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Chapitre 4 : Résultats de la recherche

4.3 La participation de la Nation huronne-wendat

4.3.3 Les intérêts de la Nation huronne-wendat à participer au CSAFM

Les intérêts exprimés par la Nation huronne-wendat à participer au CSAFM sont multiples et variés. Ils recoupent plusieurs des perceptions et intérêts partagés par tous les acteurs du CSAFM. Dans le discours des représentants de la Nation huronne-wendat, on peut d’ailleurs noter une référence au fait que la Forêt Montmorency, à titre de forêt universitaire

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dédiée à l’enseignement et à la recherche, développe une expertise avant-gardiste sur l’aménagement de la forêt au Québec.

C’est une mission, c’est le terme général d’une Forêt d’enseignement et de recherche. Plus loin que ça, je pense que c’est une forêt d’avant-garde. Je pense que tout ce qui est développé comme traitement à la FM va être applicable un jour ou l’autre à l’extérieur. Je pense que ce qui se fait là a pour but de préserver au maximum l’intégrité, la faune, parce qu’ils travaillent tout ça. Ils travaillent autant la forêt, les approvisionnements, le niveau de développement économique, la faune, la protection, on le voit, ils n’ont pas de caribou, mais l’aire de fréquentation du caribou descend aussi dans la FM, donc ils sont obligés de se doter de méthodes de protection du caribou. Donc, je pense que tout ce qui se fait est positif. Ent54316

Les deux principaux intérêts qui nous ont été exprimés par les représentants de la Nation huronne-wendat découlent directement de cette représentation. D’une part, le CSAFM est vu comme un lieu d’expertise qui permet à la Nation d’aller acquérir une expertise sur le territoire forestier. D’autre part, les instances du CSAFM leur donnent l’opportunité de rencontrer et d’entretenir de bonnes relations avec les autres acteurs du milieu forestier. Ces deux intérêts vont d’ailleurs de pair dans leurs discours.

On est allés chercher le langage forestier, on est allés observer les meilleurs au Québec en foresterie, en aménagement, on est en train d'apprendre des meilleurs. Parce qu'ensuite quand on va leur parler, on sait c'est quoi un mètre cube, on sait c'est quoi un hectare, on sait c'est quoi un bassin, un rendement soutenu, un ci, un ça. Il y a rien comme ça quand tu veux te faire comprendre d'utiliser les mots de l'autre. Ent17819

[X] mine de rien j’y parle assez souvent sans nécessairement parler boulot, c’est arrivé cet été que je suis allé à la Forêt dans un autre dossier, justement pour l’expertise qui y est développée. Ent48916

[…] nous voulons avoir des retombées dans le futur. Il faut que l'on s'associe avec les meilleurs, puis si tu veux être le meilleur dans tel domaine, il faut que tu ailles chercher des meilleurs. Ent17819

Le CSAFM est ainsi vu comme un lieu d’expertise et d’innovation où les représentants du Bureau du Nionwentsïo peuvent venir chercher un savoir sur la Forêt qui pourra leur être utile sur d’autres territoires et lors de consultations qui peuvent être extérieures à la Forêt Montmorency.

Le ministère me proposait sur le terrain de trappe d’un des membres de la Nation. Il voulait faire environ 100 hectares d’éclaircie pré-commercial, du débroussaillage. Le trappeur en question il a dit, moi je suis pas intéressé à ce qu’il y ait autant d’éclaircies, c’est pas bon pour la petite faune, pour l’orignal et

107 compagnie. Donc, on a débloqué un 20 hectares cette année, mais le ministère qui voulait quand même faire les travaux m’avait proposé ce qu’on appelle de l’EPC à valeur faunique. C’est quoi de l’EPC à valeur faunique? C’est juste que l’on conserve plus de feuillus, on conserve des tiges broutées par l’orignal puis à la FM c’est uniquement ça qu’ils font. Donc j’étais allé voir [X], en fait je l’avais appelée puis j’étais allée sur le terrain avec [X]. Elle m’avait montré trois, quatre traitements, différentes années, qu’est-ce que ça donne? L’orignal es-tu là? La petite faune est-elle là? C’est quelque chose d’intéressant que moi après ça je vais pouvoir reproposer, cependant dans le cas qui nous concernait. […] pour pouvoir faire ça, ça te prend une bonne quantité de feuillus, une quantité de tiges feuillues et on l’avait pas. Donc le ministère avait proposé ça en sachant pas trop ce que c’était, puis il s’est peut-être dit qu’on n’irait pas plus loin, puis qu’on poserait pas plus de questions, mais finalement on a refusé. Ent48716

À ce titre, la Forêt Montmorency est un partenaire très intéressant et important pour la Nation huronne-wendat qui y voit plusieurs intérêts. Ils ont développé de très bonnes relations avec l’administration de la forêt et avec les autres acteurs du CSAFM. Conjointement à l’expertise, il s’agit d’une instance très utile dans la réalisation d’autres projets sur leur territoire. Ils conçoivent qu’il peut être avantageux d’entretenir de bonnes relations avec la Forêt Montmorency.

On y ait jamais allés dans le passé. La Forêt Montmorency, on ne va pas là, c'est l'Université Laval. Un peu comme les Parcs, on va rarement chasser dans les Parcs. On s'installe très peu dans les parcs. Je pense qu'il y a trois camps Hurons dans le Parc de la Jacques Cartier, il y en a aucun dans le Parc des Grands Jardins. Il y a une quantité industrielle de camps partout, […] On est respectueux des institutions, on n’aime pas ça nous autres la chicane. […] On les aime, on les respecte, y nous respectent, pourquoi allé tuer un orignal en face du pavillon? Je ne sais pas si ton père te disait ça, mais mon père me disait et me l'a encore dit. Ça prend une vie pour se faire une réputation et une seconde pour la défaire. Ent6006

Toutefois, les intérêts de la Nation huronne-wendat à participer au CSAFM ne se résument pas à ceux énumérés plus haut. Bien conscients de la « cloche de verre » métaphorique qui repose sur la Forêt Montmorency et de la mission d’enseignement et de recherche de la Forêt, certains aimeraient toutefois que la chasse soit permise durant une certaine période et sous certaines conditions sur le territoire. Il aimerait qu’il soit possible d’harmoniser les activités de chasse et de trappe de la Nation avec celle qui se déroule déjà sur le territoire.

Tu sais nous autres c’est la chasse, la pêche, la trappe. Eux autre c’est quoi, l’effet sur le bassin versant de tel ruisseau de coupe forestière, c’est des questions qui nous ont probablement beaucoup moins touchés jusqu’à maintenant. Telle maladie sur l’arbre, je me souviens, les pluies acides sur la rouille du pin où sur la rouille de l’épinette. Bon, nous autres c’est intéressant, mais on les a approché une fois, on leur a dit « écoutez ce n’est pas normal qu’il

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n’y ait pas de trappeurs sur votre territoire ». Pourquoi que tout de suite on ne met pas en place un genre de réseau de trappe, puis de s’harmoniser avec les coupes forestières, puis de voir comment on peut se parler… Ah, on ne peut pas parce que l’on a un réseau de pistes, […] puis c’est un des plus gros en Amérique du Nord, puis si on commence à enlever des animaux par la trappe, on va diminuer les pistes, puis ça va être plus difficile à suivre. Ah d’accord, donc là on vient nuire à un projet de recherche qui est en cours. Tu vois, c’est pas évident! Ent68724

À ce titre, l’agrandissement est vu comme laissant place à une nouvelle collaboration. L’extrait suivant nous illustre bien certains éléments de la vision de la Nation à l’égard de l’aménagement présent et futur de la Forêt, surtout suite à son agrandissement :

[…] La FM c'est un cadre légal, c'est une forêt d'enseignement et de recherche, puis il y a une sorte de cloche de verre là-dessus qui fait qu'il n'y a pas de chasse à l'orignal, qu’il n’y a pas de piégeage. Il y a de la pêche mais un prélèvement minime qui est très contrôlé. Mais ça demeure pas moins que ça fait partie d’un territoire ancestral qui est celui de la Nation et que c’est comme un territoire auquel on n’a pas accès, où on ne peut pas pratiquer nos activités ancestrales. C’est sûr que là avec l’agrandissement de la FM, il y a ça de positif, parce qu’il y a déjà des activités. En tout cas, l’agrandissement ne viendra pas jouer là- dessus. Ça empêchera pas les gens de chasser, ça empêchera pas les gens de trapper, sauf que cette petite partie là de la forêt actuelle. On s’est déjà posés la question, on en a même déjà parlé au vice-recteur de l’Université puis aux gens. On aurait bien vu une entente, une semaine de chasse à l’orignal par année ou un trappeur qui sillonne le territoire. Il pourrait y avoir quelque chose de plus avec les communautés, où des ententes de partenariat […]. Je pense que ça pourrait même amener un plus aux activités que la Forêt propose, sans nécessairement faire un prélèvement excessif qui vient jouer sur les travaux de recherche des chercheurs. Parce qu’on le sait, exemple, l’orignal on le sait, il y en a, on en a c’est pas possible à la FM, faire un prélèvement de deux orignaux par année à la Forêt, sa brise pas le cheptel. Donc il y a peut-être ça un peu plus qu’on pourrait, que je verrais dans le futur améliorer à la Forêt. Ent97820

Quoique pour le moment, l’aménagement de la Forêt Montmorency satisfasse les intérêts et les attentes de la Nation huronne-wendat, ils conçoivent bien que leur participation est évolutive et ils espèrent que dans le futur elle sera amenée à changer. La Forêt possède selon eux un potentiel immense compte tenu qu’il s’agit d’un lieu d’innovation

[…] ici il y a un potentiel immense à la Forêt Montmorency, il y a une belle opportunité de travailler aussi pour eux avec une Première nation qui est dynamique. Ent48922

[…] mais sauf que l'on est dans un domaine, la foresterie, qui est en mutation incroyable. Il n’y a jamais eu si peu d'ingénieurs forestiers à la faculté. Ça ne va pas bien, le nouveau régime, la certification. Tout le monde se met là-dedans, les Indiens veulent embarquer puis tout ça. Donc, ça n'aura pas le choix d'être différent, mais quelle tournure ça va avoir pris, je ne le sais pas. Ent14519

109 Notamment, ils considèrent qu’ils pourraient apporter plusieurs contributions à la Forêt Montmorency en ce qui a trait aux normes sociales, aux enjeux sociaux, à l’harmonisation des activités et à la collaboration avec les Premières nations. Toutefois, le Comité discute beaucoup de normes techniques et peu de normes sociales ce qui leur laisse peu de place pour s’exprimer. Compte tenu des caractéristiques de Forêt universitaire d’enseignement et de recherche qui se veut être innovante et exemplaire, ils voient en elle un terreau fertile pour impliquer les Premières nations afin de repenser, d'étudier et d'enseigner les relations entre les Autochtones et les Allochtones dans le milieu forestier.

La Forêt Montmorency a besoin d’inputs sociaux. Comment on va faire de la coupe forestière qui va respecter les droits des gens et des autochtones? Il faut que tu ailles des autochtones qui vont te dire comment faire. Il faut pas que tu développes quelque chose puis qu’ensuite tu l’essayes. Il faut, à la base, que tu élabores des projets de recherche ensembles. Ent16719

Dans l'enseignement là, eux autres ils forment les seuls ingénieurs forestiers du Québec, puis ils font ça depuis des dizaines d'année. Puis, ils ont toujours enseigné la forêt en mètre cube, en hectares, en van de bois, en combien de temps pour récolter tel parterre puis tout ça. Ils n’ont jamais enseigné que dans la Forêt il y a du monde qui vit là. Puis entre autres, il y a des Autochtones qui vivent là. Puis en plus, encore plus vrai aujourd'hui. C'est que toi l'ingénieur forestier, [après] ton diplôme, une de tes premières job, sinon la première, ça va être d'aller en région, d'aller sur des tables de concertation, puis assis à côté de toi, il va y avoir un indien. Tu l'auras jamais vu de ta vie, tu sais même pas qu'elle langue il parle, tu ne sais même pas de quelle nation il vient, tu ne sais même pas de quelle communauté il vient. Il va être assis à côté de toi, puis il va dire, eih! Les coupes forestières ce n'est pas de même que ça se fait chez nous. Toi tu as ton beau diplôme, t'es fraichement rasé, tu es encore tout beau, pas poqué rien, première claque! Donc l'enseignement, il y a un problème d'enseignement, ou on n'enseigne pas un minimum de droits autochtones, un minimum d'histoire autochtone, puis un minimum de projets de cogestion autochtone. Puis ça c'est un manque, puis nous autres on peut aider la faculté de foresterie là-dedans. […] On peut amener une vision autochtone à l'enseignement du futur ingénieur. [Il pourrait savoir] c'est quoi les jugements Taku River et Haîda et l'obligation de consulter. Puis pourquoi est-ce que cet indien-là est assis à côté de toi à la même table. Il y a une raison pour ça. Ent81126

Mais c'est plus au niveau des impacts, le paysage, l'utilisation du territoire avant la coupe après la coupe, comment on peut optimiser dans le temps et dans l'espace des coupes pour ne pas nuire à des trappeurs, à des gens. Il y a plus un rôle d'établir des normes sociales, c'est ça que ce Comité-là devrait nous amener, puis c'est là que nous autres on est interpellés. Dans des normes sociales, mais on parle beaucoup de normes techniques. Ent11919

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Cette volonté de développer davantage de partenariats s’exprime particulièrement au sein des projets de certification FSC et d’agrandissement de la Forêt Montmorency qui, selon eux, laissent place à une plus grande contribution de la Nation huronne-wendat :

Pour venir mettre notre grain de sel au document, puis pour la certification, on s’entend qu’ils ont eu affaire à nous et qu’ils ont besoin de nous parler, le principe trois de la certification FSC ça traite juste des Autochtones! Donc, ça a été beaucoup un travail avec [X] l’anthropologue de venir dire on a des intérêts là, on voudrait que ça soit fait, peut-être éventuellement utiliser un peu de toponymie huronne-wendat sur le territoire. Je pense que je lisais dans le document d’agrandissement, ou je me souviens plus dans quel document, qu’il y avait des Monts à la Forêt Montmorency qui portaient des noms des fondateurs, ou je ne sais pas quoi. Donc, on se disait nous autre qu’il y avait des endroits où on sait que les Wendats sont allés, why not, on pourrait nommer ça. Bon, ça peut être vu comme des niaiseries, mais dans un exercice d’affirmation de droits, c’est intéressant pour nous. Ent91919

Si on voit une opportunité avec la Forêt? C’est sûr parce qu’on parle de l’agrandissement de la FM. Il y a eu dans le projet de loi sur l’aménagement durable du… Il y avait la notion de forêt de proximité et on voyait cette opportunité de partenariat avec la FM, avec l’Université Laval. Justement de dire, nous on est pour ce qui se passe sur le territoire de la Forêt et on voudrait exporter ça à une forêt de proximité. En faire une saine gestion avec les principes de l’Université Laval, avec ce qui est fait à la FM, donc ça on voit ça d’un très bon œil. Puis ce qu’on trouve plaisant avec l’agrandissement, c’est qu’il y aura un cadre qui sera beaucoup plus social dans certains secteurs, plus récréotouristique dans d’autres. Puis ça va venir toucher à toutes les notions et c’est ce que l’on voudrait voir exporter à l’extérieur aussi. Il reste à avoir une forêt de proximité pour appliquer ça. Ent23415

Ces projets illustrent bien aussi comment l’intérêt de la Nation huronne-wendat à participer peut être sujet à se transformer selon des évènements et des projets donnés. La Nation exprime aussi certaines attentes envers la Forêt Montmorency pour ce qui est de son aménagement futur. Cela nous illustre comment leur participation s’ancre dans une relation de réciprocité à long terme.

Je pense qu’à date je n’ai pas eu à m’opposer à quoi que ce soit en lien avec les droits, les activités et les intérêts. Peut-être que ça viendra, je ne sais pas. Je ne vois pas comment… c’est sûr que,… là on est limités dans nos activités à la Forêt Montmorency. On a accepté ce statut-là, il y a rien qui dit qu’éventuellement on n’essaiera pas de pousser davantage pour retrouver le libre accès au territoire. Je ne sais pas, il n’y a pas eu de discussions là-dessus. Mais, donc peut-être qu’au Comité à un moment donné je n’aurai pas le choix. Puis tsé, ça c’est quelque chose que l’on pourrait faire. Ent49815

111 Moi j'y crois parce que la foresterie de demain sera autochtone et ce n’est pas moi qui l'a dit c'est [X] qui l'a dit. La foresterie de demain sera autochtone. Mais là maintenant il faut peut-être y faire de la place à cet autochtone-là. Ent25420 Ça fait longtemps qu’on s’apprivoise. Puis là, il est temps que concrètement il y ait quelque chose qui tombe sur la table. Puis, c’est un monde, le monde scientifique, le monde de la recherche, c’est un monde qui est très fermé, très fermé! C’est un monde que tu veux influencer, mais on a peut-être pas pris notre place jusqu’à maintenant. Il y a peut-être pas eu beaucoup de projets qui nous ont touchés. Ent35521

L’évolution de la participation de la Nation huronne-wendat est aussi à comprendre dans les dynamiques politiques beaucoup plus larges entre la Nation huronne-wendat et l’Université Laval. On observe ici que l’acceptation de la certification et du projet d’agrandissement ont grandement été discutés à l’extérieur du Comité, car elles touchent des questions qui vont au-delà du mandat d’un comité scientifique. Ces discussions extérieures ont très certainement influencé la participation des représentants du Bureau du Nionwentsïo au Comité.

C’est ce que moi je pense, encore là le dossier n’est pas réglé et moi je suis pas sur le dossier de la certification, il y a des gens qui sont plus hauts que moi qui prennent des décisions dans ce sens là. Puis, même à la limite c’est un dossier politique la FM, le partenariat se fait entre le recteur et le grand chef. Donc, je pense qu’on n’a pas encore fini les discussions par rapport à l’utilisation du territoire, mais ça viendra pas à l’encontre de la certification, assurément pas. C’est un dossier un peu délicat, dès que le politique se mêle dans ça, puis tout dépend des projets qu’on a pour l’avenir, des projets qu’on veut faire avec cette compagnie là ou avec l’Université. C’est toujours délicat. Ent28913

Donc, on va s’assoir avec eux autres, puis entre autres pour le projet