• Aucun résultat trouvé

Reprenons ici la distinction de FREEGE entre la signification et le sens, cité par LALANDE,

1.1.4.3 Les niveaux de sens

1 Reprenons ici la distinction de FREEGE entre la signification et le sens, cité par LALANDE,

différente de celle de E. PANOFSKY, car ce n'est pas le

modus operandi

propre à une époque, avec ses spécificités et ses récurrences, qui m 'occupe, m ais l'idée de monumentalité, son Essence (essence définie par l’histoire et la culture).

C ela im plique, com m e nous l'avons vu au prem ier chapitre, que nous considérions les monuments en tant qu’objets d'une surdétermination dont le vecteur central est perceptible dans le genre ; et que c'est ce genre qui "figurabilise" tant la production que la réception de l’objet en permettant de mettre une image mentale sur une catégorie, et inversement d'apposer une désignation catégorielle à un objet perçu. Ce n'est donc pas le mot monument qu'il convient de définir, mais il faut plutôt construire le sens de la monumentalité, du genre monumental, en tant que fait et phénomène social. En effet, comme le dit A. MARTINET1 : « ... le mot maison est un mot français, je n'ai qu'à rechercher en moi-même ce que représente le mot maison, et je déterminerai ainsi le sens de ce mot. Malheureusement, lorsque j'essaie de voir ce qu'il évoque en moi, une image apparaît, plus ou moins composite, dont je suis sûr, par certains de ses traits, qu'elle n'est pas celle que le mot évoquera chez toute autre personne. Il est donc clair que cette image, qui d'ailleurs varie chez moi d'un instant à l'autre, ne saurait être considérée comme le "sens" du mot, bien commun de tous les sujets de langue française.[...] Mais l'emploi du "mot maison" n'entraîne pas nécessairement l'expérience vécue [...], ce qui exclut donc l'introspection comme méthode d'observation». De même, le mot monument correspond à une multiplicité d ’images qui varient dans le temps et entre les individus en fonction de leur expérience vécue. Ainsi pouvons-nous considérer que ce mot renvoie à une form e dont le contenu et les contours sont flous, im précis,... mais pas indéfinis et inintelligibles, car ils ressortissent d'un genre conceptuel cristallisé par le code culturel. Par son imprécision, le sens de la monumentalité ne nous permet pas de nous reporter à un noumène clair, à un concept exact, mais plutôt à un "horizon de sens"1 2, à un "bruit sémantique"3, qui assurent l'embrayage des sujets sur le monde qui les environne.

Alors que le mot monumentalité draine des significations et même des structures m entales qui prennent leur source dans la culture et dans son imaginaire, les images produites par l'imagination de cet imaginaire sont variables et productrices de monuments em piriques très variés. M ais l'im aginaire "n'im agibilise" pas im m édiatem ent, ne "figurabilise" pas directement : il lui faut passer par la grille d'un sujet imaginant, avec

1 A. MARTINET, Eléments de linguistique générale, p. 34.

2 Selon l'expression de H. LEFEBVRE, op. cit., p. 255.

ses affects et son

socius.

L'imaginaire est donc une structure combinatoire qui allie la langue et l'image, où celles-ci prennent sens après réélaboration par l'insconscient. Cette structure combinatoire étant médiatrice du rapport au monde. Mais pour que l'inconscient fasse son oeuvre au travers de l'imagination du sujet, ce dernier doit au préalable prendre une certaine conscience du réel, stockant ainsi tout un m atériel d'im ages dans le subconscient et dans la m émoire, puis les réagencer selon les lois structurales de l'inconscient et sous la pression des événements. C'est alors qu'émerge l’oeuvre créée par l'imagination. C'est aussi suivant ce processus que la fonction symbolique, que la capacité de l'homme de symboliser, produit du signe. Quand l'articulation du signifié et du signifiant engendre du symbole, un vrai symbole opératoire susceptible d'être compris et ressenti, c'est que la structure inconsciente a imposé une adéquation entre une image particulière et l'imaginaire social, entre une figure matérielle et un figuré général, c'est-à- dire qu'il faut un rudim ent de lien naturel, réfutant l'arbitraire du signe, pour que le symbole existe. Dans le code occidental «le symbole de la justice, la balance, ne pourrait être remplacé par n'importe quoi, un char par exemple»1. Et cette accointance du signifié et du signifiant, qui dote les symboles de leur valeur, est un produit essentiellement culturel : l'évocation réciproque de l'idée de justice et de la balance ne fonctionne que dans une constellation culturelle où l'équité et la vérité sont perçus en termes de pesée entre des faits et non en termes de révélation divine. Si l'inconscient dispose des orientations et des tendances qui semblent universelles, les structures effectivem ent agissantes ressortissent surtout de l'imaginaire, d ’un im aginaire socio-historiquement déterminé ; et même susceptible de manipulations volontaires. De même, le symbole est durable, non pas sém antiquem ent im m uable, m ais doté d'une inertie qui le rend socialem ent actif e t opérationnel sur une très longue période. Par son effet de susbstantialisation (la présence d'un être ou d'une valeur obtenue par la présentation de son symbole) est engendrée une possibilité multiplicatrice du réel. Ce symbole se diffuse alors dans le corps social et en maintient la physiologie. Le symbole est donc un cément institutionnel ; pour G. GURVITCH1 2 il est aussi un ciment social.

M ais, dans le symbole la signification dépasse l’adéquation du signifiant au signifié pour aller vers un au-delà quelque peu ésotérique, vers de l'inappréhendable im m édiatem ent par la conscience. Et cette imprécision du message symbolique permet que sa résonance n'en soit que plus forte affirme HEGEL : «L'Egypte est le pays des

1 F. de SAUSSURE, Cours de linguistique générale, p. 101.

symboles, qui posent sans les résoudre, les problèmes en rapport avec l'auto-révélation de l'esprit, avec le déchiffrage de l'esprit par lui-même. Les problèm es restent sans solution et la solution que nous proposons consiste uniquement à voir dans les énigmes de l'art égyptien et de ses œuvres symboliques un problèm e que les Egyptiens eux- mêmes n'ont pas résolu»1.

Si, pour le maître de Berlin, l'architecture égyptienne représente le moment symbolique de l'architecture, car elle évoque une idée, mais d'une façon équivoque, qui marque l'équivoque de l'idée elle-même ; l'architecture, par nature, constitue le moment sym bolique de l'art, car elle est une form e sensible qui se présente et représente énigmatiquement. L'énigme étant le fait de la médiateté ; la médiation est introduite entre la forme construite et le sens, par la pensée imaginante qui figure et défigure l'image sous la pression des impératifs pratico-esthétiques. Les objectifs utilitaires et les contraintes techniques propres à l'architecture, son caractère tangible et massif, sont à la fois un gage d'effectivité du représenté et une réification annihilatrice de celui-ci. Ainsi selon HEGEL, la tension vers la sublimité qui caractérise le symbolisme monumental renforce sa nature énigmatique car elle est paradoxale en voulant être une concrétisation de ce que Thomas MANN appelle "l'impossible lieu de l'indicible désir". C'est cet excès du symbolisme (qui entend sym boliser l'insymbolisable) qui entraîne sa propre destruction. J. DERRIDA reprenant "le symbolisme du sublime" de HEGEL, montre que l'infinité étant inexprimable et inaccessible, sa présentation ne peut plus être symbolique. La nécessaire implication d'une participation, ou d’une ressemblance, entre le symbole et le symbolisé empêche la sym bolisation du sublime, qui est l'irreprésentable même. Alors, «le contenu [l'idée infinie en position de signifié et non plus de symbolisé] détruit le signifiant ou le représentant [...] et le contenu y opère et commande la relève de la form e»1 2. Si le monument ne parvient pas à atteindre le sublime, il reste tout de même en lui un contenu évoqué qui dépasse radicalem ent son représentant. Ou bien, pour reprendre ma formulation antérieure, il est possible de discerner un excès du contenu au regard de la simple forme. Cet excès provient-il du sens attaché au genre

édifice monumental

? Quelle construction conceptuelle peut rendre ce sens intelligible ? Et, inversem ent, quelle construction architecturale peut assurer l'intelligibilité par le spectateur de ce sens ?

P our répondre à ces questions, sans doute convient-il de procéder par des métaphores, par le rapprochement d'instances en contiguïté et se ressemblant. C'est-à-

1 G.W.F. HEGEL, Esthétique, t. 2, p. 68.

dire par la translation à l'objet monumental des acquis explicatifs construits par les sciences sociales, pour les instances monumentalisées (le pouvoir et le sacré) ; et cela tout en sachant bien que «comparaison n'est pas raison, encore moins une association libre de lecture, m ais peut-être seulem ent une im pression, une p is te ...» 1. C ependant, la problém atique culturaliste nous fournit un début de légitim ation de notre pratique analogique, car elle postule la cohérence de tous les secteurs de la vie sociale, au-delà de l'autonom ie des champs ; cette cohérence est assurée par le code culturel, et c'est à lui qu'il faut accorder la valeur heuristique.

Que la m onumentalité soit considérée en tant que signe, que symbole, que signification ou que sens, de toute façon c'est dans la culture à laquelle elle appartient qu'il convient d'aller chercher les ferments d'une analyse explicative et compréhensive. La culture dont il sera question dans notre propos répond à la définition de C. GEERTZ, dans

The Interprétation o f Cultures

: «La culture est constituée de structures de compréhension socialement établies, en termes desquelles l'action sociale est élaborée et perçue, et à travers lesquelles les hommes donnent form e à leurs expériences». La m onum entalité doit alors être replacée dans la structure de com préhension globale, rapprochée des objets déterminants du social, pour en évaluer la proximité. Cela afin d'établir la signification de la monumentalité dans sa culture et réciproquement afin de cerner les systèmes de significations constitutifs de la culture

via

le m onum ent

Documents relatifs