des citoyennes et citoyens […]. Parmi ces règles figure le principe d’indépendance de la justice »153.

104. — En vertu de l’indépendance individuelle, il est exclu, en dehors du cadre strict des voies de recours154, que les magistrats du siège soient dirigés, critiqués, repris ou influencés de quelque manière que ce soit dans l’exercice de leurs tâches juridictionnelles155. En cela, les magistrats du siège se distinguent des fonctionnaires qui, notamment lorsqu’ils disposent d’un pouvoir décisionnel – non juridictionnel – en matière administrative, peuvent recevoir de la part d’un supérieur des « instructions relatives à la manière de trancher une affaire »156.

105. — La Commission européenne pour la démocratie par le droit, également appelée Commission de Venise (ci-après : la « Commission de Venise »)157,

152 Cf. p. ex. RUSSEL (USA), p. 10.

153 FONJALLAZ, p. 50.

154 Cf. toutefois infra, Chap. 4, N 440-459 concernant les infractions disciplinaires découlant des actes juridictionnels des magistrats du siège.

155 Cf. p. ex. TANQUEREL, Avis de droit, N 40, 43-45 et les réf. ; POLTIER, PJA, p. 1024 s. et passim.

156 P. ex. ATF 136 I 323, consid. 4.4.

157 La Commission de Venise, créée en 1990, est un organe consultatif du Conseil de l’Europe dont le but est de procurer des conseils juridiques à ses Etats membres sur des questions de droit constitutionnel, en particulier « d’aider ceux qui souhaitent mettre leurs structures juridiques et institutionnelles en conformité avec les normes et l’expérience internationales

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dans un rapport publié en 2010, a par ailleurs souligné que « dans les textes

internationaux, la question de l’indépendance interne au sein du système judiciaire a bénéficié d’une moindre attention que celle de l’indépendance externe. Elle semble pourtant tout aussi importante »158. La Commission de Venise a précisé à ce titre que « [d]ans plusieurs Constitutions, il est indiqué

que "les juges ne sont soumis qu’à la loi". Ce principe protège d’abord les juges contre toute influence extérieure indue. Cependant, il peut aussi s’appliquer à l’intérieur du système judiciaire. Une organisation hiérarchique de la magistrature dans laquelle les juges seraient subordonnés aux présidents de tribunaux ou à des instances supérieures dans l’exercice de leur activité juridictionnelle porterait manifestement atteinte à ce principe »159. A ce titre, nous pouvons déjà mentionner qu’en Italie, l’art. 2 al. 1 let. e D.lgs.109/06/I érige justement en infraction disciplinaire l’ingérence (injustifiée) d’un magistrat judiciaire dans l’activité des autres magistrats (« l’ingiustificata

interferenza nell’attività giudiziaria di altro magistrato »)160.

3. L’indépendance et l’impartialité

106. — Le principe de l’impartialité, qui découle notamment de l’art. 30 al. 1 Cst. féd., a deux composantes : objective et subjective. L’impartialité objective tend notamment à empêcher la participation du même magistrat du siège à des titres divers dans une même cause et à garantir l’indépendance du magistrat du siège à l’égard de chacun des plaideurs. A ce titre, on considère que l’exigence d’impartialité de la justice vis-à-vis du justiciable doit être réalisée déjà en apparence. L’impartialité subjective, qui touche au for intérieur du magistrat du siège, assure à chacun que sa cause sera jugée sans acception de personne ; elle est présumée161.

107. — On considère généralement que l’ « apparence d’impartialité » de la justice vis-à-vis du justiciable, qui correspond à l’impartialité objective, est au

en matière de démocratie, de droits de l’homme et de prééminence du droit » (cf. [http://www.venice.coe.int/WebForms/pages/?p=01_Presentation] [consulté le 04.12.2013]). Sur le rôle et l’impact de la Commission de Venise, cf. not. HOFFMANN-RIEM.

158 COMMISSION DE VENISE, Rapport Indépendance, N 68. En ce sens ég. : GUARNIERI/PEDERZOLI (I/GB), p. 47.

159 COMMISSION DE VENISE, Rapport Indépendance, N 68.

160 Cf. ég. art. 417 ch. 4 LOPJ/E : « [s]on faltas muy graves […] [la] intromisión, mediante órdenes o presiones de cualquier clase, en el ejercicio de la potestad jurisdiccional de otro juez o magistrado ».

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moins aussi importante que l’impartialité subjective des magistrats du siège. Cette « apparence d’impartialité » est directement mise en lien avec la recherche (la finalité) de la confiance des justiciables dans l’appareil judiciaire162. Selon le Tribunal fédéral, « il s’agit [en effet] de se demander si,

indépendamment de la conduite personnelle des [magistrats du siège], certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ces derniers. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables, à commencer par les parties à la procédure »163.

108. — Les notions d’indépendance – dans ses composantes institutionnelle et individuelle – et d’impartialité sont donc étroitement liées164. L’indépendance est la garant(i)e de l’impartialité165, celle-ci découlant donc de celle-là166. Elle est également une condition de l’impartialité, laquelle est « essentielle pour la

crédibilité des systèmes judiciaires ainsi que pour la confiance que ceux-ci doivent inspirer dans toute société démocratique »167. Les circonstances peuvent ainsi appeler un examen conjoint des critères d’indépendance et d’impartialité168.