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E. Les renvois et la coopération entre autorités de concurrence

1. Les renvois

328. Le règlement 139/2004 définit les seuils de chiffre d’affaires fixant la limite des compétences respectives de la Commission et des autorités de concurrence des États membres en matière de contrôle des concentrations. Cependant, il prévoit en outre à l’article 4, paragraphes 4 et 5, à l’article 9 et à l’article 22 des mécanismes de renvoi permettant, dans certains cas particuliers, l’examen d’opérations de dimension nationale par la Commission et, inversement, l’examen d’opérations de dimension européenne par les autorités nationales de concurrence. L’application des procédures de renvoi prévues par les articles 4(4) et 4(5) peut être demandée par les entreprises au stade de la pré-notification. Le renvoi prévu par les articles 9 et 22 est demandé par les États membres après réception de la notification.

329. Ces mécanismes de renvoi répondent à deux objectifs : permettre qu’une concentration soit examinée par l’autorité de concurrence la mieux placée pour mener l’examen ou permettre aux entreprises de bénéficier, le cas échéant, d’un « guichet unique », rôle joué par la Commission, dans les opérations impliquant des notifications multiples dans l’Union européenne.

330. Les conditions d’application de ces mécanismes de renvoi sont précisées par la communication de la Commission sur le renvoi d’affaires en matière de concentrations du 5 mars 2005.

a) Les renvois aux autorités nationales

331. Les renvois d’affaires de dimension européenne vers les autorités nationales de concurrence peuvent être effectués soit à la demande des entreprises, soit à la demande des États membres, éventuellement sur invitation de la Commission.

83 L’article 4(4)

332. La partie notifiante concernée par une opération de concentration entrant dans le champ d’application du règlement 139/2004 peut demander à la Commission le renvoi, total ou partiel, de l’opération envisagée aux autorités compétentes d’un État membre, en vertu de l’article 4 paragraphe 4 du règlement 139/2004. Pour ce faire, avant même de notifier la concentration, la partie notifiante doit informer la Commission au moyen d’un mémoire motivé (dénommé « Formulaire RS ») « que la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un marché à l’intérieur d’un État membre qui présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct et qu’elle doit par conséquent être examinée, en tout ou partie, par cet État membre ». La Commission transmet alors sans délai le mémoire à tous les États membres. L’État membre visé dans le mémoire motivé doit, dans un délai de quinze jours ouvrables suivant la réception du mémoire, exprimer son accord ou son désaccord sur la demande de renvoi de l’affaire. Au-delà de ce délai, il est réputé avoir accepté le renvoi. La Commission rend sa décision de renvoyer ou non l’affaire vers les autorités nationales dans un délai de vingt-cinq jours ouvrables à compter de la date où elle a reçu le mémoire motivé. En cas d’acceptation par la Commission d’une demande de renvoi d’une opération vers l’Autorité, le droit national des concentrations s’applique. Il appartient dès lors à la partie notifiante de déposer un dossier de notification auprès de l’Autorité. En cas de refus par la Commission de la demande, la partie notifiante doit notifier l'opération auprès de la Commission.

L’article 9

333. Le renvoi, total ou partiel, d’une opération de concentration notifiée à la Commission peut être demandé par les autorités compétentes d’un État membre en application des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9 du règlement 139/2004 lorsque « la concentration menace d’affecter de manière significative la concurrence dans un marché à l’intérieur de cet État membre qui présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct » (article 9.2.a), ou qu’« une concentration affecte la concurrence dans un marché à l’intérieur de cet État membre qui présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct et qui ne constitue pas une partie substantielle du marché commun » (article 9.2.b), ce dernier cas visant notamment les marchés de dimension géographique régionale ou locale. L’État membre peut décider de demander le renvoi de l’affaire pour examen de la totalité des marchés de produits ou services situés sur son territoire ou d’une partie d’entre eux seulement. La demande ne peut porter sur des marchés pertinents situés hors du territoire national. Néanmoins, le renvoi d’affaires affectant des marchés locaux dans les zones frontalières est possible si, pour des raisons liées au fonctionnement du marché, seule la partie nationale doit être incluse dans le marché pertinent.

Exemple 1 : dans sa décision M.2898 du 13 décembre 2002 la Commission a considéré

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que sur les marchés de la vente au détail, les autorités nationales étaient mieux placées pour examiner les effets de l’opération Leroy Merlin/Brico, en raison des caractéristiques locales des marchés concernés.

Exemple 2 : dans sa décision M.3373 du 4 juin 2004, la Commission a considéré que la demande de renvoi partiel de la France sur le marché des casinos dans l’opération Accor-Barrière était recevable, car ce marché était local et dans les zones affectées, les éléments tendaient à montrer que les casinos étrangers n’exerçaient aucune pression concurrentielle sur les casinos français.

334. La demande doit être formulée dans les quinze jours ouvrables qui suivent la réception par l’autorité nationale concernée de la copie de la notification déposée par la partie notifiante à la Commission. Elle peut être faite à l’initiative de l’État membre, exercée en France par l’Autorité, ou sur invitation de la Commission. La demande doit être motivée

« selon une analyse préliminaire » par l’État membre requérant. La Commission apprécie la pertinence et le bien-fondé de la demande au regard des conditions posées par l’article 9. Toutefois, dans le cas d’une demande fondée sur l’article 9.2.b, si la Commission constate que les conditions sont réunies, elle ne dispose pas de la faculté de refuser le renvoi demandé. En cas d’acceptation par la Commission de la demande de renvoi, la décision de la Commission vaut notification en droit national, les délais du contrôle national commencent donc à courir à partir de la date de la décision de renvoi.

335. Le fait qu’une demande de renvoi selon l’article 9 est fondée sur une menace d’affectation significative de la concurrence ne préjuge en rien, si le renvoi est accepté, des conclusions de l’examen qui sera mené au fond par l’Autorité. Le tribunal de première instance des Communautés européennes l’a rappelé dans son arrêt T-119/02 Royal Philips Electronics NV contre Commission européenne du 3 avril 2003. Des concurrents de la société Seb avaient contesté la décision de renvoi de la Commission vers la France, en invoquant la contradiction existant entre la motivation de la décision de renvoi, fondée sur une atteinte à la concurrence, et la décision du ministre chargé de l’économie, qui avait autorisé l’opération sans conditions, considérant que l’argument de l’entreprise défaillante s’appliquait. La partie notifiante soutenait que les autorités de concurrence françaises étaient liées par les termes de la décision de renvoi et qu’elles ne pouvaient pas approuver l’opération sans demander des engagements. Le tribunal a rejeté ce moyen, aux motifs que les deux décisions en cause n’avaient pas le même objet et qu’il n’existait pas de lien entre elles. Le Tribunal a confirmé que l’examen de la situation concurrentielle, effectué par la Commission à l’occasion du renvoi, était un examen prima facie, qui avait uniquement pour but de déterminer si les conditions du renvoi étaient réunies : « la Commission ne saurait, sous peine de priver l’article 9, paragraphe 3, premier alinéa sous b de sa substance, se livrer à un examen de la compatibilité de la concentration de

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nature à lier les autorités nationales concernées quant au fond, mais elle doit se borner à vérifier, au terme d’un examen prima facie, si, sur la base des éléments dont elle dispose au moment de l’appréciation du bien-fondé de la demande de renvoi, la concentration faisant l’objet de la demande de renvoi menace de créer ou de renforcer une position dominante sur les marchés concernés ». Les résultats de cet examen prima facie ne préjugent donc pas des conclusions des autorités nationales de concurrence à l’issue de l’analyse détaillée qu’elles pourront faire de l’opération.

336. En vertu de l’article L. 430-3, le renvoi total ou partiel d’une opération de dimension européenne fait l’objet d’un communiqué publié par l’Autorité. Ces opérations sont publiées sur le site Internet de l’Autorité, sous la rubrique dédiée aux opérations en cours d’examen, au même titre que les opérations notifiées directement à l’Autorité.

b) Les renvois vers la Commission

337. Des concentrations de dimension nationale peuvent être renvoyées devant la Commission à la demande des entreprises en vertu du paragraphe 5 de l’article 4 du règlement 139/2004 ou à la demande des États membres en vertu de l’article 22.

L’article 4(5)

338. Lorsqu’une concentration n’est pas de dimension européenne mais devrait être notifiée dans trois États membres ou plus, le règlement 139/2004, dans le souci de « garantir que des notifications multiples d’une concentration donnée sont évitées dans toute la mesure du possible », permet à la partie notifiante de demander un renvoi à la Commission avant toute notification aux autorités nationales compétentes.

339. La partie notifiante doit informer la Commission au moyen d’un mémoire motivé (« formulaire RS ») qu’elle souhaite lui notifier l’opération. Cette demande peut être adressée à la Commission dès lors que la concentration est susceptible d’être examinée par au moins trois États membres, aucune autre justification n’étant nécessaire. La Commission transmet sans délai le mémoire de la partie notifiante à tous les États membres. Tout État membre compétent pour examiner la concentration en application de son droit national peut alors, dans un délai de quinze jours ouvrables suivant la réception du mémoire, exprimer son désaccord sur la demande de renvoi. Faute de réponse dans ce délai, l’autorité nationale est réputée avoir donné son accord. Lorsqu’au moins un État membre a exprimé son désaccord dans le délai requis, la Commission en informe la partie notifiante et les États membres et l’opération n’est pas renvoyée : la partie notifiante doit alors la notifier auprès de chacune des autorités de concurrence des États membres concernés. Si, en revanche, aucun État membre ne s’oppose au renvoi, la partie notifie l’opération auprès de la Commission. Le droit européen du contrôle des concentrations s’applique alors.

86 L’article 22

340. L’article 22 du règlement 139/2004 prévoit la possibilité pour un ou plusieurs États membres de demander à la Commission d’examiner une concentration qui n’est pas de dimension européenne mais qui « affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande ». Ainsi qu’elle l’a indiqué dans sa décision n° 20-D-01 du 16 janvier 2020 relative à une pratique mise en œuvre dans le secteur de la diffusion de la télévision numérique terrestre, l’Autorité considère que cette disposition

« trouve, en principe, à s’appliquer alors même que l’opération de concentration concernée ne serait pas soumise à une notification obligatoire dans l’État membre à l’initiative du renvoi »29.

341. Les membres de l’ECA (European Competition Authorities) ont défini comme suit les principaux critères justifiant la mise en œuvre de l’article 22 :

« - la dimension géographique du (des) marché(s) pertinent(s) affecté(s) par la concentration est plus large que nationale, et le principal effet de la concentration sur la concurrence est en rapport avec ce(s) marché(s) ;

– les autorités nationales de concurrence s’attendent à rencontrer des difficultés dans la collecte des informations en raison de la localisation des parties concernées ou des principales parties tierces en dehors de leur État membre ;

– il existe des risques potentiellement significatifs d’atteinte à la concurrence sur un certain nombre de marchés nationaux ou régionaux de l’EEE, et les autorités nationales de concurrence s’attendent à rencontrer des difficultés pour identifier et/ou appliquer si nécessaire les remèdes appropriés et proportionnés, en particulier dans les cas où les remèdes adéquats ne peuvent être mis en œuvre par les autorités nationales de concurrence en application de leur droit national ou en établissant une coopération entre elles ».

342. La Commission informe de cette demande les autorités compétentes des États membres mais aussi les entreprises concernées. Les autres États membres disposent alors de quinze jours ouvrables pour se joindre à la demande initiale. Ainsi, l’Autorité peut mettre en œuvre l’article 22 du règlement 139/2004 pour des opérations prenant place en France, qu’elles aient ou non été notifiées à l’Autorité de la concurrence, ou pour des opérations dans un autre État membre30.

29 L’Autorité a précisé, à l’occasion de sa contribution au débat sur la politique de concurrence et les enjeux numériques publiée le 19 février 2020, que « le recours au renvoi prévu par ces dispositions permettrait aux autorités nationales de solliciter le renvoi à la Commission européenne pour examen d’un nombre limité d’opérations de concentration sous les seuils mais soulevant des enjeux concurrentiels forts. »

30 Voir la décision n° 20-D-01 du 16 janvier 2020 relative à une pratique mise en œuvre dans le secteur de la diffusion

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Exemple : en 2018, l’Autorité de la concurrence s’est jointe à la demande de renvoi formulée par l’autorité de la concurrence autrichienne s’agissant de la prise de contrôle de la société Shazam par la société Apple31. La même année, l’Autorité a formulé une demande de renvoi concernant la prise de contrôle exclusif de la société Les Chantiers de l’Atlantique par la société Fincantieri, à laquelle l’autorité allemande s’est jointe32. 343. Au terme de ce délai de quinze jours ouvrables, la Commission doit décider sous dix jours

ouvrables d’examiner ou non la concentration et en informer les États membres et les entreprises concernées. Par défaut, sans décision formelle, la Commission est réputée avoir accepté la demande. Les délais nationaux sont suspendus jusqu’à cette décision.

Dès qu’un État membre informe la Commission et les entreprises concernées qu’il ne souhaite pas se joindre à la demande, la suspension de ses délais nationaux prend fin. Si la Commission accepte le renvoi, tous les États membres ayant demandé ou s’étant joints à la demande cessent d’appliquer leur droit national à la concentration concernée. En outre, la Commission peut demander aux entreprises concernées de lui notifier l’opération.

344. Un éventuel recours à un renvoi sur le fondement de l’article 22 sera évoqué le plus tôt possible avec la partie notifiante, le cas échéant dans le cadre de la phase de pré-notification.

2. LA COOPÉRATION ENTRE AUTORITÉS DE