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L’infraction de mise en œuvre anticipée d’une concentration, ou « gun jumping »

C. Les sanctions prévues à l’article L. 430-8 du code de commerce

2. L’infraction de mise en œuvre anticipée d’une concentration, ou « gun jumping »

L. 430-8)

173. Le II de l’article L. 430-8 dispose que « si une opération de concentration notifiée et ne bénéficiant pas de la dérogation prévue au deuxième alinéa de l’article L. 430-4 a été réalisée avant l’intervention de la décision prévue au premier alinéa du même article, l’Autorité de la concurrence peut infliger aux personnes ayant procédé à la notification une sanction pécuniaire qui ne peut dépasser le montant défini au I », soit, pour les personnes morales, 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu’a réalisé en France durant la même période la partie acquise, et, pour les personnes physiques, 1,5 million d’euros.

174. Cette disposition vise à garantir l’exercice effectif, par l’Autorité, de son pouvoir de contrôle de l’opération qui lui est notifiée et à éviter toute modification structurelle des

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marchés concernés par l’opération dans l’hypothèse où la partie notifiante viendrait à y renoncer, en tout ou en partie, de son propre fait ou du fait même de la procédure de contrôle des concentrations.

175. L’objectif de cet article est d’empêcher que les parties à l’opération cessent, avant la date d’autorisation, de se comporter comme des concurrents pour agir comme une entité unique et que l’acquéreur exerce de manière anticipée un contrôle de droit ou de fait sur la cible.

176. Lorsqu’elle apprécie si une opération a été réalisée de façon anticipée, l’Autorité analyse notamment si le comportement de l’acheteur l’a conduit, d’une quelconque façon, à exercer une influence déterminante sur la cible de façon anticipée, en s’appuyant sur une grille d’analyse analogue à celle qui est utilisée pour apprécier le caractère concentratif d’une opération. Pour cela, elle prend notamment en compte le comportement concret des parties à l’opération, afin d’apprécier dans quelle mesure elles ont continué à se comporter comme des concurrentes qui défendent leurs intérêts respectifs ou, au contraire, comme une entité unique partageant d’ores et déjà un objectif unique.

177. Certains comportements requièrent, à cet égard, une vigilance toute particulière de la part des entreprises.

178. Ainsi la conclusion de protocoles d’accord entre l’acquéreur et la cible afin de régir leurs relations pendant la période courant jusqu’à la conclusion ou l’autorisation de l’opération, par exemple dans le but de protéger la valeur de l’investissement de l’acquéreur, ne conduit pas, en elle-même, à caractériser une mise en œuvre anticipée de l’opération. Les parties doivent toutefois s’assurer que ce type d’accord ne conduise pas l’acquéreur à prendre le contrôle de tout ou partie de la cible avant l’autorisation de l’opération par l’Autorité. À cet égard, lorsqu’elle apprécie la compatibilité d’un protocole d’accord avec les dispositions du III de l’article L. 430-8, l’Autorité prend en compte la lettre du contrat – sa portée, son objet – mais également les modalités concrètes de son application. Les informations échangées avant l’opération entre l’acquéreur et la cible nécessitent également une vigilance particulière quant à la nature des données échangées, aux personnes à qui elles sont communiquées et aux modalités pratiques desdits échanges.

Afin d’apprécier l’adéquation des informations échangées au cadre juridique applicable, les parties peuvent utilement se référer à la jurisprudence en matière d’échanges d’informations sensibles entre concurrents.

179. Par ailleurs, il convient, afin d’éviter toute situation de mise en œuvre anticipée de la concentration, que l’acquéreur s’abstienne d’interférer dans la gestion interne de la cible ou de réduire son autonomie ; ainsi, la situation dans laquelle un acheteur attribuerait effectivement des fonctions à un nouveau responsable de la cible, pendant la période suspensive, constituerait un indice fort de son influence déterminante.

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180. Enfin, la période préparatoire à l’opération ne doit pas conduire les parties à adopter des comportements commerciaux qu’elles n’auraient pas adoptés avant l’opération, par exemple en concluant des accords commerciaux qui dérogeraient à la pratique normale de marché.

181. Pour déterminer le montant de la sanction, l’Autorité tient compte, notamment, des circonstances ayant abouti à la prise de contrôle et du comportement des entreprises en cause.

182. Le II de l’article L. 430-8 a été mis en œuvre dans une seule affaire à ce jour.

Dans sa décision n° 16-D-24 du 8 novembre 2016, l’Autorité a établi que les comportements mis en œuvre par les sociétés Altice Luxembourg et SFR Group ont conduit à la réalisation avant autorisation des opérations de prise de contrôle exclusif par le groupe Altice de la société SFR, d’une part, et du groupe Omer Telecom Limited, d’autre part. L’Autorité a notamment constaté le rôle actif du groupe Altice dans la gestion opérationnelle à la fois des sociétés SFR et Omer Telecom Limited et l’existence d’échanges d’informations stratégiques entre les parties. S’agissant de la prise de contrôle de la société SFR, l’Autorité a notamment constaté que, pendant la période suspensive du contrôle des concentrations, le groupe Altice est intervenu dans la gestion opérationnelle de la société SFR avant autorisation (validation de décisions stratégiques, suspension de promotion), que les parties se sont coordonnées pour le rachat du groupe Omer Telecom Limited et ont, plus généralement, renforcé leurs liens économiques afin de mettre en place des stratégies coordonnées et qu’elles ont échangé des informations stratégiques.

Concernant la prise de contrôle de la société Omer Telecom Limited, l’Autorité a constaté que, pendant la période suspensive du contrôle des concentrations, le groupe Altice a été amené à prendre des décisions stratégiques et a mis en place une surveillance hebdomadaire des performances économiques. En outre, le groupe Altice a eu accès à des informations commercialement sensibles. L’Autorité a tenu compte de l’ampleur et de l’importance particulière des activités concernées, de la durée de l’infraction, des risques d’effets anticoncurrentiels des comportements mis en cause et de la volonté des responsables de contourner de manière délibérée l’obligation légale de suspension. En conséquence, l'Autorité a sanctionné le groupe Altice à hauteur de 80 millions d'euros23. Ce montant de sanction tenait compte d’une atténuation, l’entreprise mise en cause ayant accepté une transaction.

183. Il convient enfin de rappeler que la mise en œuvre anticipée d’une opération de concentration peut également conduire à la sanction des entreprises en cause au titre de la prohibition des pratiques anticoncurrentielles, qu’il s’agisse de la qualification

23 Cette décision n’a pas fait l’objet de recours devant le Conseil d’État.

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d’entente illicite ou d’abus de position dominante. Un tel risque est d’autant plus important en présence d’une opération entre concurrents.

3. L’OMISSION OU LA DÉCLARATION INEXACTE (III DE