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REPRÉSENTATIONS SOCIALES

3.2 Représentations sociales

Selon Markova (2000), dès le Moyen-Âge une vision précaire des représentations sociales mentionnait que l’âme pure était propre à l’homme et extérieure aux animaux. C’est Durkheim (1898) qui fut à l’origine de construit de représentations sociales, en considérant que les religions correspondaient aux premiers systèmes permettant à l’homme de se représenter le monde en se situant comme personne vivant en société. En fait, l’historique du construit de représentations sociales est lié aux développements des valeurs et des pensées de chaque époque. Ainsi, la construction identitaire d’une société et des individus qui la compose en tant que collectivité est associée aux rôles familiaux et sociaux qui sont ensuite transmis de génération en génération (Markova, 2000). Si Durkheim (1898) reconnaît l’individualisme des représentations, celles-ci seraient appelées à disparaître pour laisser place aux représentations davantage sociales qui perdurent temporellement, puisqu’elles réfèrent à des fondements durables ancrés dans une collectivité et partagés par ses membres. Les représentations sociales articulent les deux composantes suivantes: 1) l’une cognitive issue de règles internes suscitant la construction de la pensée dans un processus cognitif duquel émerge « une texture psychologique » (Moscovici, 1976, p. 40) unique à chaque personne donc, subjective; 2) l’autre sociale dans l’actualisation des processus cognitifs par l’entremise de « conditions sociales qui génèrent des règles qui sont parfois non conformes à la logique cognitive » (Abric, 1994a, p. 14) individuelle, mais qui se coconstruisent au sein d’une collectivité dans l’intersubjectivité. À cet effet, Mannoni (2012) soutient qu’une représentation sociale est

une ‘‘image mentale représentée’’ qui, au cours de son évolution, aurait acquis une valeur socialisée (partagée par un grand nombre) et une fonction socialisante (participant à l’élaboration d’une interprétation du réel valide pour un groupe donné à un moment donné de son histoire). (p. 10)

163 D’après Ficher (2010) les représentations sociales sont « la construction sociale d’un savoir ordinaire élaboré à travers les valeurs et les croyances partagées » (p. 131). Selon Kaës (1968), « la représentation n’est pas production rigoureuse et exhaustive des qualités de l’objet, elle est création du sujet et du groupe au sein duquel il évolue » (p. 17). Ainsi, les représentations sociales correspondent à des reconstructions de la réalité qui mettent de l’avant l’intégration de caractéristiques d’un objet ou d’expériences vécues d’un individu selon sa personnalité et ses croyances (Moscovici, 1976), et qui sont partagés au sein d’un groupe de personnes ayant des communalités. Pour Jodelet (2008), celles-ci sont « des modalités de pensée pratique orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l’environnement social, matériel et idéel » (p. 367). Durkheim (1898) mentionne que « les représentations collectives sont extérieures aux consciences individuelles, […] elles ne dérivent pas des individus pris isolément » (p. 17), mais sont ‘‘représentatives’’ d’une population et de sa culture. Sperber (1989) qualifie ces dernières de culturelles car elles sont des images symboliques de notre environnement donnant un sens à celui-ci. Pour sa part, Jodelet (2003) affirme que si les représentations cognitives favorisent le langage, celles sociales permettent la communication entre chaque peuple dans un partage continu échelonné à travers le temps. Dans cette optique, Ficher (2010) souligne que ces dernières reflètent notre perception du monde car elles se basent sur notre vécu émotionnel.

En fait, les représentations sociales sont le produit d'une collectivité (Moscovici, 1989) au sein de laquelle les émotions jouent un rôle par rapport à l’apparition de comportements concernant un environnement en perpétuel changement (Durkheim, 2010). Implicitement, elles ont une stabilité dans le temps qui leur permet d’être profondément ancrées (Farr, 2008). C'est par l'intériorisation de notre environnement que nous construisons notre réalité (Jodelet, 2003). Pour sa part, Moscovici (1988) qualifie les représentations de sociales lorsqu’une société a différentes visions de l’objet, tandis qu’elles seraient collectives lorsque la vision de l’objet est unanime au sein du groupe. Plus spécifiquement, selon Ficher (2010) la représentation collective apparaît « comme une élaboration socio-dynamique de la réalité et se présente, à ce niveau, comme la reprise et

164 l’intériorisation des modèles culturels et des idéologies dominantes en œuvre dans une société » (p. 131). Donc la relation avec notre environnement est en ce sens une manière de nous l’approprier et de le comprendre tout en réorganisant notre rapport avec nous-mêmes (Moscovici, 1977). À cet égard la représentation collective privilégie la communication, la reconstitution de la réalité et la maîtrise de son environnement (Bonardi et Roussiau, 1999). Si c’est l’extérieur qui nous habite, ce sont les valeurs, les attitudes et les pensées environnantes de la société que nous intériorisons (Herzlich, 1996). Formellement, aucun objet n’existe, il est la représentation que nous avons de celui-ci dans un environnement donné (Abric, 1994b; Grize, 1989), ce que Moscovici (1976) caractérise comme étant l’intelligible.

Pour leur part, les représentations deviennent sociales parce que les règles et les normes sont établies et respectées par le groupe (Doms et Moscovici, 2008). Quelle que soit la culture ou la société, ces dernières ont un statut unique et uniforme qui donne la chance à toute personne y adhérant d’avoir une vie davantage structurée (Paicheler et Moscovici, 2008). Or, d’après Moscovici et Paicheler (1973), un travail de groupe est possible lorsqu'il y a consensus sur les règles et les normes à respecter. C'est le mouvement de conformité qui permet la viabilité de la représentation sociale. Ainsi, un changement de comportement est parfois nécessaire pour atteindre l’harmonie du groupe (Moscovici, 2008). L’effet de diffusion est aussi attribuable aux représentations sociales, il a pour objectif de faire connaître l’objet ou le savoir sans qu’il n’y ait de destinataire clair. Dans le cas où la diffusion est négative, cela entraîne une désinformation ainsi qu’une incompréhension de l’objet par la population (Lo Monaco et L’heureux, 2007). La propagation se produit lorsqu’une conception est voulue par tout le groupe acceptant subséquemment les valeurs communes. Le mouvement de propagande fait paraître un propos ou un élément comme quelque chose de véridique au sein d’un groupe (Bonardi et Roussiau, 1999). Chaque manifestation comportementale a une utilité. La diffusion permet de transmettre des informations par rapport aux opinions, la propagation est liée aux attitudes, tandis que les stéréotypes proviennent de la propagande (Jodelet, 2003).

165 Afin de comprendre les manifestations comportementales liées aux représentations sociales, il est indispensable de se pencher sur leur développement. Selon Jodelet (1994), la formation des connaissances provient avant tout des milieux scientifiques, correspondant pour Moscovici (1988) aux connaissances scientifiques. La diffusion de ces connaissances dans la population utilise le même principe que le téléphone arabe. Autrement dit, la connaissance de l’objet se modifie à travers le temps, perdant ainsi son origine scientifique pour être diffusé socialement. Afin qu’une représentation soit viable, elle doit avoir une relation conflictuelle entre l’étrange et le familier, l’inconnu et le connu (Ibid.). Ainsi les représentations collectives ont un rôle social à jouer (Ficher, 2010) puisqu’elles permettent d’atteindre une harmonie en groupe. Quant aux représentations sociales, celles-ci nous donnent l’occasion de nous définir en tant que personne sociale (Abric, 1994b) dans un environnement ayant des valeurs similaires aux nôtres. Ces dernières sont habituellement transmises par l’entremise d’institutions tels la famille, l’école, l’Église, les partis politiques ou les groupes au sein desquels nous évoluons (Moscovici, 1976). Les représentations sociales nécessitent la mise en action de deux processus essentiels correspondant à l’objectivation (Ficher, 2010) et l’ancrage (Bonardi et Roussiau, 1999). L’objectivation filtre les informations de l’environnement dépendamment de notre intention, pour ensuite faire le tri entre celles voulues et celles conflictuelles (Moscovici, 1976). Bonardi et Roussiau (1999) spécifient que l’objectivation ressort les informations de leur environnement initial, permettant une transformation graduelle de celles-ci rendant concret l’abstrait (Doise, 1989; Doise, Clemence et Lorenzi-Cioldi, 1992; Palmonari et Doise, 1986). Ainsi, « l’objectivation [ou réification] permet à un ensemble social d’édifier un savoir commun minimal sur la base duquel des échanges entre ses membres et des avis peuvent être admis » (Seca, 2001, p. 62). Pour sa part, l’ancrage interprète les informations puis leur assigne une signification, pour ensuite intégrer les nouvelles représentations aux anciennes (Ficher, 2010). Plus spécifiquement, « le processus d’ancrage consiste en l’élaboration de nouveaux éléments de savoir dans un réseau de catégories plus familières » (Doise, Clemence et Lorenzi-Cioldi, 1992, p. 14). Celui-ci est le processus permettant d’introduire une nouvelle information confrontant nos valeurs personnelles (Palmonari et Doise, 1986). Cependant, Moscovici (1976) précise que ce sont les processus cognitifs qui

166 rendent le schéma conceptuel concret. De ce fait, « les processus d’objectivation et d’ancrage se combinent dans le mouvement d’appropriation du réel, mais ils participent également à toute évolution ou transformation des représentations » (Bonardi et Roussiau, 1999, p. 25).

La figure 6 suivante illustre le passage de l’inconscient au conscient qui, selon Moscovici (1976), permettrait l’évaluation de l’objet en fonction de nos valeurs et de nos connaissances, ainsi que de notre vécu au regard de ce dernier.

Figure 6: Les processus liés à la construction des représentations sociales.

Ainsi, la continuité de l’inconscient au conscient serait assumée par une phase de sélection des informations nommée filtrage, conduisant à une décontextualisation de celles- ci et favorisant « une image qui fasse sens et soit cohérente pour l’acteur » (Seca, 2001, p. 63). Pour sa part l’ancrage « complète le mécanisme de l’objectivation. Il le prolonge dans sa finalité d’intégration de la nouveauté, d’interprétation du réel et d’orientation des conduites et rapports sociaux » (Ibid., p. 65). À partir de là un savoir commun naît au sein du groupe. Ce dernier est constitué de l’articulation entre le noyau central qui détermine la représentation d’un individu par rapport à un objet, et un système d’informations dites périphériques.

Le noyau central est l’élément qui perdure dans le temps car s’il devenait absent, la nature même de la représentation se perdrait (Abric, 1989). Abric (1987) considère ce dernier comme étant « tout élément ou ensemble d’éléments qui donne à cette

Inconscient

Conscient

Représentations sociales (généralisation de la réalité et

uniformisation d’un savoir commun)

Objectivation

167 représentation sa signification et sa cohérence » (p. 68) par sa relation avec les valeurs et les stéréotypes (Bonardi et Roussiau, 1999). Ainsi, il agit en tant qu’empreinte de la représentation sociale (Abric, 2003). Autour de ce dernier il y a le système périphérique qui, davantage flexible, permet des adaptions individuelles et contextuelles de celle-ci (Rateau et Moliner, 2009). Selon Jodelet (1989), lors de la formation de la représentation sociale, l’objet subit parfois des changements au regard de ses caractéristiques, et les trois répercussions qui suivent sont envisageables: la distorsion, la supplémentation et la défalcation. La distorsion augmente les caractéristiques de l’objet ou les diminue (Ibid.). La supplémentation ajoute des éléments à l’objet qui ne lui appartiennent pas en le bonifiant de significations provenant de l’imaginaire. Finalement, la défalcation supprime les attributs de l’objet sans ajouter quoi que ce soit (Ibid.). En somme, le bagage collectif ainsi que celui individuel agissent en interaction de manière à valoriser certaines attitudes chez les individus face à un objet, d’où découleront des comportements a priori fondés sur des représentations sociales (Abric, 1994b).