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III - L’existence d’une inégalité en droit des sociétés

129. Portée du principe d’égalité en droit des sociétés. Que doit-on retenir de

l’application du principe d’égalité dans les sociétés par actions? La multiplication des catégories d’actions s’est heurtée au principe d'égalité entre les actionnaires reconnu comme essentiel dans la structure du droit des sociétés autant par la doctrine que par la jurisprudence. Pressée par les exigences économiques et financières, la société multiplie la création de titres particuliers pour attirer les investisseurs. Au nom des impératifs économiques et financiers, la tendance est à la création de titres de plus en plus spécifiques, ce qui entraîne naturellement une multiplication des catégories. A la diversification des valeurs mobilières, correspond une diversification des apporteurs en fonds propres. Dès lors, le principe d’égalité doit être perçu autrement dans la société par actions et surtout dans la société anonyme. L’égalité devient relative, elle admet différents types d’actions mais ces actions sont classées par catégorie et chaque catégorie reçoit le même traitement. Le postulat de l’existence d’une égalité relative dans les sociétés permet donc de nuancer les atteintes au principe d’égalité. Cette égalité relative n’est-elle pas la preuve de l’échec d’une véritable égalité en droit des sociétés ?

III - L’existence d’une inégalité en droit des sociétés

L’idée d’une égalité stricte semble mal adaptée au droit des sociétés par actions car celui-ci est structurellement inégalitaire. En effet, les objectifs, les modalités d’acquisition du capital ou encore l’étendue des participations ou l’attachement à la société peuvent recouvrir des situations extrêmement disparates773. Le rôle du principe de proportionnalité étant d’assurer une égalité proportionnelle entre les actionnaires, il est clair que plus un actionnaire a d’actions, plus il a de droits, ce qui peut être une source d’inégalité. Les sociétés dans leur fonctionnement institutionnalisent ces inégalités. Elles se traduisent également par le

771

M. GERMAIN, art. précit.

772 Mémento Francis Lefebvre sociétés commerciales, Rep Rossi: AN 3-12-1990, § 31295, p. 5543.

773

V. ALLEGAERT, Le droit des sociétés et les libertés et les droits fondamentaux, Presses universitaires d’Aix Marseille, 2005, p. 91.

traitement différencié des acteurs et des structures même dans lesquelles évoluent ces acteurs. Par ailleurs, l’institution de la société par actions simplifiée et la consécration des actions de préférence ne vont pas dans le sens du rétablissement d’une égalité. Le monde des sociétés apparaît alors comme une terre d’inégalités774

. Ces inégalités sont observables à deux niveaux. Elles ont cours aussi bien entre les associés au sein d’une même société qu’entre les sociétés elle-même (A). Comme le souligne un auteur, le cadre juridique de la société par actions est fondamentalement inégalitaire775. Il en résulte donc un large éventail d’inégalités

(B).

A- Un droit des sociétés structurellement inégalitaire

130. Inégalités entre les sociétés. La grande diversité des sociétés776, les formes qu’elles recouvrent, sont autant de facteurs d’inégalités. Qu’il y a-t-il de comparable entre une petite société anonyme fermée et une autre qui procède à une offre au public de titres financiers? Entre ces deux types de sociétés, la différence n’est pas de nature mais de degré. Ou encore comme le souligne un auteur : quelle égalité, là encore, entre la société-mère qui conduit la politique d’ensemble, et la filiale contrôlée à 99% qui la subit ?777

Les exemples peuvent être multipliés. Ces différences entraînent donc un traitement différencié de ces structures. Cette inégalité qui touche les sociétés, se retrouve aussi au sein des associés d’une même société.

131. Inégalité entre associés au sein d’une même société. L’extrême diversité des

actionnaires qui composent l’actionnariat est source parfois d’inégalité dans la société. Ainsi parmi les actionnaires ordinaires de la société, on retrouve des investisseurs institutionnels que sont généralement des fonds de pension anglo-saxon, des salariés actionnaires, des petits actionnaires778, des sociétés de capital-risque….La liste est bien longue. On oppose classiquement les actionnaires majoritaires aux minoritaires779. Pour les membres de l’école de Rennes, une distinction doit être établie entre les actionnaires bailleurs de fonds qui ne participent pas à la gestion et les contrôlaires qui eux ont le pouvoir de décision dans la

774

J. MESTRE, L’égalité en droit des sociétés- aspects du droit privé, Rev. sociétés 1989, p. 399.

775

P. DIDER, L’égalité des actionnaires : Mythe ou réalité, rapport de synthèse in L’égalité des actionnaires, JCP E 1994, cah. dr. ent., n° 5, p. 18.

776

D. BUREAU, L’altération des types sociétaires, Etudes de droit privé, in Mélanges offerts à P. Didier, Economica, 2008, p. 56.

777

J. MESTRE, art. précit.

778 6,7 millions d’actionnaires individuels.

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société780. Les tenants de cette doctrine justifient donc l’éclatement catégoriel de la notion d’associé par la différence de mobiles, mobiles qui président à l’acquisition des parts. Le constat est celui d’une véritable hétérogénéité au sein de la catégorie d’actionnaires. Cette diversité dans la composition de l’actionnariat est accentuée par la diversification des valeurs mobilières. Il est donc naturel de croire qu’entre des actionnaires aussi différents il n’y a ni communauté de stratégie, ni communauté d’intérêt, et en tout cas, il n’y a aucune comparaison possible en ce qui concerne leur poids respectif et leur influence réelle781. En effet, la raison de l’engagement de chaque actionnaire peut varier en fonction des critères économiques, culturels ou sociaux782. En outre, la structure de la société par actions en général et de la société anonyme en particulier participent à accentuer cette situation.

B- Un large éventail d’inégalités

132. Le caractère inégalitaire de la loi de la majorité. Le principe même de

fonctionnement des sociétés par actions favorise une distribution inégalitaire du pouvoir. La loi du capital permet d’octroyer des droits de vote en fonction du capital investi783

. Le principe de la loi de la majorité784 conduit à institutionnaliser cette inégalité. Les voix permettant de concourir à la formation de la majorité sont attachées aux titres et non à la personne. Le principe majoritaire postule que « la volonté exprimée par le plus grand nombre au sein d’un groupe devient la loi des membres du groupe »785. Le principe majoritaire est affirmé à l’article L. 225-98 alinéa 3 du Code de commerce. En vertu de cette disposition, l’assemblée générale statue à la majorité des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés. Dans les sociétés par actions, les actionnaires ne peuvent participer à la vie de la société qu’en leur qualité de membre de l’assemblée. Le droit de l’actionnaire se réduit donc à un droit de vote786. La loi de la majorité peut ainsi porter atteinte au droit d’une personne au nom d’une décision prise contre son gré par une majorité d’autres individus. Le mécanisme du pouvoir majoritaire est inégalitaire. Ce caractère inégalitaire du pouvoir majoritaire vient

780 V. CL. CHAMPAUD, Le pouvoir de concentration de la société par actions, préf. Y. Loussouarn, Bibl. dr. com., Sirey, 1962, p. 29 et s ; J. PAILLUSSEAU, La société technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967, p. 7.

781

P. DIDIER, L’égalité des actionnaires : Mythe ou réalité, rapport de synthèse in L’égalité des actionnaires, JCP E 1994, II, cah. dr. ent., n° 5, p. 18.

782V. J.-M. MOULIN, th. précit..

783

X. BOUCOBZA, La loi de la majorité dans les sociétés de capitaux, in Mélanges AEDBF III, Banque éditeur, 2004, p. 45 et s.

784

Pour les fondements de la loi de la majorité, v. F. TERRE, Fondements historiques de la loi de la majorité, RJ com. 1991, n° spéc., p. 9 et s.

785

D. SCHMIDT, Exposé introductif in La loi de la majorité, RJ com. 1991, n° spéc., p. 7.

786

G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, 18ème éd. par M. GERMAIN, t. 1- v. 2, Les sociétés commerciales, LGDJ, 2002, p. 336.

de ce que dans l’intérêt de la société la majorité impose sa volonté qui s’exprime sous forme d’une décision collective, à la minorité. Ainsi, une personne peut détenir la quasi-totalité des actions d’une société et disposer ainsi de droits incomparablement supérieurs à ceux des minoritaires. La loi de la majorité est différente de celle d’un régime démocratique787. Comme l’a fort bien souligné un auteur, « si la loi de la majorité est largement reconnue en droit des sociétés, son association à la loi du capital en bouleverse les fondements. Plutôt que d’être un processus de formation d’une volonté du groupe, elle devient un moyen de dégager une volonté dans le groupe »788. Le dispositif légal relatif aux sociétés par actions, particulièrement « les mécanismes de dévolution et de prise de décision institutionnalise la diversité et l’inégalité rencontrées au sein de l’actionnariat »789

. Force est de constater que, si son organisation semble refléter une certaine démocratie, en réalité ce n’est pas le cas. A cette inégalité, les statuts ou la loi peuvent en imposer d’autres.

133. Les inégalités mises en œuvre par la loi. Si la loi NRE a mis fin à une inégalité en

supprimant l’obligation de détention d’un certain nombre d’actions pour assister aux assemblées, certaines dispositions demeurent et favorisent des inégalités. C’est le cas par exemple du fait de rassembler le cinquième des actions pour poser une question écrite, récuser le commissaire aux comptes, ou demander une expertise de gestion. En effet, il résulte de l’article L. 225- 231 du Code de commerce que l’expertise de gestion peut être demandée par un actionnaire ou une association représentant au moins 5% du capital de la société, ce qui à notre sens n’est pas évident dans les sociétés cotées. Si une évolution semble se faire en la matière, bien des difficultés demeurent encore.

134. Conclusion de la section II. Quelle est alors l’exacte portée du principe d’égalité

dans les sociétés ? L’égalité entre actionnaires est l’une de ces formules dont Paul Valery disait qu’elles ont plus de valeur que de sens. Doit-on dénier tout intérêt à l’égalité relative dont nous avons parlé tout à l’heure ? La diversité ne traduit-elle pas plutôt la dynamique d’un système ? En réalité, l’existence d’une égalité relative n’est que la traduction de la réalité en droit des sociétés. Cette inégalité s’explique par le fait que les sociétés par actions ont pour finalité de drainer des capitaux nécessaires au développement des entreprises. Ce but qui leur est assigné permet de justifier le principe « une action-une voix » et donc d’expliquer les

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C. DANGLEHANT, Le nouveau statut des minoritaires dans les sociétés anonymes cotées : L’application du principe d’équité, Rev. sociétés 1996, p. 217 ; X. BOUCOBZA, La loi de la majorité dans les sociétés de capitaux,

in Mélanges AEDBF III, Banque éditeur, 2004, p. 45 et s.

788

X. BOUCOBZA, art. précit.

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différentes catégories d’actions existantes790. L’évolution du droit des sociétés fait ressortir d’autres questions sur l’égalité. L’intrusion du droit boursier en la matière est significative. La réglementation par exemple des offres publiques qui place sur le même pied minoritaires et majoritaires lors de la prise de contrôle ou encore la possibilité offerte à l’actionnaire minoritaire de se retirer de la société lorsque l’actionnaire majoritaire détient plus de 95 % des droits de vote, témoignent d’autres appréciations du principe d’égalité, l’égalité se meut alors en équité791.

135. Conclusion du Chapitre I. Quelle analyse pouvons-nous faire de l’aménagement du

droit de vote, déterminant direct du pouvoir dans la société ? Il ressort de notre analyse que la loi offre de nombreuses possibilités pour aménager le droit de vote. Le droit de vote, parce qu’il permet de décider aux assemblées et par conséquent déterminer la politique sociale ce qui en fait un enjeu important. Les aménagements sont la traduction des différents intérêts en présence. En permettant la création d’actions de préférence, l’objectif du législatif est de dessiner les contours d’un instrument attractif tout en permettant aux émetteurs de le moduler en fonction de leurs besoins. L’article L. 228- 11 du Code de commerce marque un tournant en droit des sociétés.

En institutionnalisant la suppression définitive du droit de vote, il ébranle le droit des sociétés dans un de ses principes. Il consacre également la dissociation du pouvoir et du capital. Dès lors, on peut admettre l’existence d’actions sans droit de vote. Il est légitime de se poser la question de la place accordée au droit de vote dans la recherche des qualifications792. Si le droit de droit n’est plus inhérent à la qualité d’actionnaire, c’est qu’il existe des alternatives au droit de vote. La diversification des valeurs mobilières entraîne également une diversification dans la nature de l’obligation. De simple, elle peut désormais être composée, voire surcomposée. La naissance de ces obligations composées consacre la possibilité pour une obligation de devenir une action. En ce sens, elles se présentent comme des déterminants indirects du pouvoir dans la société.

790 Ibid.

791 Infra, v. nos développements dans la deuxième partie, Titre II, chapitre II.

792

Chapitre II