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F. Les mesures correctives

4. Le non-respect des mesures correctives

456. Si le suivi des mesures correctives fait apparaître un doute sérieux sur l’inexécution des engagements, injonctions ou prescriptions, le rapporteur général peut proposer à l’Autorité d’ouvrir une procédure de non-respect des mesures correctives qui s’imposaient à la partie notifiante. Une telle procédure peut être engagée aussi bien pour des opérations autorisées par l’Autorité pour que des opérations autorisées sous le régime antérieur à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions des articles L. 430-1 et suivants, intervenue le 2 mars 2009.

a) La procédure

457. En vertu des derniers alinéas du IV de l’article L. 430-8, la procédure applicable est

« celle prévue au deuxième alinéa de l’article L. 463-2 et aux articles L. 463-4, L. 463-6 et L. 463-7. Toutefois, les parties qui ont procédé à la notification et le commissaire du Gouvernement doivent produire leurs observations en réponse à la communication du rapport dans un délai de quinze jours ouvrés. L’Autorité de la concurrence se prononce dans un délai de soixante-quinze jours ouvrés ».

458. Pour instruire la procédure de non-respect des obligations qui incombaient à la partie notifiante, un ou plusieurs rapporteurs sont désignés par le rapporteur général ou le

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rapporteur général adjoint. Un rapport est rédigé conformément au deuxième alinéa de l’article L. 463-2 et est notifié aux parties, au commissaire du Gouvernement et aux ministres intéressés. Il est accompagné de l’ensemble des éléments sur lesquels se sont fondés les rapporteurs. La partie notifiante et le commissaire du Gouvernement disposent de quinze jours ouvrés pour présenter un mémoire en réponse. Une séance contradictoire est ensuite organisée devant le collège de l’Autorité selon les modalités énoncées par l’article L. 463-7 et le règlement intérieur de l’Autorité.

459. Au terme de cette procédure, si elle estime que les parties n'ont pas exécuté dans les délais fixés une injonction, une prescription ou un engagement figurant dans sa décision ou dans la décision du ministre ayant statué sur l'opération, l’Autorité prend l’une des décisions prévues au IV de l’article L. 430-8.

460. La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a introduit la possibilité pour l’Autorité de prononcer des injonctions en substitution de l’obligation inexécutée par les parties. L’Autorité peut ainsi imposer des mesures correctives permettant de remédier aux problèmes anticoncurrentiels identifiés dans la décision d’autorisation plutôt qu’enjoindre le respect d’engagements jusqu’alors inexécutés par la partie notifiante.

461. L’Autorité peut également prononcer une sanction pécuniaire pouvant s’élever au maximum, pour les personnes morales, à 5 % de leur chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu’a réalisé en France durant la même période la partie acquise. Le montant des astreintes qui peuvent être infligées ne peut dépasser la limite de 5 % de leur chiffre d’affaires journalier moyen par jour de retard à compter de la date fixée par l’Autorité.

462. La conformité de ces dispositions législatives à la Constitution, dans leur version antérieure à leur modification par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, a été confirmée par le Conseil constitutionnel dans une décision 2012-280 QPC du 12 octobre 2012. Il a relevé en particulier que ces injonctions visaient à garantir le respect effectif des mesures correctives et avaient pour objet d’assurer un fonctionnement concurrentiel du marché dans les secteurs affectés par l’opération de concentration.

b) La mise en œuvre de la procédure de non-respect des mesures correctives

463. Depuis le 2 mars 2009, l’Autorité a sanctionné à cinq reprises des entreprises pour le non-respect des engagements pris devant elle ou le ministre.

Exemple 1 : dans sa décision n° 12-D-15 du 9 juillet 2012, l’Autorité a constaté le non-respect d’un des engagements pris par la société Bigard devant le ministre de

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l’économie. En effet, alors que cette société s’était engagée à signer un contrat de licence portant sur l’utilisation de la marque Valtéro pour les produits de viande bovine vendus en grandes surfaces, elle a tenté de reporter la notoriété de cette marque vers une autre marque, ce qui était de nature à décourager les candidats susceptibles d'être intéressés par la licence de marque. Une sanction pécuniaire d’un million d’euros a été prononcée à l’encontre de cette société.

Exemple 2 : dans sa décision n° 11-D-12 du 20 septembre 2011, l’Autorité a constaté le non-respect par le groupe Canal Plus des engagements qu’il avait pris dans le cadre de la fusion de son bouquet satellite de télévision payante avec celui de la société TPS.

Elle a en conséquence, outre une sanction pécuniaire de 30 millions d’euros, retiré la décision du 30 août 2006 par laquelle le ministre avait autorisé cette opération. Dans la mesure où le bouquet satellite TPS avait disparu et où ses abonnés avaient été transférés sur les offres du groupe Canal Plus, il n’était plus possible de revenir à l’état antérieur à la concentration. L’opération de 2006 a été notifiée à nouveau le 24 octobre 2011 et autorisée, sous réserve d’injonctions par une décision n° 12-DCC-100 du 23 juillet 2012.

464. La décision de sanction n° 11-D-12 a été confirmée pour l’essentiel par le Conseil d’État par une décision du 21 décembre 2012. Il a notamment précisé la portée du principe de l’interprétation stricte des engagements en relevant que « l’Autorité de la concurrence est en droit de rechercher si, alors même que serait assuré le respect formel des critères expressément prévus par un engagement que l’évolution du marché n’a pas privé de son objet, les parties ayant pris cet engagement auraient adopté des mesures ou un comportement ayant pour conséquence de le priver de toute portée et de produire des effets anticoncurrentiels qu’il entendait prévenir ».

465. Le Conseil d’État a, dans la même décision, confirmé que la décision de retrait devait être proportionnée à la gravité des manquements constatés, notamment à l’importance des engagements en tout ou partie non respectés au regard de l’ensemble des mesures correctives adoptées, aux effets anticoncurrentiels qu’ils entendaient prévenir, à l’ampleur des manquements, ainsi qu’à la nécessité d’assurer le maintien d’une concurrence suffisante sur les marchés concernés. Il a, en l’espèce, constaté que le groupe Canal Plus avait manqué à des engagements qui se trouvaient au cœur du dispositif des mesures correctives prévues par la décision d’autorisation et dont la méconnaissance a eu des effets majeurs sur l’équilibre concurrentiel des marchés concernés. Il a donc confirmé la légalité du retrait de l’autorisation de 2006.

Exemple 1 : dans sa décision n° 16-D-07 du 19 avril 2016, confirmée par le Conseil d’État, l’Autorité a constaté le non-respect par les sociétés Altice Luxembourg et SFR

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Group d’un des engagements auxquels été subordonnée la décision d’autorisation du rachat de la société SFR par le groupe Altice. L’Autorité a prononcé à l’encontre de ces entreprises une sanction pécuniaire d’un montant de 15 millions d’euros.

Exemple 2 : dans sa décision n° 17-D-04 du 8 mars 2017, l’Autorité a constaté le non-respect par ces mêmes sociétés d’un autre engagement pris devant l’Autorité dans le cadre de la même décision d’autorisation. L’Autorité a prononcé à l’encontre de ces entreprises une sanction pécuniaire d’un montant de 40 millions d’euros, assortie de plusieurs injonctions afin de s’assurer qu’elles s’abstiennent de poursuivre les comportements constatés ou d’adopter un comportement dont l’objectif ou les effets seraient équivalents.

Exemple 3 : dans sa décision n° 18-D-16 du 27 juillet 2018, l’Autorité a constaté le manquement à plusieurs engagements de cession de magasins souscrits par le groupe Fnac à l’occasion de la prise de contrôle de la société Darty. Trois magasins n’avaient pas été cédés à un repreneur agréé par l’Autorité à l’issue de la période de cession prévue par les engagements. Outre une sanction pécuniaire de 20 millions d’euros, l’Autorité a prononcé des injonctions structurelles, en substitution des engagements de cession non exécutés, consistant en la cession de deux nouveaux magasins, en lieu et place des trois magasins initialement prévus, afin de rétablir une structure concurrentielle des marchés satisfaisante dans les zones de chalandise concernées par l’absence de cession des magasins initialement prévus.

c) L’appréciation des sanctions

466. Pour apprécier les mesures, parmi celles prévues par le IV de l’article L. 430-8, qu’appelle une inexécution des mesures correctives d’une décision d’autorisation, l’Autorité prend en compte l’ensemble des circonstances de l’espèce. Elle examine notamment la nature des manquements constatés, en appréciant leur gravité et l’atteinte à la concurrence que la décision d’autorisation avait pour objet de prévenir. L’Autorité peut également prendre en compte la nature des mesures correctives souscrites, leur importance dans l’économie générale de la décision d’autorisation, ou encore le temps écoulé depuis l’opération de concentration et la durée des mesures correctives restant à courir à la date à laquelle elle statue.

467. En outre, lorsqu’elle prononce une sanction sur le fondement des dispositions du IV de l’article L. 430-8, l’Autorité prend en compte, si elles sont établies, les éventuelles difficultés particulières que les parties allèguent avoir rencontrées pour exécuter leurs obligations. Dans une décision du 28 septembre 2017, Société Altice Luxembourg et Société SFR Group, le Conseil d’État a ainsi jugé que « dans le cadre d’une procédure de sanction pour manquements, les parties sanctionnées peuvent, pour soutenir que les

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manquements commis ne justifiaient pas la sanction prononcée, faire valoir des difficultés particulières qu’elles auraient rencontrées pour respecter leurs engagements ».

468. Enfin, les injonctions et sanctions prononcées par l’Autorité doivent être proportionnées aux manquements constatés. Plus précisément, les injonctions prononcées doivent être proportionnées à la gravité des manquements constatés et aux exigences de maintien ou de rétablissement d’un niveau de concurrence suffisant sur les marchés concernés. À cet égard, dans sa décision précitée du 28 septembre 2017, le Conseil d’État a jugé que « [e]u égard à leur objet qui, outre sa portée punitive, est la préservation de l’ordre public économique, les sanctions prévues par le 1° et le 2° du IV de l’article L. 430-8 du code de commerce, qui sont distinctes de la sanction pécuniaire prévue au quatrième alinéa de ce IV, doivent être proportionnées à la gravité des manquements constatés et aux exigences de maintien ou de rétablissement d’un niveau de concurrence suffisant sur les marchés concernés. Pour apprécier, dans ce cadre, la proportionnalité des injonctions sous astreinte, il y a lieu de tenir compte de l’importance des engagements en tout ou partie non respectés au regard de l’ensemble des mesures correctives adoptées et des effets anticoncurrentiels qu’ils entendaient prévenir, de l’ampleur des manquements et de la nécessité d’assurer le maintien d’une concurrence suffisante sur les marchés concernés. » Quant à la sanction pécuniaire, elle doit également être proportionnée aux circonstances de l’espèce. La nature particulière du manquement tenant au non-respect de mesures correctives s’inscrivant dans le cadre d’une autorisation d’une opération de concentration doit être prise en compte. Il importe donc que la sanction pécuniaire imposée en cas de non-respect de mesures correctives soit fixée à un niveau suffisant pour dissuader les entreprises concernées de ne pas exécuter leurs engagements ou de proposer sciemment des engagements difficilement exécutables.

d) L’absence de droit d’accès aux éléments du dossier par les tiers

469. Conformément à l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration, les documents élaborés ou détenus par l'Autorité dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs d'enquête, d'instruction et de décision ne sont pas communicables.

470. Ainsi, si, à la suite d’une opération de concentration dans le cadre de laquelle ont été prévues des mesures correctives, la nouvelle entité n’a pas correctement mis en œuvre ces dernières, un tiers qui s’estime lésé par le non-respect de ces engagements ou injonctions ne peut exiger de l’Autorité la transmission du rapport adressé par les services d’instruction à la partie notifiante, au collège de l’Autorité et au ministre. Par conséquent, il n’existe pas de droit d’accès au dossier pour les tiers à la procédure. Le tiers intéressé peut toutefois être entendu par les rapporteurs en charge du dossier dans le cadre de leur instruction et ses observations, versées au dossier sous couvert de la protection du secret

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des affaires, peuvent être prises en compte au cours de l’instruction.