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Chapitre 4 : Résultats de la recherche

4.3 La participation de la Nation huronne-wendat

4.3.1 Les représentations de la participation de la Nation huronne-wendat

Alors que certains membres du Comité connaissent bien les Premières nations et d’autres beaucoup moins, tous mobilisent dans leur discours différentes représentations de la Nation huronne-wendat et de leur participation. Ces dernières sont alors susceptibles d’orienter la participation des Hurons-Wendat compte tenu qu’elles influencent la position et le rôle que les acteurs du CSAFM leur attribueront au sein du Comité24.

Le premier constat qui émerge des entrevues réalisées dans le cadre de cette recherche est qu’une majorité des acteurs connaissent peu ou méconnaissent la Nation huronne- wendat. En effet peu sont renseignés sur leurs droits, leur territoire ancestral (le

24 Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction du présent mémoire, dans les mois qui ont suivi notre collecte de

données, des représentants de la Nation innue se sont joints au Comité. Cependant, au moment de la recherche, seule la Nation huronne-wendat avait des représentants siégeant au CSAFM. Par conséquent, les répondants ont été plus précisément interrogés sur la participation de la Nation huronne-wendat et non sur celle des Innus qui siègent au Comité depuis la fin de notre terrain.

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Nionwentsïo), et les activités qu’ils mènent sur le territoire de la Forêt Montmorency. Quoique plusieurs des acteurs rencontrés soient en faveur du développement de bonnes relations avec les autochtones sur le territoire, cette méconnaissance des Hurons-Wendat entraîne, chez plusieurs d’entre eux, une incompréhension en ce qui concerne l’application des droits autochtones. Dans certains cas cette méconnaissance peut susciter certaines craintes.

On pourrait dire, limite en souriant, que le territoire québécois leur appartient. Ils étaient là avant nous c'est évident. Maintenant ce qu'ils revendiquent, disons que tant et aussi longtemps qu'à travers ça on peut s'y retrouver, ils peuvent continuer à revendiquer. Mais si leurs revendications viennent à exclure toutes personnes autres que les Premières nations, alors là ça m'embête. On se pose la question qu'est-ce que l'on vient foutre dans le dossier, tu sais, dans le fond on a plus rien à voir avec ça. Donc, il est sûr que l'on est obligés d'avoir des relations, de défendre chacun notre point de vue et d'avoir des ententes à la limite. Parce qu'on pourrait dire que les autochtones peuvent revendiquer l'ensemble du territoire québécois, même le territoire sur lequel se retrouve ta propre propriété. Il faut vivre ensemble. Ent25418

L’application des droits des Premières nations est alors vue comme un défi qui déborde largement le cadre des activités de l’Université Laval. Par ailleurs, la plupart des acteurs du CSAFM, reconnaissant le fait que la Nation huronne-wendat désire mener un dialogue de nation à nation, ne voient pas le Comité comme le lieu approprié pour négocier des droits. Les questions autochtones sont globalement vues par les acteurs du Comité comme ne relevant ni du CSAFM, ni de l’Université Laval, mais plutôt des institutions politiques québécoises.

La perception que j'ai eu c'était que les Hurons n'avaient pas de grosses revendications sur ce territoire là en particulier, donc il n'a pas eu beaucoup de… Quand tu vois, les Hurons interviennent toujours avec un certain recul parce que les Hurons, ils se disent toujours qu'ils veulent négocier de gouvernement à gouvernement. Ent4989

[…] le dossier autochtone, il est super simple. Ça se passe au-dessus de nous autres. On est qui pour décider ça nous autres. […] Ce n’est pas à l'Université de se pencher sur l'occupation des territoires [c’est-à-dire sur les prétentions territoriales des Hurons-wendat], jamais dans 100 ans. Ce n'est pas du tout sa place. Ent69810

[…] qu'ils soient plus observateurs que partie prenante de la décision, je trouve ça correct parce que ce n’est pas au niveau du Comité d'aménagement qu'ils doivent se prononcer sur un dossier en particulier. […] Les Premières nations je vois ça comme une forme de gouvernement des Premières nations, donc ils doivent nécessairement parler de gouvernement à gouvernement. Ent69813

99 Au CSAFM, plusieurs membres assimilent la présence de la Nation huronne-wendat à celle des autres acteurs. Ils reconnaissent que la Nation huronne-wendat a des droits distincts des autres acteurs, mais ne définissent pas leur application concrète sur le territoire de la Forêt Montmorency. Dans la pratique, la perception est que les activités de la Nation huronne-wendat sur le territoire de la Forêt sont assujetties aux mêmes droits et règlements que celles des autres acteurs.

Je pense que dans ce cas-là ils ont des droits, mais en respectant nécessairement les règles qu'on leur impose et non pas leurs propres règles. Je ne pense pas qu'ils peuvent venir faire la chasse en tout temps sur notre territoire. D'ailleurs je pense que la chasse n'est pas permise. Je pense que de ce côté-là, ils le respectent, mais qu'est ce qui va se passer avec le nouvel agrandissement, ça c'est une autre chose. Ent17817

De plus, cette égalité de tous les acteurs au Comité est vue comme essentielle dans le processus de participation, sans quoi un acteur pourrait se voir favoriser injustement et cela au détriment des autres. Dans cette perspective, la Nation huronne-wendat est identifiée comme tous les autres acteurs lorsqu’il est question de leur participation au Comité et de leurs activités sur le territoire.

Non, mais ce que je veux dire, ce qui est clair pour moi, quand on dit, donner une place à la FM aux Autochtones. Ils prennent la même place que n'importe quel usager. C'est des partenaires privilégiés au sens où on sait très bien qu'ils ont des droits et tout ça, mais on ne peut pas prendre position dans le sens de s'octroyer des décisions qui ne relève pas de nous autres […]. Par exemple, ils viennent, ils prennent le pavillon au complet, mais est-ce que c'est plus particulier que quand, par exemple, il y a une fin de semaine il y a des Anglicans qui viennent faire une messe? C'est un client comme un autre. C’est un client, c'est un utilisateur de la forêt. Ent4898

À moins qu'il y aurait des choses particulières, par exemple un cimetière, des indices quelques choses, mais je les verrais pas. Je pense qu'ils auraient intérêt à être des citoyens comme les autres. Puis qu'on les respecte. Parce que si tu ne joues plus les règles, s'il y en a un qui ne joue plus les règles comme eux autres, tu aurais plus d'aménagement durable. Il pourrait arriver un illuminé qui a un pouvoir, puis il pourrait dire, maintenant vous faites plus de coupe, vous faites plus de chasse, ou […]. Ent4896

Ces citations indiquent que plusieurs acteurs du CSAFM ne perçoivent pas la Nation huronne-wendat comme un acteur distinct ayant des droits particuliers sur le territoire. En effet ils les voient plutôt comme des acteurs ayant des droits et des intérêts similaires aux autres.

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Moi quand j’étais à [nom de l’organisation], mon objectif c'était que tout le monde puisse opérer leur droit, les Autochtones ont des droits, les trappeurs ont des droits, le sentier de motoneige, le quatre-roues, la pourvoirie, le détenteur de CAAF, s'il y a un bail minier. Donc, pour moi c'est un peu l'aménagement polyvalent et intégré sur le territoire et essayer de s'entendre sur les moments, par exemple, pas récolter pendant les dix jours où il y une chasse intensive. Ent17618

Les membres du Comité conçoivent toutefois aisément l’intérêt qui amène la Nation huronne-wendat à venir siéger au CSAFM. Quoi que certains les voient comme participant peu, cela s’explique parce que la Forêt est une référence en aménagement et qu’ils viennent y chercher une expertise au même titre que les autres acteurs.

C'est clair que beaucoup de monde sont à la FM, sont autour de la table. Des fois ils ne parlent pas beaucoup, mais c'est simplement que l'on est toujours quelques années en avance sur les autres alors, il y en a qui aiment ça. Les Hurons ça leur permettait de se développer une expertise en regardant puis, ça devenait un territoire de référence pour eux […]. Ent28916

[X] la première affaire [qu’ils vont] se dire, c’est comment je peux prendre ce que j'apprends là et l'adapter pour l'utiliser chez nous au même titre qu'un gars de la MRC va faire la même affaire en se demandant comment l'intégrer à son schéma d'aménagement. Ent17850

Selon eux, ils ne viennent pas pour affirmer leurs droits, mais pour acquérir une expertise qu’ils pourront exporter et utiliser ailleurs, que ce soit sur d’autres comités ou lors de négociations avec les gouvernements.

[…] ils ne sont pas en mode affirmation sur ces comités-là. Non, je pense qu'ils viennent plus voir, prendre le pouls, savoir qu'est-ce qui se passe pour être en mesure de négocier plus haut [de gouvernement à gouvernement]. Ent38915 […] je sens plus que comme forêt d'enseignement et de recherche ils viennent en chercher au niveau d'un aménagement proche de la nature et écosystémique là, pour pouvoir être en mesure de plus s'outiller pour ailleurs, pour d'autres demandes qu'il aurait à faire. Je pense que c'est plus dans ce sens-là qu'ils viennent à la table […]. Ent27815

Selon les acteurs rencontrés, le second intérêt qui justifie leur participation au Comité est la volonté d’entretenir et de développer de bonnes relations de voisinage avec les autres acteurs qui sont impliqués dans la gestion du territoire de la Forêt Montmorency, mais aussi des territoires adjacents.

Leur intérêt c'est de voir les autres, parler avec les autres. C'est les mêmes que moi. Si on s'en va dans FSC il y a un volet autochtone, ils ont tout intérêt à être présent et à faire valoir leur point. Puis, […], c'est un territoire dans lequel il y a

101 plein de monde donc ils ont intérêt à être là. C'est vraiment selon leur volonté. Puis c'est comme moi, j'aurais pu dire j'envoie un technicien puis on aurait été là sans y être vraiment. Ent27819

Mais en tout cas, à tout le moins ils sont voisins, […] donc déjà pour cette raison c'est bon pour eux autres d'être présents. Ent1579

Par contre, plusieurs acteurs ont une notion assez vague de la contribution de la Nation huronne-wendat au CSAFM. La majorité des acteurs imaginent mal l’expertise que les Hurons-Wendat apportent actuellement au Comité. Plusieurs conçoivent qu’éventuellement ils pourraient apporter une contribution davantage philosophique, une expertise associée aux connaissances traditionnelles qu’ils ont et découlant de la proximité historique qu’ils ont entretenu avec la nature.

Donc, honnêtement de ce que j'ai vécu depuis 2006, l'input est comme plus faible. Je ne sens pas qu'ils viennent nous en apprendre sur leurs connaissances traditionnelles. Ent37816

Puis de faire en sorte que la recherche et l'enseignement, dans la nouvelle FM élargie, aient une mission ou des objectifs clairs sur le développement d'expertises ou de considération des TEK,… traditional ecological knowledge. Qu'il y ait des objectifs liés à la mission […] et que des objectifs spécifiques soient amenés vers les peuples autochtones, […]. Ent48917

[…] comme c'est des gens qui sont traditionnellement près de la nature, ce sont des gens qui ont une philosophie, un regard sur la nature qui n'est pas comme le citadin où le Québécois de Montréal ou de Québec. Je pense que peut-être, ne serait-ce qu'au niveau de l'approche ou de la philosophie ou du regard que l'on peut avoir sur la forêt, je pense que ça peut être un ajout, une expertise en soi. C'est un peu intangible parce que c'est plus philosophique. Ent27811

D’un autre côté, les acteurs se représentent aisément les raisons qui ont inciter les acteurs clefs à les inviter au CSAFM. Les membres du Comité comprennent bien qu’il est essentiel d’inclure la Nation huronne-wendat au Comité, que ce soit par respect ou par obligation. La représentation de la Forêt Montmorency comme une Forêt modèle et exemplaire au niveau de son aménagement justifie aussi grandement la participation des Premières nations au Comité.

Disons que je pourrais dire, je ne sais pas si on peut appeler ça une mode, mais on ne peut pas passer à côté des Autochtones, il y a une obligation. Est-ce qu'il y a un intérêt, oui parce que sans ça il faut se remettre en question comme développeur de la connaissance […]. L'intérêt de la Forêt, que vous y voyez intérêt ou pas, il y a obligation d'après moi. Parce que si on veut être une forêt modèle et que l'on parle partout des Autochtones, si la Forêt Montmorency elle n'en parle pas, elle est en dehors du jeu. Ent18717

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Pour moi c'est une question de respect de ce que ces gens-là sont, de leur droit, d'une saine cohabitation parce qu'ils sont présents dans l'environnement. Puis comme on veut bien faire les choses, je pense que ça fait partie de bien faire les choses de les intégrer à la discussion. Ent28911

Dans le discours analysé, la certification forestière est aussi perçue comme ayant grandement motivé l’intégration de la Nation huronne-wendat au Comité. Ce serait entre autre ce projet qui aurait amené la Forêt Montmorency à les réinviter à siéger au Comité alors que le processus en était à ses débuts.

L'intérêt c'est dans l'objectif de la certification et tout ça, c'est tous les acteurs du territoire qui soient impliqués dans la gestion. Ent27812

Ils n'ont pas le choix, ça fait partie de FSC. Puis ça fait partie de… ils ont des droits et je pense qu'il faut qu'ils soient écoutés et le jugement, le traité de Murray le dit, le gouvernement… C'est un acteur à qui ils vont devoir donner une place sur le territoire. Ent12313

Puis tu vois dans les dernières années il y a pas eu de projet spécifique, les Hurons n’étaient pas là, ils ne sont pas arrivés avec des projets spécifiques et ils n'occupaient pas le territoire [de la FM]. Donc dans ce sens-là il n'y avait pas de dossier. Le seul dossier qui est venu c'était les efforts de [Y] pour qu'il y ait un représentant Huron qui vienne siéger parce qu'il ne venait plus. Puis, c’était pour fins de certification qu’il le fallait. Ent43218

Ainsi, la perception qui ressort de nos entrevues avec les autres acteurs du Comité est que tandis que les représentants Hurons-Wendat viennent chercher certaines connaissances au Comité et développer des relations de bon voisinage, leur présence au sein même du Comité est source de légitimité pour ce dernier. Cette relation de « réciprocité » dans laquelle aussi bien la Forêt Montmorency que la Nation huronne-wendat seraient gagnants se reflète dans le discours des acteurs.

Les Hurons-Wendat ont toujours respecté l'Université Laval comme institution et puis l'Université Laval, on ne les dérange pas. Ça fait bon ménage je dirais. Ent56870

Est-ce que le Comité d'aménagement permettrait, par exemple, demain matin, les Hurons décident on va chasser l'orignal sur le territoire de la FM. La FM ne peut pas du tout les empêcher. Mais ils ne vont peut-être pas y aller pour ménager leur entente avec l'Université. Ent45616

Comme nous l’avons vu précédemment dans la représentation de la Forêt laboratoire, la chasse est globalement perçue comme une activité qui pourrait nuire aux différents processus de recherche et à la sécurité des autres utilisateurs de la Forêt.

103 Mais notre discours c'est qu’on ne l'encourage pas. On ne peut pas interdire la chasse sur le territoire, mais nous autre on ne fait pas d'activité de chasse ni de trappe à cause de tout ce qu'il y a, que ce soit au niveau de la recherche mais aussi question de sécurité. Parce que dans les périodes de chasse l'automne, il y a beaucoup de monde sur le territoire, il y a beaucoup d'étudiant, il y a beaucoup de chercheur. Donc, actuellement c'est ça notre discours et je pense que les gens de la Nation le comprennent bien aussi. Ent26415

Par contre, certains acteurs pensent que sous un encadrement serré et suite à des discussions avec la Forêt, la chasse pourrait être possible lors de certaines périodes annuelles.

Mais tant qu'à moi si ils sont pour y aller, c'est personnel là, mais ils devraient s'entendre sur les périodes et y aller. Parce qu'il y en a, il y a une bonne densité d'orignaux. Donc […] s’il se prend 10 orignaux par année ce ne serait pas un problème. Mais il faut que ça soit bien encadré parce qu'il y a du monde partout. Ent14318

La place et le rôle que devrait jouer la Nation huronne-wendat à la Forêt Montmorency est objet de perceptions plutôt diversifiées au sein du CSAFM. Pour plusieurs, l’agrandissement est un élément important d’une plus grande collaboration entre la Nation huronne-wendat, déjà présente sur ce nouveau territoire, et la Forêt Montmorency qui souhaiterait s’y étendre.

À 400 km2 ça pourrait changer la dynamique, à 66 on était trop timbre-poste

pour que ça fasse un objet de contentieux. Mais, tu vois, la chasse et tout ça c'est, il y en a eu, il y en a toujours, puis ça c'est réglé là […]. Mais c'est clair que dans le 400 km2, ça ils vont chasser là-dedans. Ent59819

Cette situation était bien différente au moment de la création de la Forêt Montmorency en 1964. Suite à des mesures d’exclusion précédant la création de la Forêt Montmorency, peu d’Autochtones occupaient le territoire de manière ouverte et facile à documenter. L’aménagement passé du territoire avait été fait presqu’uniquement selon les intérêts de l’industrie forestière et de l’État. Avec le projet d’agrandissement du territoire et la certification forestière, la présence de la Nation huronne-wendat est maintenant sollicitée et encouragée. Ma présence au CSAFM m’a permis d’observer les dynamiques de cette participation de la Nation huronne-wendat.

4.3.2 Les dynamiques de la participation de la Nation huronne-wendat à la gestion