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De la relocalisation à la restauration du Parlement (1436-1454)

Chapitre 1 Les années 1450 : (re)constructions

2. Guerre, paix et justice

2.2. Justice et paix dans la législation royale

2.2.1. De la relocalisation à la restauration du Parlement (1436-1454)

La grande ordonnance pour la réformation de justice de Montils-lès-Tours, promulguée en 1454 et essentiellement connue pour avoir préconisé la rédaction par écrit des coutumes du royaume – le dernier des 125 articles qui la composent456 – intervient huit ans seulement avec un grand règlement, publié en 1446457. Avant cette date, il faut remonter à 1345 pour trouver un texte d’une ampleur comparable – du moins dans le corpus connu – c’est-à-dire à l’ordonnance qui institutionnalise véritablement le Parlement, qui en fixe précisément l’organisation, le personnel et les fonctions, et que l’on s’accorde à considérer comme le texte fondateur de l’institution458. Entre ces deux dates, on trouve une myriade de textes – une quinzaine au moins459 – de moindre

456. « Lettres de Charles VII, pour la réformation de la justice », ORF, vol. 14, p. 284-313. L’article sur la rédaction des coutumes est à la fin du texte, article 125.

457. « Lettres de Charles VII, touchant le style du Parlement », ORF, vol. 13, p. 471-482.

458. Sur l’ordonnance de 1345 comme acte de naissance de l’institution, voir F. Autrand, Naissance d’un grand corps de l’État, op. cit., p. 21-23 ; et F. Hildesheimer et M. Morgat-Bonnet, Le Parlement de Paris. Histoire d’un grand corps de l’État monarchique, Paris, 2018, p. 113-114.

459. « Ordonnance touchant le Parlement », 1345, ORF, vol. 2, p. 219-228 ; « Ordonnance portant que les Presidents du Parlement, avec les Conseillers qui composoient le dernier Parlement, jugeront jusqu’à ce qu’il y ait un nouveau Parlement assemblé, les procès pendans au Parlement, sans pouvoir juger des affaires qui n’y ont pas encore esté portées, à moins qu’il ne leur soit ordonné par des Lettres Royaux », 1359, ORF, vol. 4, p. 723 ; « Ordonnance portant que les Presidents du Parlement, ledit Parlement non seant, jugeront toutes les affaires qui seront portées devant eux, de quelque estat et condition que soient les personnes qu’elles regarderont, et qu’ils n’auront égard à aucunes Lettres de don, de pardon et de remission, qui auront esté ou seront données par le Regent, et par les principaux Officiers du Royaume, s’ils les jugent contraires à la Justice », 1359, Ibid., p. 725 ; « Reglement pour l’expedition des affaires pendantes au Parlement », 1364, Ibid., p. 511 ; « Ordonnance portant que ceux qui interjetteront appel au Parlement et qui y renonceront dans la huitaine payeront une amende de 60 sols », 1365, Ibid., p. 599 ; « Lettres portant Reglement pour le payement des gages des huissiers au Parlement », 1365, Ibid., p. 603 ; « Lettres du Roy adressées aux Presidents du Parlement, qui leur ordonnent de ne plus surseoir a la prononciation des Arrêts, quelques ordres qu’ils en reçoivent de luy, et qui portent que son intention n’est plus de juger en personne les affaires de peu d’importance », 1370, ORF, vol. 5, p. 323 ; « Ordonnance qui règle la manière dont seront executés les Lettres Royaux, les Arrests du Parlement, et les Jugemens des Sceaux privilegiez, par les Juges et par les Sergens qui seront chargez de les executer », 1374, ORF, vol. 6, p. 22 ; « Ordonnance qui porte que ceux qui appelleront au Roy ou au Parlement, de Sentences interlocutoires des premiers Juges, presenteront au Roy ou au Parlement, l’Acte de leur appel, et un acte qui contiendra les motifs des Juges qui ont rendu la Sentence ; et qui regle le temps dans lequel les Juges doivent delivrer l’Acte contenant leurs motifs, et la forme dans laquelle les Greffiers doivent l’expédier », 1374, Ibid., p. 23 ; « Ordonnance portant Reglement pour le Parlement », 1388, ORF, vol. 7, p. 223 ; « Ordonnance qui défend au Parlement d’avoir égard aux Lettres Royaux, ou aux ordres qu’on luy apportera de la part du Roy, lorsqu’il jugera qu’ils tendent à empêcher ou à retarder l’expédition de la Justice », 1389, Ibid., p. 290 ; « Ordonnance qui porte que par rapport aux Jugemens rendus dans les païs qui sont régis par le Droit écrit, on ne recevra point au Parlement les Appels de ceux qui en appelleront tant pour eux que pour ceux qui adhéreront à ces Appels, à moins que les noms de ceux-ci soient presentez, qu’il ne soit prouvé qu’ils ont fair leur adhésion dans le terme de dix jours depuis la sentence rendu, et qu’on n’étyablisse les moyens sur lesquels ils fondent cette adhésion », 1399, ORF, vol. 8, p. 330 ; « Lettres qui défendent de plaider au Parlement par Procureur, sans en avoir obtenu permission par des Lettres de Chancellerie, et de se servir d’Arrêt du Parlement, qu’il ne soit scellé du Grand Sceau », 1400, Ibid., p. 396 ; « Lettres qui portent que pendant l’intervalle de temps qui s’écoulera entre la fn du Parlement qui tenoit alors et jusqu’au lendemain de la Saint Martin d’hyver, jour auquel on commencera le Parlement suivant, les Presidens de ce Parlement ou l’un d’eux, ou au moins un Président des Enquêtes, avec les Conseillers qui se trouveront à Paris, auront le pouvoir de juger les procès qui seront en état, et de rendre des Arrêts qui seront prononcés dans le Parlement suivant », 1405, ORF, vol. 9, p. 86 ; « Lettres de Charles VI par lesquelles il ordonne que pendant les vacances du Parlement de Paris les Presidens et Conseillers

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importance, venant ici et là rappeler ou préciser un point du style, touchant ici la tâche des conseillers et présidents, là celle des avocats ou procureurs ou une étape particulière de la procédure. La publication de deux règlements de portée générale en l’espace de moins de dix ans interpelle. Quelle nouvelle étape doit constituer l’ordonnance de 1454 par rapport à celle qui la précède ?

Les exposés de ces deux textes peuvent être mis en regard avec les lettres qui sanctionnent seulement la relocalisation des cours souveraines à Paris en 1436460. Mis bout à bout, les trois exposés témoignent de l’importance croissante accordée au Parlement dans la reconstruction progressive du royaume. Dans le texte de 1436, qui consacre la réintégration au sein de la capitale des cours souveraines dispersées, on évoque la « bonne paix, accord et réconciliation (…) faites et traictiées » avec le « trés chier et trés amé frere et cousin le duc de Bourgongne461». C’est la fin des divisions intestines. Il s’agit donc alors de revenir à un ordre antérieur, de « remettre », « restituer » et « rétablir » les cours souveraines « par la manière que avant lesdictes divisions avoient acoustumé estre tenues et exercées d’ancienneté462». Mais ce texte ne peut pas encore viser à redonner au Parlement sa pleine capacité d’action : le préambule, assez bref, évoque d’ailleurs le Parlement aussi bien que les autres cours souveraines, et sanctionne une simple relocalisation.

Dix ans plus tard, en 1446, une ordonnance est relative au seul Parlement, la première depuis la réintégration de la cour à Paris, et même la première ordonnance générale touchant le Parlement, on l’a vu, depuis un siècle463. L’exposé, plus développé, fait également état des « guerres, divisions et autres maux », mais pour en tirer d’autres conséquences464. Non seulement les guerres et divisions passées avaient exigé la délocalisation des cours, mais elles avaient empêché le bon respect des ordonnances des prédécesseurs de Charles VII : celles-ci « n’ont bonnement peu du tout estre gardées et entretenues en leur force et vertu ». Conséquence, la justice est « foulée » et les justiciables, opprimés. Ce n’est donc plus seulement un retour à l’état antérieur mais une réflexion dont l’objectif est de « muer, corriger, adjouster » les textes existants : ce n’est pas la réforme qui est formulée ici, c’est l’adaptation, l’ajustement. Par opposition à « une réformation tournée vers la restauration du passé » apparaît ainsi, pour la première fois, « une réforme qui ne dit pas son nom,

de cette Cour qui se trouveront à Paris en nombre suffisant jugeront les procès qui seront en état, et que les arrêts par eux rendus seront orononcés dans le prochain Parlement », 1414, ORF, vol. 10, p. 223. Il faut y ajouter l’ordonnance de 1446 précédemment citée.

460. « Lettres de Charles VII, par lesquelles il rétablit à Paris les cours et chambres du Parlement, des Généraux, des Requêtes de l'Hôtel et des Requêtes du Palais, des Comptes et des Monnoies », ORF, vol. 13, p. 229-230. 461. « Lettres du 6 novembre 1436, par lesquelles il rétablit à Paris les Cours et Chambres du Parlement, des

Généraux, des Requêtes de l’Hôtel et des Requêtes du Palais, des Comptes et des Monnoies », ORF, vol. 13, p. 229.

462. Ibid.

463. « Lettres de Charles VII, touchant le style du Parlement », 28 octobre 1446, ORF, vol. 13, p. 471 et suivantes. 464. L’exposé de 1436 comprend trente-cinq lignes, celui de 1446 quarante-deux, et celui de 1454 cinquante-trois

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mais qui veut préparer l’avenir465». Cette réflexion doit être menée par les membres du parlement de Paris lui-même. Ceux-ci ont donc été invités par le roi à « s’assembler en bon et compétent nombre » pour « veoir et visiter » les ordonnances précédentes, et les « rafrechir et reduire a memoire seulement ». Après les avoir ajustées et corrigées, mis l’ensemble par « chapitres et articles », ils doivent communiquer le fruit de leur travail au roi et à son Grand Conseil, « pour en estre fait et ordonné ». Les étapes de la genèse du texte occupent ainsi une large part de l’exposé.

En 1454, la victoire est toute autre, et les textes prennent de l’ampleur. Comme si enfin était venu le temps non plus seulement de la relocalisation dans la capitale, mais de la réforme et de la reconstruction. La dominante du texte change : ce dont il est question ici, c’est du royaume dans son ensemble. L’énumération des territoires rythme la lettre, dans laquelle on ne trouve pas moins de quatorze mentions de lieux, quand les précédents textes n’en comportaient aucune. Dans le préambule de 1454 défilent la Champagne, la Normandie, le Vermandois, la Picardie, la France, le Maine, le Perche, Bordeaux bien sûr et la Guyenne, ces derniers étant cités chacun à trois reprises. Le roi n’est plus en campagne, mais dans les textes, il est partout. Réformer la justice et restaurer le Parlement, c’est s’adresser, enfin, à l’ensemble du royaume. Ce n’est plus guerroyer et reconquérir les territoires face aux Anglais, c’est pérenniser la paix, car les royaumes, « sans bon ordre de justice, ne peuvent avoir durée ne fermeté aucune466 » comme le soulignait en d’autres termes, mais tout aussi clairement Juvénal des Ursins. Comme si la campagne militaire royale, une fois achevée, trouvait aussitôt sa transcription législative.

Si, en 1446, le texte évacuait rapidement les motifs de la mesure – le délaissement des ordonnances précédemment élaborées – pour se concentrer sur la méthode – l’actualisation de ces textes anciens – ici l’exposé des motifs occupe la majeure partie de l’exposé, et il dit la paix. Alors que dix ans auparavant l’accent était porté sur la méthode, il est ici mis sur l’action du roi, action de paix évidemment prolongée par la mise au point d’ « ordonnances, statuz et establissemens sur le faict de [la] justice ». Fait notable, ce ne sont donc plus seulement les membres du Parlement, en quelque sorte en interne, qui ont mis au point les textes en reprenant les ordonnances antérieures, mais le conseil élargi évoqué plus haut. Ce qui transparaît de cette fin de préambule, c’est une vaste réunion autour du roi, comprenant certes des hommes du Parlement mais pas seulement, bien au

465. B. Chevalier, « La réforme de la justice : utopie et réalités », art. cité, p. 240.

466. ORF, vol. 14, p. 285. Pour l’analyse de l’ordonnance, voir notamment F. Autrand, « Rétablir l’État : l’année 1454 au Parlement » art. cité ; et B. Chevalier, « La réforme de la justice, utopie et réalité (1440 – 1540). », art cité. Notons que cette idée fait précisément écho aux motifs énoncés de la nomination des officiers du parlement anglo-bourguignon de 1418, au moment même de la division de la cour souveraine. Dans l’ordonnance qui (re)compose le parlement demeuré à Paris, il est rappelé que « par justice les roys regnent, et prent fermeté et permanence perpétuelle la seignourie des royaumes, et par ce moyen se joingnent justice et paix regnans ensemble ». Voir « Lettres de Charles VI par lesquelles il nomme les Officiers qui doivent composer la Cour de Parlement à Paris », ORF, vol. 10, p. 459.

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contraire. La différence entre les textes de 1446 et 1454, c’est finalement que le Parlement qui était en 1446 l’objet de l’ordonnance s’impose en 1454 comme l’instrument employé par le gouvernement royal pour rétablir le « bon ordre de justice467 ». Le royaume, alors, durera. Son unité, solennellement rendue à la cour souveraine, doit consacrer l’unité d’un royaume affranchi de la domination anglaise et des guerres intestines. Désormais l’ensemble des justiciables peut en théorie se tourner vers le roi et en appeler à sa protection judiciaire, par le biais du Parlement qui instruit leurs appels.

En d’autres termes, on trouve là l’expression d’un idéal, selon lequel l’unité et le bon fonctionnement du Parlement – qui représente le roi – permettent et garantissent l’unité et la bonne harmonie du royaume. La richesse de l’exposé et ses formules les plus frappantes sont bien connues, de même que la mesure principale qui visent à pourvoir les sièges restés vacants depuis 1436 et à restaurer l’organisation de la cour en trois chambres468. Cependant, ce seul texte ne saurait rendre entièrement compte de l’importance du rôle que doit jouer le Parlement dans la reconstruction du royaume. L’ensemble des articles, ainsi qu’une série de mesures satellites qui précèdent et suivent sa publication, témoignent de l’objectif principal de la réforme, c’est-à-dire l’intensification nécessaire du travail de ses membres.