• Aucun résultat trouvé

1.1.1.1 Les genres architecturau

I.I. 2 I La mémoire collective

L'approche nominaliste a le mérite de mettre en lumière la rémoration en tant qu'instance, non exclusive, de la pratique monumentale. Maurice HALBWACHS a montré la pertinence de la notion de mémoire dans l'exploitation des phénomènes sociaux. Une société aurait besoin d'une mémoire collective pour exister : à la fois pour disposer d'une conscience de soi, constitutive d'une identité de groupe (ethnie, peuple, nation,...) et pour développer un travail de mise en scène sélective et valorisante de son passé. Car il faut bien insister sur la prégnance de données m ém orielles dans la conscience des groupes sociaux, comme dans celle des individus, ces données encadrent les systèmes de représentations et contrôlent les pratiques. M ais cette m ém oire collective n'est pas abstraite, elle est moins cérébrale que la mémoire individuelle qui est, elle, inscrite dans l'esprit du sujet ; la mémoire collective ressortit surtout de

Xhypomnemia.

N’étant pas vécue directement par les individus, elle est médiatisée par des représentations imagées et concrètes, elle s'exprime dans les artefacts produits par le groupe et elle transmet des valeurs autant qu'elle informe les pratiques. M. HALBWACHS parle de points d'appui, de points de repères, de cadres,... il développe une sociologie des formes, une étude de la m orphologie sociale. La mémoire collective réactualise les représentations et les croyances du groupe afin de régir notre appréhension du temps et de l'espace. Toute société trouve dans un sol investi de mémoire à la fois «un abri et un appui sur lequel poser leurs traditions»1. Ce rapport au sol et aux cadres matériels, aux lieux publics et aux édifices, en un m ot aux formes est d'une extraordinaire force contraignante. Les formes nous contiennent, nous modèlent, nous informent et nous conforment, mais elles le font non pas de manière directe et consciemment perçue par nous, mais de manière diffuse, confuse et continue. C'est par l'habitude et par la lim itation du champ des possibles qu'elles im posent que les form es assurent leu r prégnance. Elles sont contraignantes parce qu'elles sont partie intégrante de notre identité : c'est par elles, au trav ers d'elles, en elles que nous existons. Nous nous identifions, nous nous différencions, nous nous situons,...". La mémoire collective, tout comme la mémoire 1 2

1 HALBWACHS, La mémoire collective, p. 166.

individuelle, est à la fois donnée, imposée par les événements du m onde extérieur et reconstruite, réélaborée par le groupe dans une volonté de tenir un discours précis sur lui- même. Ainsi mémoire collective et conscience collective s'épaulent mutuellement et s'entre-définissent. Une pensée sociale est donc constituée de souvenirs, et de leur reconstruction. Le monument apparaît ainsi comme un condensateur de l'histoire du groupe (avec un H plus au moins grand au mot histoire, en fonction de la valeur emblématique que la société accorde à l'édifice et en fonction de la valeur symbolique et sentim entale attribuée à l'événement, à l'institution, ou à la personnalité auquel le monument est dédié). Dans cet édifice se trouvent réunis — par sa force évocatrice et par sa capacité de résonance dans l'imaginaire collectif — les événements et les faits qui comptent dans une société ; et, par le simple fait qu'ils sont maintenant vivants et réitérés périodiquem ent, ces événements et ces faits deviennent des cadres structurels, des systèmes idéels qui organisent le groupe social ; ils deviennent des images symboliques, des préceptes matérialisés dans la matière construite, qui transm ettent les normes du groupe.

Le monument est une image architecturale, c'est une image bâtie : il est tout à la fois conservation des souvenirs qui sont investis en lui et ordonnancement de ceux-ci dans une architectonique qui leur donne sens (signification), mais aussi sens (direction) quand les effets performatifs viennent s'adjoindre au statut inform atif inhérent à ce type d'artefact. Le bâtiment joue un rôle mnémotechnique dans la réminiscence, il remplit une tâche d'évocation lorsqu'il est mémorial ; mais quand il devient un opérateur social par le travail de reformulation qu'il effectue (imposition d'une mémoire organisée) il devient alors pleinement monumental. C'est, en effet, qu'il existe deux figures dans la rhétorique de l'image monumentale. La première est celle de la commémoration (acte de piété), la seconde est celle de la sublimation (acte de ferveur). Entre la névrose de deuil qui mémorialise et la mégalomanie qui monumentalise, il convient de cliver.

Le m onument est inscription sur le sol et dans le temps, il fait trace. Il est égalem ent manifestation véhémente dans l'environnement présent. L a trace inscrite peut être un symbole mnésique, mais elle peut aussi être un produit d'un fort investissement (économique, social et libidinal) ; tous deux mettent en œuvre la mémoire, soit comme finalité, soit comme moyen. Dans le premier cas on se trouve face à un mémorial, dans le second cas, la mémoire n'est pas la seule force agissante et il convient donc de situer le monument public dans un contexte plus large : celui de l'espace public.

Reconnaissons donc la mémoire comme partie prenante de l'objet monument et interrogeons-nous sur les autres dimensions inhérentes au concept de monument. Car, si le m onum ent est bien un système signifiant, sa signification est complexe, peut-être plurielle ; et le sens est à appréhender par une meilleur définition du code culturel au travers duquel l'intelligibilité de l’objet est assurée.

La sémiotique a procédé à l'analyse des rapports signifiant-signifié en œuvre dans l'architecture. L'articulation du signe (forme architecturale) au sens a été explorée à travers divers bâtiments, classes de bâtiments et écoles architecturales. Pour ma part, retenant le monument comme système signifiant, j'aimerais m'en tenir à l'étude du sens de la m onumentalité architecturale en tant que catégorie ou classe spécifique d'objets bâtis, c'est-à-dire en tant que genre architectural. C'est donc d'une approche sémantique de la monumentalité dont il est question ici.

J'ai émis l'hypothèse qu'il existe deux genres différents de constructions : le genre é d ific es m o n u m e n ta u x et le genre édifices p riv é s e t d o m estiq u es. Le genre édifices privés et domestiques recouvre l'ensemble des bâtiments trouvant dans une fonction ustensilaire, dans une finalité et une modalité matérielles, la justification majeure de leur existence. Alors que la monumentalité est ce genre déterminé par une "charge" sym bolique, par un prim at représentationnel qu'ignore l'architecture privative et commune. Toutefois, il existe une symbolique et une onirique du logis, M. HEIDEGGER1

et G. BACH ELARD1 2 en ont été de grands chantres, tout comme le folklore est plein de rites afférents aux lieux du travail. QUIRINUS, dieu du labeur n'est pas moins mythique

que M A R S, dieu de la guerre et que JUPITER, dieu de la spiritualité et de la sacralité. Mais

il existe dans le genre

monwnentwn

des dimensions de

pathos

et de collectif qui se sont incarnées concomitamment dans le temple et le palais. Ces deux espèces disposent donc d'une spécificité historico-sociale qui fait que, en plus de leur

"utilitas

" (qui est celle d'abriter et de contenir le culte ou l’intuition princière), nous pouvons les lire comme des entités cristallisées en une catégorie unique de l'entendem ent : il s'agit d'une forme catégorielle assurant l'intelligibilité de l'édifice par les sujets, et ceci indépendamment de leur facture plastique propre. Interroger la m onum entalité en tant que forme, c’est postuler qu'il existe, au-delà de la matière accessible aux sens, au-delà du style et de l'échelle de l'édifice, au delà même du statut du destinataire de la construction, des rapports s'établissant dans l'esprit qui permettent de percevoir une catégorie à travers les

1 Cf. "L'homme habite en poète" in Essais et conférences.

m ultiples sensibles, ce qui rend possible la compréhension. Démarche idéaliste ? Non point ! Car il ne s'agit pas de concevoir une essence transcendantale de la monumentalité qui gouvernerait la production em pirique des m onum ents et qui assurerait leur homogénéité plastique, mais de considérer les catégories qui donnent sens à cette forme architecturo-sociale. C elles-ci sont m em bres d'un systèm e de significations, de représentations, qui constitue une structure idéelle produite historiquem ent, et historiquement identifiable.

La question de la monumentalité est donc celle du contenu de la notion même de m onum ent, en même temps que celle des conditions de possibilité d'existence du monument.

Documents relatifs