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Chapitre 2 : Revue de la littérature et approche conceptuelle

2.2 Une approche normative de la participation

2.2.2 Les conditions de la participation

La littérature sur la participation publique et plus précisément celle qui traite de la participation des Premières nations, a mis en lumière plusieurs caractéristiques du processus qui sont susceptibles d’influencer la participation des autochtones aux processus de gestion des territoires forestiers. À des fins analytiques, nous avons divisé ces caractéristiques en deux catégories principales. La première relève davantage des règlements et des protocoles associés aux processus de participation publique, c’est-à-dire leur architecture institutionnelle. La seconde relève davantage de la pensée institutionnelle

41 et de la position institutionnelle17 des acteurs, qui ont une incidence sur l’organisation sociale

informelle du processus.

2.2.2.1 L’architecture institutionnelle du processus

L’architecture institutionnelle18 réfère à ce que Chris Ansell et Alison Gash (2008 : 556)

définissent comme l’ensemble des protocoles et des règles qui encadrent, définissent et légitiment légalement les processus de participation. Ces règles peuvent définir tant la place formelle que chaque acteur peut avoir (participant, observateur, personne ressource) au sein du processus de gestion que les modes de prises de décisions ou encore le nombre de rencontres annuelles, etc. Les règles de fonctionnement les plus structurantes sont très certainement celles qui déterminent quels acteurs seront inclus ou exclus des processus, c’est-à-dire quels acteurs peuvent participer. Martineau-Delisle et Nadeau ont identifié quatre types de processus de participation publique qui ont été repris dans un article de Stephen Wyatt (Wyatt et al. 2010b) dans son étude portant sur les expériences collaboratives des Premières nations dans le milieu forestier au Québec. Cette catégorisation en quatre types est faite selon deux critères, soit la durée du processus en question et les acteurs qui sont invités à y participer. On y trouve des processus de participation soit temporaires ou continus dans le temps et qui sont soit distincts ou ouverts au public. Chaque type de processus a ses dynamiques propres. Dans le cas présent, nous nous intéresserons aux dynamiques des processus continus et ouverts au public puisque le Comité scientifique d’aménagement de la Forêt Montmorency (CSAFM) s’y apparente. Bien que l’architecture institutionnelle joue un rôle prépondérant au sein des processus de gestion des territoires forestiers, les opinions divergent dans la littérature en ce qui concerne l’importance du choix d’un cadre bien défini ou qui permet davantage de flexibilité adaptative. Selon les tenants de l’approche de la démocratie délibérative, l’élaboration de règles institutionnelles claires et transparentes qui encadreraient la participation de tous les acteurs est susceptible de favoriser le développement d’une confiance institutionnelle chez les acteurs participant aux processus de participation publique (Ansell et Gash 2008, Parkins et Mitchell 2005). Cette confiance, construite dans un cadre institutionnel clair, serait alors susceptible de favoriser des communications libres et des débats respectueux sur des

17 Quoi que la position institutionnelle puisse être identifiée formellement, et donc participer à l’architecture institutionnelle,

nous nous intéresserons davantage ici, lorsque nous en traiterons, à la définition de la position institutionnelle informelle des acteurs.

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sujets et des enjeux qui ne font pas consensus parmi les acteurs aux intérêts divergents (Ansell et Gash 2008 : 557, Armitage et al. 2007, Reed 2008, Bouwen 2005). Selon ces auteurs, un cadre institutionnel devrait favoriser la participation de tous les acteurs et éviter tout phénomène d’exclusion externe, c’est-à-dire de mise à l’écart de certains acteurs, qu’elle soit volontaire ou involontaire (Young 2002).

Toutefois, plusieurs auteurs adoptent une position critique face aux cadres légaux puisque ces derniers, souvent établis et imposés par les gouvernements, sont susceptibles de servir les intérêts politiques de ces derniers (Stevenson et Perrault 2009). Par ailleurs, comme nous l’avons vu plus haut dans notre discussion des approches normatives à la participation, ces cadres produits par l’État favoriseraient une bureaucratisation des communautés autochtones (Nadasdy 2005, Martin 2006) et reproduiraient des rapports de domination historique (Rodon 2004).

« Les modalités générales de ces mécanismes, y compris les règles, le langage et les concepts du discours, ont été établies par le Canada. Les parties autochtones portaient alors le fardeau de trouver le moyen de rendre leurs propres valeurs, leurs connaissances, leurs droits et leurs intérêts compatibles à un nouveau contexte, souvent avec l’aide d’experts juridiques peu renseignés sur leurs cultures et sur leurs visions » (Stevenson et Perrault 2009).

Même au sein des processus de cogestion, les cadres légaux n’attribuent généralement qu’un nombre minoritaire de sièges aux autochtones (Rodon 2004). De tels processus de participation, définis et imposés par le gouvernement, sont vus par Carlsson et Berkes (2005) comme grandement susceptibles d’échouer.

Le courant de la gestion adaptative (Carlsson et Berkes 2005, Folke et al. 2005, Armitage

et al. 2007, Armitage et al. 2008) et plusieurs chercheurs s’intéressant à la collaboration

avec les autochtones dans le secteur forestier (Wyatt et al. 2010a) suggèrent toutefois qu’une architecture institutionnelle flexible permet une collaboration mieux adaptée aux acteurs en présence ainsi qu'aux contextes et aux enjeux qui sont susceptibles d’évoluer et de changer (Wyatt et al. 2010a). Un cadre flexible, où les relations ne sont pas lourdement médiées par des règles ou des obligations institutionnelles, est susceptible de laisser davantage de place à l’organisation sociale informelle. Certaines caractéristiques de l’organisation sociale informelle telles que la confiance inter-acteur créée à l’extérieur des cadres formels, l’interdépendance entre les acteurs, le respect et l’écoute ouverte, ou encore la reconnaissance de la légitimité d’un acteur par les autres, sont dès lors

43 susceptibles de jouer un rôle majeur dans le déroulement de la participation et des discussions (Gray 1989, Bouwen et Taillieu 2004, Folke et al. 2005).

2.2.2.2 Les conditions relationnelles influençant la participation

Le dialogue face-à-face entre les acteurs (Ansell et Gash 2008), la communication respectueuse (Lertzman 2006) et la transparence dans les objectifs de chacun (Ansell et Gash 2008, Armitage et al. 2009, Beierle and Konisky 2001) sont présentés comme les bases de relations inter-acteurs constructives menant à une participation publique significative. Selon ces chercheurs, plus les objectifs du processus de participation et la problématique sont clairs, plus les acteurs seront susceptibles d’avoir confiance, tant dans les autres acteurs que dans le processus de participation en lui-même (Halvorsen 2003). Les relations sociales qui préexistent au processus (Reed 2008, McGregor 2006) et les rencontres répétées entre acteurs permettent un apprentissage culturel des différentes parties (Lertzman 2006) et favorisent le développement de relations de confiance inter- acteurs. Ces relations de confiance, construites à l’extérieur des règles formelles, sont reconnues comme déterminantes dans le processus de participation publique (Gray 1989). Elles permettent une flexibilité adaptative face aux changements susceptibles de se produire au fil des processus de participation (Folke et al. 2005). Plus un processus s’étendra dans le temps, plus cette flexibilité risque d’être sollicitée.

La confiance n’est cependant pas la seule dimension pertinente dans les situations de collaboration. L’interdépendance entre les acteurs y joue aussi un rôle déterminant. Comme le mentionnent Ansell et Gash :

« we found, for instance, that high conflict situations characterized by low trust could still be managed collaboratively if the stakeholders were highly interdependent. Interdependence fosters a desire to participate and a commitment to meaningful collaboration, and it is possible to build trust in situations of high interdependence. By contrast, where interdependence is weaker, it will be difficult to effectively build trust. » (2008 : 563)

L’interdépendance entre les acteurs n’exclut pas nécessairement que leurs relations puissent être marquées par des inégalités de pouvoir. Il s’agit surtout d’une relation où différents acteurs, les scientifiques, les gestionnaires, ou les différentes parties prenantes, incluant les Premières nations, voient un intérêt non seulement dans leur propre participation au processus, mais aussi dans la participation des autres acteurs ou de certains d’entre eux (Bouwen 2004 : 148). Il s’agit ici de reconnaître aux autres acteurs une légitimité dans la participation au processus (Reed 2008). Toutefois, cette légitimité peut

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différer selon la personne qui l’attribue et d’un acteur à l’autre. Les raisons pour lesquelles les acteurs dépendent les uns des autres peuvent varier en fonction de leurs caractéristiques propres et de celles qui leurs sont reconnues par les autres acteurs du processus. Tant que les acteurs verront un intérêt, tant dans le maintien du processus lui- même que dans la participation des autres acteurs, ces derniers développeront une interdépendance qui sera susceptible de les inciter à concilier leurs intérêts potentiellement conflictuels.

La mise en place d'un climat de confiance et le développement de l’interdépendance entre les acteurs représentent en ce sens la pierre d’assise d’un réel processus de dialogue. Quoique souhaités, ils ne peuvent toutefois pas être pris pour acquis dans les processus. Ils constituent le plus souvent un épiphénomène découlant de l’interaction entre les intérêts des acteurs, leurs capacités, les enjeux en présence, l’architecture institutionnelle et l’organisation sociale informelle (Ansell et Gash 2008). La section suivante abordera deux composantes de l’organisation sociale informelle, soit la pensée institutionnelle - concept développé par Mary Douglas ([1986] 2004) anthropologue qui s’est intéressée aux institutions - et la position institutionnelle traitée par différents auteurs appartenant au courant de l’interactionnisme symbolique soit, Erwin Goffman (1973) Michel Crozier et Erhard Friedberg (1977).