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Chapitre 3 : Question de recherche et approche méthodologique

3.3 L’analyse des données

3.3.1 Stratégie de l’analyse des données

L’analyse des données repose sur deux méthodes complémentaires. D’abord, le chercheur a mis de l’avant une analyse de discours par thématisation. Cette approche qui combine n’analyse du discours et l’analyse thématique permet à la fois de « rassembler une grande quantité de matériels dans des unités d’analyse plus significatives et économiques » (Miles et Huberman 2003) mais aussi de comprendre les représentations récurrentes qui participent à définir la pensée institutionnelle (Fairclough 2003).

L’analyse des données obtenues par observation directe s’est faite de manière itérative. Cette méthodologie procède par un va-et-vient constant entre les données de terrain et leur analyse durant la totalité du processus de recherche (Olivier de Sardan 2008, Paillé et Mucchielli 2012, Guillemette 2006). Le chercheur est amené à confronter ses hypothèses à répétition aux données de terrain afin de favoriser une adéquation empirique, un « emergent

fit » (Olivier de Sardan 2008, Guillemette 2006) entre les données de terrain et l’analyse du

chercheur (Poupart 1997). Cela alla de soi compte tenu que l’analyse s’est déroulée en partie alors que la collecte de données épisodique se poursuivait.

3.3.2 L’analyse du discours social

Un discours est habituellement entendu dans le sens commun comme le « développement oratoire sur un sujet déterminé prononcé en public : allocution » (Larousse 2003 : 338). Toutefois, l’analyse du discours social telle que proposée par Marc Angenot ne réduit pas le discours social à une simple allocution. Selon ce dernier il s’agit plutôt de « everything that is said or written in a given state of society, everything that is printed or talked about and represented today through electronic media » (2004 : 200). Le discours social est une production socio-historique collective qui inclut un ensemble de représentations sociales, de croyances, de valeurs et d’imaginaires sociaux par lesquels tout individu communique et se fait comprendre (Foucault 1971, Fairclough 2003, Angenot 2004, Berger et Luckmann 1986). Ils sont partagés par les acteurs sociaux qui en sont aussi les porteurs. Toutefois « cela ne veut pas dire que les acteurs sont à l’origine d’un discours, qu’ils le contrôlent ou que le discours même soit le résultat maîtrisé d’une action » (Keller 2007 : 298). Loin d’être toujours pensé et réfléchi, comme l’allocution peut aspirer à l’être, le discours des individus se construit, volontairement ou involontairement, dans un processus de socialisation ou d’apprentissage social.

63 Fairclough stipule que tout discours est un texte et a des conséquences et des effets sur la société: « […] texts have social, political, cognitive, moral and material consequences and effects, and it is vital to understand these consequences and effects if we are to raise moral and political questions about contemporary societies, (…)» (2003 : 14). Le discours est performatif et participe à construire la réalité et la société (Foucault 1971). Toutefois, il n’existe pas forcément de lien de causalité direct entre les discours et les répercutions qu’ils peuvent avoir sur la société. Ainsi, la compréhension du lien entre discours et pratiques ne peut être le fruit que d’un projet de recherche et d’une étude de terrain ethnographique approfondie (Keller 2007, Fairclough 2003). Le discours contribue à transformer et à modeler les acteurs (leurs croyances et leurs attitudes), mais aussi leurs actions, leurs relations sociales et leur environnement institutionnel concret (Fairclough 2003 : 8). Il participe à définir l’identité et les rôles des acteurs au sein de la société et des organisations. En ce sens, l’étude des discours est particulièrement intéressante lorsqu’elle est faite en parallèle avec une observation fine des pratiques au sein de l’organisation (Gains 2011).

3.3.2.1 L’utilité de l’analyse du discours

Dans le cadre de cette recherche je me suis principalement intéressé aux discours qui contribuent à définir la pensée institutionnelle de la Forêt Montmorency. Je voulais sonder la vision qu’avaient les acteurs : de la Forêt Montmorency, des rôles qu’elle doit avoir et de la participation des Premières nations. L’analyse du discours consista à observer les différents discours sur la Forêt et à mettre en exergue ceux qui étaient davantage partagés. Les retranscriptions des entrevues constitueront les principales données pour l’analyse des discours.

L’analyse des discours est pertinente compte tenu qu’elle s’intéresse aussi au contexte d’énonciation de ce discours. À ce titre, je m’intéresserai aussi aux effets de ses discours et à leur mise en pratique dans le contexte du CSAFM (Fairclough 2003). Les observations menées m’ont permis de documenter l’actualisation des discours dans la pratique de l’organisation. L’analyse des discours combinée à une analyse systémique des relations (Paillé et Mucchielli 2012) me permettra d’observer comment les discours qui contribuent à définir la pensée institutionnelle des acteurs structurent leurs différentes positions institutionnelles et rôles au sein du processus (Angenot 2004). J’ai porté une attention particulière à l’analyse des thèmes et des liens qui existent entre eux afin de comprendre les paradigmes de pensée plus larges. L’analyse thématique est l’outil par lequel j’ai abordé les différents discours des répondants sur la Forêt Montmorency.

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3.3.2.2 L’analyse thématique

Tel que l’énonce Paillé et Mucchielli « L’analyse thématique consiste, dans ce sens, à procéder systématiquement au repérage, au regroupement et, subsidiairement, à l’examen discursif des thèmes abordés dans un corpus, qu’il s’agisse d’un verbatim d’entretien, d’un document organisationnel ou de notes d’observation » (2012 :162). Ce type d’analyse vise à réduire l’information contenue dans un texte, par un processus de codification, à une série de thèmes qui pourront alors être étudiés et mis en relation (Bernard 1994 : 339). Un thème, ou une unité de signification, rassemble un ensemble de mots et de phrases qui ont le même propos ou portent le même sens. L’analyse thématique est un travail rigoureux et systématique de codification des données ethnographiques afin de rassembler sous un même code des énoncés provenant d’informateurs différents. Elle permet d’identifier les différentes représentations sociales au sein des discours de différents acteurs, mais sans perdre la précision et la richesse des extraits d’entretiens qui peuvent toujours être replacés dans leur contexte d’élocution.

Suite aux entrevues, la première étape de cette démarche fut la retranscription de ces dernières, durant laquelle une proto-thématisation a été faite. Elle permit de faire ressortir, au cours de la retranscription, différentes thématiques récurrentes afin de créer un arbre de codes préliminaire. Par la suite, cet arbre thématique a été précisé au cours de la première codification par l’ajout de thèmes et la création de catégories et de rubriques. La codification a été réalisée grâce au logiciel d’analyse de données qualitatives QDAminer et consiste à attribuer à des extraits qui portent des significations similaires des thèmes identiques. Ainsi la catégorie « Représentation de la Forêt », pouvait se subdiviser en différents sous-thèmes tels que « Forêt dédiée à l’enseignement et la recherche », « Forêt laboratoire », « Forêt exemplaire », etc. Une seconde codification fut établie à partir des extraits d’entrevues pré- codés remis dans le contexte de la retranscription complète de l’entrevue. Cette seconde codification, fut réalisée à titre de technique de validation de la première et servit à raffiner le codage afin que les codes rassemblent uniquement des énoncés de sens similaires. Pour les fins de l’analyse thématique, j’ai procédé de manière continue et itérative. Selon Paillé et Mucchelli la thématisation continue consiste en « une démarche ininterrompue d’attribution de thèmes et, simultanément, de construction de l’arbre thématique. Ainsi les thèmes sont notés au fur et à mesure de la lecture du texte, puis regroupés et fusionnés au besoin, et finalement hiérarchisés sous la forme de thèmes centraux regroupant des thèmes associés, complémentaires, divergents, etc. » (2010 : 166) Quoique la thématisation

65 continue soit plus longue, elle se prêtait bien au petit corpus de données de 18 entrevues et permettait de faire ressortir, de manière inductive, les différentes représentations des acteurs sans les présupposer. Il s’agit d’un processus itératif qui repose sur un va-et-vient constant entre les données brutes et la codification qui n’est terminée qu’à la fin de l’analyse du corpus (Olivier de Sardan 2008). Les codes ont ensuite été hiérarchisés selon leur importance dans le discours des acteurs du processus afin de faire ressortir tant les représentations qui sont plus importantes que celles qui les nuancent.

3.3.3 L’analyse itérative

Alors que l’analyse thématique me permit d’analyser les discours et surtout les représentations de la Forêt Montmorency, l’analyse itérative fût particulièrement utile pour cerner les dynamiques de la participation des acteurs au CSAFM. Elle procède par un va- et-vient constant entre l’analyse des données, les différentes hypothèses théoriques du chercheur, et les données réelles. Alors que le chercheur collecte ses données, il construit certains énoncés visant à répondre à sa question de recherche. Ainsi, la théorisation s’ajuste aux données par le biais d’un retour constant entre l’analyse et le terrain selon le concept d’emergent fit. Au moment où « l’analyste considère que la collecte de nouvelles données n’apporterait rien à la conceptualisation et à la théorisation du phénomène à l’étude » (Guillemette 2006 : 41) on assiste alors à ce que l’auteur appelle la saturation théorique. La présente recherche a suivi cette méthode d’analyse qui s’appliquait très bien au terrain sporadique au sein du CSAFM. La collecte documentaire, les observations directes, les entrevues semi-dirigées mais aussi la présentation des résultats préliminaires, les différentes communications scientifiques et les commentaires de certains membres du CSAFM m’ont permis, dans un va-et-vient constant entre mes données réelles et l’analyse de celle-ci, de favoriser une adéquation empirique. Cette méthode d’analyse me permis en particulier de mieux cerner les positions institutionnelles et la légitimité des acteurs à participer aux rencontre du CSAFM. Elle favorisa à la fois une adéquation empirique (Olivier de Sardan 2008) entre les données réelles et l’analyse du chercheur et permet de diminuer les potentiels biais reliés à la subjectivité et aux préjugés du chercheur. Dans une perspective de transparence scientifique, elle encourage grandement les chercheurs à un exercice de réflexivité.

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