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De la discipline au droit disciplinaire des magistrats du siège

Le droit disciplinaire matériel

Chapitre 3 : Le (concept de) droit disciplinaire des magistrats du siège magistrats du siège

A. De la discipline au droit disciplinaire des magistrats du siège

1. La mutation du pouvoir disciplinaire

159. — L’expression du phénomène disciplinaire dans le corps des règles étatiques, évoquée ci-dessus252, ne doit pas être comprise comme étant une simple traduction de la discipline dans le droit positif. En effet, le droit positif (le droit disciplinaire) absorbe, ou supplante, un pouvoir disciplinaire qui préexistait dans le groupe. Il résulte de cette opération un pouvoir

248 En ce sens : p. ex. BINDER, p. 32 ss, qui montre que la portée de la question de la nature juridique du droit disciplinaire doit être relativisée. MOOR/POLTIER, p. 134, préconisent quant à eux, plutôt que de faire des analogies avec le droit pénal, d’appliquer le principe de la proportionnalité, ce qui rendrait inutile le débat sur la qualification (droit pénal ou droit administratif) des mesures administratives et permettrait, le cas échéant, de mieux tenir compte de la double finalité, pénale et administrative, de ces mesures.

249 Nous relevons pour le surplus, concernant la question de la détermination de la nature juridique du droit disciplinaire, qu’aucune solution susceptible d’être acceptée de façon générale ne nous paraît pouvoir être trouvée, dans la mesure où une telle solution dépend(rait) largement de la tradition juridique ou de la branche dans laquelle l’observateur s’inscrit (publiciste, administrativiste, pénaliste, civiliste, etc.) ainsi que de la pesée entre les différentes disciplines des sciences humaines auxquelles on se réfère (droit, sociologie, sociologie politique, etc.).

250 Cf. OGG, p. 4, 9, 40 ss, 219 ; FAVRE, p. 339. Cf. ég. art. 1 al. 3 de la Gesetz betreffend die Ordnungsstrafen du 30.10.1866 (ZH) (cf. infra, N 978) : « Massnahmen, die [e]inen Strafweck verfolgen ».

251 DELPEREE (B), RTDH, p. 344 s., 347 : « [c]ertes le droit disciplinaire n’est pas le droit pénal. Il n’empêche qu’il fait partie, avec lui, d’une même catégorie, qui est celle du droit répressif » ; RUBI-CAVAGNA (F), p. 224, qui utilise l’expression « droit commun répressif ». Cf. ég. DELLIS (F), passim, qui propose de dépasser la distinction entre droit pénal et droit administratif et de retenir la notion de « contrainte étatique ».

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métamorphosé : celui-ci ne se rapporte plus à une discipline exercée à l’intérieur du groupe253, mais à une discipline de l’Etat sur les groupes eux-mêmes254. 160. — On peut représenter la situation de la manière suivante :

161. — Cette dernière construction ouvre un vaste champ de réflexion, car elle conduit à s’interroger sur les conditions et la valeur mêmes de l’intervention de l’Etat en matière disciplinaire. On constate en effet que l’élaboration du droit disciplinaire, de manière quelque peu paradoxale, tend à effacer la discipline considérée dans son sens originel. Il conviendra de tenir compte de cet élément en particulier dans l’examen de la question de la définition des autorités disciplinaires255 et dans celui de la question de l’étendue des droits subjectifs des magistrats du siège256.

162. — Il faut par ailleurs souligner que le pouvoir disciplinaire correspond, traditionnellement, à un pouvoir hiérarchique257. Or ce rapport hiérarchique n’a pas lieu d’être – à tout le moins – en droit disciplinaire des magistrats du siège. En effet, il découle du principe de l’indépendance de la justice que l’autorité

253 Cette conception de la discipline ressort not. de la théorie de l’institution élaborée en France par HAURIOU (F) et reprise et développée not. par MOURGEON (F) (sur cette théorie, cf. p. ex. MILLARD [F], p. 36, 40).

254 MILLARD (F), p. 36, 40.

255 Cf. infra, Chap. 6.

256 Cf. infra, N 172-226.

257 LAURIE (F), p. 141 ss.

Situation 2 : Droit disciplinaire Situation 1 : Discipline interne

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chargée de la surveillance disciplinaire des magistrats du siège, bien que disposant du pouvoir de sanctionner leur (in)conduite258, ne doit pas être placée dans une position de supériorité hiérarchique par rapport à ceux-ci259.

2. L’intérêt du corps fait place à l’intérêt général

163. — Selon l’approche proposée ci-dessus, la discipline, exercée par le corps des magistrats du siège agissant pour lui-même, fait place au droit disciplinaire, exercé par l’Etat agissant au nom de la société. Le groupe des magistrats du siège n’apparaît dès lors plus fermé sur lui-même ; des intérêts collectifs (publics) sont concernés, dont la sauvegarde est assurée par l’intervention de l’Etat260. Le droit disciplinaire des magistrats du siège dépasse ainsi la recherche d’une cohésion interne du groupe desdits magistrats et la protection de la réputation ou la préservation de la dignité de ces derniers261.

164. — GUICHETEAU, en 1875, exprimait déjà cette idée : « [a]utant les

magistrats sont nécessaires à la société, autant la discipline est indispensable à la magistrature, et nous ne croyons pas exagérer en affirmant que la justice sera toujours d’autant mieux administrée, et par suite l’état social plus florissant, que l’organisation disciplinaire sera plus parfaite et les préceptes qu’elle contient plus scrupuleusement observés. Ainsi, cette institution qui semble au premier abord ne concerner qu’un seul corps constitué, intéresse, en réalité, la société tout entière […] »262. On remarque que GUICHETEAU263, en tant qu’il reconnaissait l’existence d’un intérêt public à l’organisation de la

258 Cf. ég. supra, N 145 concernant la notion de pouvoir de domination.

259 On rejoint en ce sens l’avis exprimé par DUGUIT (F ; anc.) qui, en 1930 déjà, considérait que le pouvoir disciplinaire, qui dérive du pouvoir de surveillance, doit être distingué du pouvoir hiérarchique (DUGUIT [F ; anc.], Traité, p. 249, cité par MILLARD [F], p. 36). Ce qui constitue par ailleurs un élément nous conduisant à désapprouver l’utilisation du terme « supérieur » dans les expressions « conseil supérieur de la magistrature » ou « conseil supérieur de la justice ».

260 CHIAVARIO (I), p. 666.

261 Comp. p. ex. TF 1P.652/2003, consid. 6.1 (médecins), qui confère toujours une place centrale à la notion de dignité du corps.

262 GUICHETEAU (F ; anc.), p. 253 (cf. ég. citation partielle supra, N 119). Cf. ég. RICOL (F ; anc.), p. 161.

263 Comp. toutefois GUICHETEAU (F ; anc.), p. 159, qui définit l’action disciplinaire comme une « sorte de châtiment domestique ayant pour but de maintenir intacts l’honneur et la considération d’un corps à l’action publique instituée pour sauvegarder la société et punir un coupable ».

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discipline264 des magistrats judiciaires, était déjà265 passé du plan de la discipline à celui du droit disciplinaire266.

B. La place du droit disciplinaire des magistrats du siège dans