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Le renouveau contractuel dans le mouvement de diversification. Cette vague de

II - Les influences endogènes (internes au droit des sociétés)

49. Le renouveau contractuel dans le mouvement de diversification. Cette vague de

renouveau contractuel qui touche toutes les formes sociales a entraîné une révolution dans le domaine des valeurs mobilières. Comme cela a fort bien été souligné par un auteur, la diversification des valeurs mobilières s’opère sous le signe contractuel303. De plus, dans un contexte de renforcement des fonds propres de la société304, plus de liberté dans l’émission des valeurs mobilières s’avère nécessaire305

. La libéralisation du droit des sociétés par voie de modifications de la loi de 1966, cantonnée au seul renforcement des fonds propres de la société a entraîné à sa suite toute une série de mesures sur la diversification des valeurs mobilières. Ces mesures ont peu à peu transformé le paysage des titres que peuvent émettre les sociétés.

301

C. LE BRETON, Principales mesures adoptées par l’ordonnance n° 2009- 80 du 22 janvier 2009 relative à l’appel public à l’épargne et portant diverses dispositions en matière financière, Option finance 9 février 2009, p. 24- 25; PH. D’HOIR, La réforme de l’appel public à l’épargne et ses principales conséquences, Option finance 23 février 2009, p. 23- 25.

302

J. PAILLUSSEAU, L’organisation du pouvoir dans la SAS, Dr. et patrimoine 3/2003, p. 26 et s.

303

H. CAUSSE, Les titres négociables- Essai sur le contrat négociable, préf. B. Teyssié, Bibl. dr. ent., Litec, 1993, p. 25.

304

B. CORDIER, Le renforcement des fonds propres de la société anonyme, préf. Y. Guyon, Bibl. dr. privé, t. 204, LGDJ, 1989.

305

F. DRUMMOND, Un nouveau principe : la liberté d’émettre « toutes valeurs mobilières », RD bancaire et financier sept./ oct. 2004, p. 361.

La démarche est nouvelle, elle consiste à observer les dispositions existantes à travers le prisme des besoins financiers des entreprises306. Ce pragmatisme est influencé par diverses études ou rapports élaborés tant par des organismes professionnels (CCIP, CNPF) que par les parlementaires. En effet, un travail approfondi sous forme de diverses études307 ou rapports est fait dans le but de rendre plus flexible et plus attirant le droit des sociétés pour les investisseurs étrangers. Le droit des sociétés est donc mis au service de la diversification des valeurs mobilières308. Cette œuvre de diversification aboutit à l’ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 sur les valeurs mobilières, dernière majeure réforme en date. L’ordonnance marque un tournant dans le droit des valeurs mobilières en introduisant les actions de préférence. En autorisant, la modulation du droit de vote, elle consacre la nécessité de flexibilité en droit des sociétés. Mais, cette flexibilité souhaitée dans les sociétés ne doit pas conduire dans ses effets à l’effet inverse. Elle ne doit léser aucun des acteurs de la société, d’où la nécessité de poser des limites.

2- Les limites du renouveau contractuel

Il y a sans doute un paradoxe. Alors qu’elle recherchait jusqu’alors des espaces de liberté, la doctrine se trouve désormais conduite à suggérer au législateur les éléments d’un ordre public irréductible. Si personne ne peut souhaiter le maintien d’un droit excessivement vétilleux néfaste économiquement, il faut toutefois fixer les bornes que la contractualisation ne doit pas pouvoir franchir309. Comment donc assurer le nécessaire équilibre entre la liberté et les limites ? Le droit doit intégrer la flexibilité en lui assurant des limites efficaces310. Dans cette matière comme dans bien d’autres, on mesure combien il est difficile de traduire en règles de droit le juste milieu entre le respect de la liberté contractuelle et la protection de l’ordre public311. La diversification des valeurs n’appelle t-elle pas à une nouvelle définition de l’ordre public en la matière ou alors doit-on se contenter des critères classiques posés en la matière ? Au-delà, la conquête de cette liberté nécessitera obligatoirement de trouver une nouvelle définition en la matière. Par ailleurs, parce que l’intérêt social apparaît comme un filtre, il peut constituer une autre limite.

306

A. PIETRANCOSTA, Le droit des sociétés sous l’effet des impératifs boursiers et financiers, th. dactyl. Paris I,

1999, p. 137.

307

Ph. MARINI, La modernisation du droit des sociétés, Coll. des rapports officiels, éd. La documentation française, 1996.

308

A. PIETRANCOSTA, op. cit., p. 141. 309

D. RANDOUX, Le droit des sociétés à la recherche d’un nécessaire équilibre, Rev. sociétés 2000, p. 105.

310

S. SCHILLER, Les limites de la liberté contractuelle en droit des sociétés- les connexions radicales, préf. F. Terré, Bibl. dr. privé, t. 378, LGDJ, 2002, p. 139.

311

a- Le nécessaire respect de l’ordre public

50. L’ordre public, notion à contenu variable. Comme plusieurs autres notions l’ordre

public est considéré comme un standard, une notion à contenu variable. Il s’agit de notions à contenu indéterminé car elles ne peuvent donner lieu à des définitions précises. Ce malaise engendré par l’indétermination est au creux des questions les plus délicates pour les juristes. L’indétermination renvoie aux notions fuyantes de fait et de droit, de pouvoir discrétionnaire et d’appréciation souveraine312. Mais l’emploi de ces notions par le juge permet parfois de restituer à la matière une certaine cohérence313. Parmi ces notions à contenu variable, l’ordre public occupe une place importante. C’est une notion particulièrement fuyante qui ne se laisse guère enfermer dans une définition314. Un auteur expliquait la difficulté d’appréhension de l’ordre public pour trois raisons principales : la première tient à la diversité qui saisit l’observateur : diversité de l’ordre public et diversité des textes qui en font la référence. La deuxième difficulté tient à un problème d’identification de l’ordre public, et enfin, au fait qu’il a fait l’objet de nombreuses réflexions. Il en découle une multitude de définitions en la matière. Comme le rappelait J. Pineau dans son rapport général du droit civil, Ph. Malaurie en dénombrait vingt-deux définitions en 1953315.

La définition du domaine de l’ordre public est le fait du législateur, l’article 6 du Code civil français est un texte essentiel qui interdit de « déroger par des conventions particulières aux règles qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ». A travers l’atteinte qu’il porte à la liberté contractuelle, il fait de l’ordre public une contrainte face à une revendication de liberté que formulent les acteurs de la vie économique316. Mais à côté de dispositions de portée générale, le législateur, de plus en plus souvent qualifie expressément d’ordre public, tout ou partie des dispositions qu’il instaure. Il est aussi communément admis que, à côté de cet ordre public textuel, il existe un ordre public virtuel dont le juge a vocation à révéler l’existence s’il estime que le respect de cette disposition est particulièrement impérieux. Cette détermination judiciaire du contenu de l’ordre public s’effectue sous le contrôle de la Cour de

312

S. RIALS, Les standards, notions critiques du droit, in Les notions à contenu variable, Bruxelles, Etablissement E. Bruylant, 1984, p. 40.

313

J. GHESTIN, L’ordre public, notion à contenu variable en droit privé français, in Les notions à contenu variable en droit, Bruxelles, Etablissements E. Bruylant, 1984, p. 78. Il le traduit à travers l’exemple de l’intérêt de l’enfant, celui des époux ou celui de la famille.

314

J. GHESTIN, art. précit.

315

J. PINEAU, Rapport général in L’ordre public, travaux de l’association H. Capitant, Journées libanaises, t. XLIX, LGDJ, 1998, p. 337 et s.

316

J. MESTRE, L’ordre public dans les relations économiques, in L’ordre public à la fin du XXème siècle, travaux de l’association H. Capitant, Journées libanaises, t. XLIX, LGDJ, 1998, p. 125 et s.

cassation. Le contenu de l’ordre public est donc déterminé par des sources diversifiées. Il ne résulte pas des seules lois impératives317. Il ressort que l’ordre public est une notion fluctuante, s’il a un caractère intemporel, l’ordre public n’est pas immuable. Ceci est d’autant plus vrai en droit des sociétés.

51. L’ordre public sociétaire. La notion d’ordre public ne rencontre pas plus de précision

en droit des sociétés. Dans sa thèse318consacrée à l’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, Madame Monsallier compare la détermination de l’impératif légal sociétaire à une montagne dont l’un des versants est facile à gravir, alors que le second paraît présenter de nombreuses difficultés319. En effet, si le caractère expressément ou implicitement impératif est souligné dans certaines dispositions et sanctionné par une nullité textuelle, pour d’autres la détermination est difficile car il s’agit de dispositions dont le caractère impératif n’est pas douteux, mais qui ne sont pas sanctionnées par des nullités. Pour elle, l’ordre public n’est pas une notion dont le contenu est uniforme ou « moniste ». Elle distingue un ordre public absolu qui recouvre toutes les dispositions d’ordre public ayant pour objet le fonctionnement de l’institution sociétaire et un second type d’ordre public infra- sociétaire qui a trait à la protection des actionnaires participant au fonctionnement de la société320. Il existe donc un ordre public sociétaire, un ensemble de règles de caractère impératif, dont les associés n'ont pas la libre disposition et qui fait de la société aussi une institution. Pour un autre auteur321, l’impératif est associé à l’obligatoire et l’interdit, il intéresse l’injonction, la prohibition et leur corollaire : la sanction. L’ordre public est donc entendu comme la règle à laquelle les associés ne peuvent déroger sans encourir la sanction. Alors que le supplétif est appréhendé comme le facultatif, l’autorisé, le permis. Plus une structure est organisée, et plus la part d’impératif est grande. Ainsi, dans une structure dotée de la personnalité morale, à la différence des sociétés en participation, il y a moins de

317 Sur la question du rapport entre les lois impératives et l’ordre public, il ressort que le domaine de l’ordre public est plus large que celui des lois impératives, l’ordre public ayant d’autres sources que la loi. Certains auteurs ont soutenu que l’ordre public n’existerait qu’en dehors des lois impératives. Cette conception est considérée comme restrictive car elle aboutirait à vider de son contenu l’ordre public économique et social, essentiellement législatif et réglementaire.

318

M.-C. MONSALLIER, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, préf. A. Viander,

Bibl. dr. privé, t. 303, LGDJ, 1998. 319 M.-C. MONSALLIER, th. précit.., p. 356. 320 M.-C. MONSALLIER, th. précit., p. 367. 321

L. CONVERT, L’impératif et le supplétif dans le droit des sociétés, préf. B. Saintourens, Bibl. dr. privé, t. 374, LGDJ, p. 45.

supplétif322. Mais, il relève que si ces deux notions sont a priori stables dans leur signification, elles sont changeantes dans leur distribution323.

Madame Schiller dans sa thèse324 fait le constat de l’insuffisance des outils classiques pour définir l’ordre public. Sa démarche est plus hardie. Afin de cerner les limites de la liberté contractuelle, elle part du constat d’une insuffisance des critères de détermination de règles obligatoires. Or, l’outil classique de détermination d’une règle obligatoire est son appartenance à l’ordre public. Il lui faut donc procéder à une recherche des limites dans la détermination du caractère obligatoire, ou d’ordre public, des règles considérées325

. Les limites de la liberté contractuelle en droit des sociétés n’ont pu être définies par la détermination d’une qualification obligatoire de ses règles en application d’une méthode générale. Pour Mme Schiller, la détermination des règles essentielles se fait non pas à partir des dispositions de la matière, mais en tenant compte d’une sorte de lien essentiel entre certaines règles existantes. Ce qui est impératif, ce n’est pas l’un ou l’autre des termes du lien mais le lien lui-même, d’où l’invention par Mme Schiller du concept opératoire de connexions radicales326.

Ces connexions ne fixent pas de nouvelles règles impératives au sein du droit des sociétés, mais elles déterminent, dans cette matière, des liens entre des règles qu’il sera impossible de dissocier327. Pour cet auteur, les limites proposées à la liberté contractuelle en droit des sociétés ne doivent pas être des concepts flous, dont le contenu peut évoluer, ce qui est le cas de l’ordre public. Pour elle, il ne s’agit pas de déterminer un catalogue plus ou -moins complet d’aménagements contractuels qui seraient autorisés ou non. Ainsi, en droit des sociétés, il faudra donc déterminer le lien naturel entre certaines règles existantes. L’analyse proposée par Mme Schiller est séduisante, du fait qu’elle permet d’appréhender les conventions dans leur globalité pour en saisir la finalité. Elle pourrait être utilisée dans notre raisonnement pour expliquer les modulations que permet le droit de vote du fait de la diversification des valeurs mobilières. Elle pourrait servir de point de réflexion pour une analyse de la connexion capital Ŕ droit de vote.

322

L. CONVERT,op. cit., p. 348. Adde, M.-C. MONSALLIER, op. cit., p. 352. L’absence de précision de la norme légale participe sans doute d’un accroissement du supplétif.

323

L. CONVERT,op. cit.,p.47.

324V. S. SCHILLER, Les limites de la liberté contractuelle en droit des sociétés- les connexions radicales, préf. F. Terré, Bibl. dr. privé, t. 378, LGDJ, 2002.

325

F. TERRE, dans la préface de S. SCHILLER, Les limites de la liberté contractuelle en droit des sociétés- les connexions radicales, Bibl. dr. privé, t. 378, LGDJ, 2002, p. VII.

326V. S. SCHILLER,th. précit.

327