• Aucun résultat trouvé

2. La politique des apanages (années 1360-1370)

2.2. La politique judiciaire des apanages

2.2.2. Les effets

Des décisions rendues par ces grands jours des apanages, il ne reste presque aucun enregistrement. Les procès-verbaux de plusieurs sessions bourguignonnes entre 1357 et 1380 ont assez mystérieusement atterri au Trésor des Chartes, et ont fait l’objet d’une édition en 1927148 ; on trouve également la trace de quelques-unes des sessions des grands jours du duc d’Anjou dans les Coutumes et institutions de l’Anjou et du Maine antérieures au XVIe siècle, éditées à la fin du XIXe siècle149. Ailleurs, quelques lettres et mandements épars témoignent de l’organisation effective de plusieurs sessions150. Ces traces permettent de réunir quelques indices sur la composition des cours, laquelle n’est pas prescrite dans les lettres royales qui ne font que recommander la sollicitation d’un personnel « ad ce souffisans151 » pour juger les causes. Pour les cas les mieux connus, la Bourgogne et l’Anjou, on remarque une forte présence royale et parlementaire dans les années 1370 : le célèbre Pierre d’Orgemont, alors président à la chambre des enquêtes, préside les jours de Beaune de 1370, et Arnaud de Corbie, maître des requêtes, ceux de 1380152. En Anjou, la session de 1379 est présidée par Jean Pastourel, maître des requêtes, lequel est accompagné de plusieurs parlementaires parisiens153. On ne trouve pas de personnel commun entre les sessions angevines et bourguignonnes, mais ce déplacement de magistrats parisiens ne s’inscrit pas moins dans un mouvement plus large, qui ne saurait se restreindre aux seuls grands jours des apanages, à l’échiquier et aux jours de Troyes. Dans les mêmes années, des juges du Parlement tiennent aussi l’échiquier

148. Registre des parlements de Beaune et de Saint-Laurent-lès-Chalon (1357-1380), éd. par P. Petot, Paris, 1927. Cet auteur signale dans son introduction d’autres bribes, plus tardives, notamment un recueil de minutes de vingt-trois arrêts datés de 1462-1463, un cahier original des amendes prononcées en 1447-1448. Aux Archives Départementales de la côte d’or, il indique en outre un registre des relèvements d’appel pour les années 1428 à 1440 et des amendes pour les années 1438-1439. Voir p. 10.

149. Coutumes et institutions de l’Anjou et du Maine antérieures au XVIe siècle, éd. par Ch-J. Printemps-Beaupré, 4 tomes,

Paris-Angers, 1877-1883, t. II, p. 359-370.

150. On trouve par exemple dans les Actes normands de la Chambre des comptes sous Philippe de Valois, édités par L. Delisle, Paris, 1871, n° 252, un mandement de Philippe d’Orléans, daté du 4 juin 1350, qui demande à ses gens des comptes d’allouer à son receveur de Beaumont-le-Rogier la somme de 315 livres et 4 derniers pour la « mise et despense par li fais pour cause de noz grans jours, qui commancierent au dit Beaumont le lundi XXIIIe jour de

may ». Pour l’Anjou, des fragments de comptes du duc conservés aux Archives Nationales mentionnent les frais de voyage des magistrats pour la session de 1379 : A.N., KK 242, f. 100v. Pour le duc de Berry, voir R. Lacour, Le gouvernement de l'apanage de Jean, duc de Berry, op. cit., p. 212-216. Une enquête plus poussée permettrait peut-être de retrouver des arrêts expédiés par ces différentes cours dans divers dépôts d’archives communaux ou départementaux de ces différentes cours. Plusieurs actes, datés de 1394 à 1399 et conservés dans le fonds Chappée à la Bibliothèque nationale attestent de la tenue d’une session des grands jours du duc d’Orléans en 1350 et 1394. Voir BnF, Chappée 89, 128 et 129.

151. Expression employée ici dans les lettres adressées au duc d’Anjou en septembre 1371, voir A.N., K 214, n°23. 152. Registre des parlements de Beaune et de Saint-Laurent-lès-Chalon, op. cit., p. 22-23. Pour plus d’informations sur la

carrière de Pierre d’Orgemont et Arnaud de Corbie, voir E. Maugis, Histoire du Parlement de Paris, op. cit., t. III, p. 1-34, passim, et F. Autrand, Naissance d’un grand corps de l’état, Paris, 1981, passim.

153. Regnauld Filleul, conseiller ; Jacques Bonin, adjoint à la justice des aides ; et Jean Filleul, avocat au parlement. Voir les Coutumes et institutions de l’Anjou et du Maine antérieures au XVIe siècle, op. cit., t. II, chapitre XXXI ; et A.N.,

50

d’Alençon et les grands jours de Bourbon154. En 1394, Jean de Popincourt – futur premier président au Parlement155 – préside les grands jours du duc d’Orléans, tenus à Crépy-en-Valois puis à Épernay : il y est accompagné de Jean le Coq, alors avocat du roi au Parlement156. Les quelques données que l’on possède montrent même la présence récurrente de certains conseillers dans une juridiction princière157.

C’est en dépouillant les registres du parlement de Paris cependant que l’on peut mesurer toute la portée de l’établissement des grands jours des apanages. Françoise Autrand, qui le fit pour les années 1372-1375, évoque une « impression que le Parlement, d’une façon exceptionnelle, commence sa session, ces années-là, par le tri méthodique des causes venues des apanages (…) comme si la cour, avant toute autre chose, mettait en place les limites des juridictions nouvelles, comme si elle ouvrait l’année judiciaire par une réorganisation de la justice et de son administration158. » L’enquête, systématisée et surtout élargie dans le temps, montre le surgissement, par vagues, des grands jours des douaires et des apanages dans le ressort du parlement, avec 338 actes répertoriés entre 1333 et 1391159.

154. Sur l’échiquier d’Alençon, voir F. Mauger, « Le dernier apanage. Administration et gouvernement des comtés d’Alençon et du Perche (1290-1525) », op. cit.

155. Jean de Popincourt, après une carrière d’avocat puis de conseiller, devient premier président au Parlement en 1400. Il est également conseiller du roi.

156. BnF, Chappée 128. L’acte prévoit la rémunération du président, de l’avocat du roi, de plusieurs conseillers, d’un secrétaire et greffier et d’un procureur général. Popincourt et Le Coq touchent la rémunération la plus importante – quatre livres tournois par jour.

157. Arnaut de Corbie préside deux sessions des grands jours de Bourgogne. Pour les grands jours du Perche, voir les données, parlantes sur ce point, fournies par Franck Mauger.

158. F. Autrand, « Un essai de décentralisation : la politique des apanages dans la seconde moitié du XIVe siècle »,

art. cité, p. 24.

159. Le graphique qui suit est le fruit d’un relevé sur les registres de lettres, arrêts et jugés du parlement de Paris entre 1328 et 1392. Une partie des dépouillements a été facilitée par les outils de recherche disponibles, notamment H. Furgeot, Actes du Parlement de Paris. Deuxième série : de l’an 1328 à l’an 1350. Jugés, Paris, 1920-1975, trois volumes ; et les bases de données établies par le Centre d’Étude d’Histoire Juridique, en ligne sur le site de l’Institut d’Histoire du droit : http://www.ihd.cnrs.fr/spip.php?rubrique3

51

FIGURE II

Les occurrences des grands jours dans les registres du parlement de Paris (1330-1391)

L’enquête montre une présence contrastée des grands jours que l’on sait avoir été institués. On trouve très peu d’appels reçus ou renvoyés devant les grands jours du duc de Bourgogne160, contrairement aux ducs de Berry et d’Anjou, dont la juridiction s’impose dans le paysage institutionnel du parlement de Paris. Remarquons que l’on rencontre aussi les grands jours du duc de Bourbon, dont les possessions sont pourtant patrimoniales et non apanagées. En parfait apanagiste qu’il n’est pas, Louis II de Bourbon capte les modèles institutionnels royaux, et son conseil ducal se réunit en jours généraux depuis les années 1340 au plus tard161. Dès la fin des années 1370, ils s’intègrent au ressort au parlement de Paris comme des grands jours parmi d’autres

160. A.N., X1A 19, 478v et 479. Il s’agit de deux appels reçus et jugés par la cour (le premier casse la sentence des

grands jours du duc, le second en confirme une autre.)

161. La première attestation remonte à 1344. Voir O. Mattéoni, Servir le prince. Les officiers des ducs de Bourbon à la fin du Moyen Âge, Paris, 1998, p. 143. Sur les institutions du duc, voir Id., « Écriture et pouvoir princier. La chancellerie du duc Louis II de Bourbon (1356-1410), dans G. Castelnuovo et O. Mattéoni, « De part et d’autre des Alpes » (II) : chancelleries et chanceliers des princes à la fin du Moyen Âge, Chambéry, 2011, p. 137-178 ; et « Imitatio regis. Les institutions financières du comté de Forez et de la seigneurie de Bourbon au début du XIVe siècle », art. cité.

On ne peut donc pas affirmer avec M. Goupil que les jours généraux « se transforment en grands jours » au moment où le Bourbonnais acquiert le statut juridique de l’apanage en 1400. M. Goupil, La justice dans les apanages à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 60.

0 5 10 15 20 25 30 1330 1340 1350 1360 1370 1380 1390 1400 Reine Jeanne Reine Blanche Anjou Alençon Berry Bourgogne Orléans Bourbon

52

: la cour souveraine en reçoit et y renvoie plusieurs causes162. Quelles sont les caractéristiques partagées par ces différentes institutions ?

En termes de fréquence, il est difficile de donner un calendrier des différents grands jours d’après les registres du parlement : d’une part les appels reçus de ces juridictions peuvent l’être des mois – voire des années – après le jugement, sans que la date de ce dernier soit précisé ; d’autre part le renvoi fait devant des grands jours « prochainement tenus163 » ne préjuge évidemment pas de leur tenue. On peut néanmoins, d’après les appels reçus, situer le terminus ad quem de plusieurs sessions. Les sièges sont tout aussi rarement précisés, mais des sessions sont clairement tenues – au moins en principe – pour les différents territoires possédés par les princes. Les causes sont ainsi renvoyées aux prochains grands jours du duc de Berry in Alvernia, ou les ceux du duc d’Orléans pro comitatu sue Valesie. Les grands jours des ducs connaissent donc des assises distinctes, nous y reviendrons. Quant à la compétence, les grands jours reçoivent les appels des différents baillis des apanages ou principautés, mais aussi plus largement de tout jugement rendu par un serviteur du prince, chancelier ou lieutenant général. Une question reste plus ouverte, qui rejoint celle de la composition : celle de la distinction ou séparation entre ces grands jours et le conseil des différents princes. Autrement dit, les grands jours sont-ils autre chose que le conseil ou la curia du prince réunie en grands jours, accueillant pour l’occasion quelques conseillers du parlement de Paris en quelque sorte « prêtés » par le roi à l’apanagiste ? Ou se rapprochent-ils davantage de délégations de quelques conseillers du parlement de Paris, venant exercer une justice d’appel dans les apanages ? Il reste difficile de le déterminer, mais soulignons la distinction faite à plusieurs reprises dans les registres entre ces grands jours et « le grand conseil » du prince ou de la reine164. La réponse est, en réalité, sans doute plurielle, la situation variant selon les espaces mais aussi dans le temps, même au sein d’un apanage. Parmi les situations les mieux documentées, l’Anjou et la Bourgogne, il n’est ainsi pas exclu de trouver les deux types de réunion selon les sessions165.

162. A.N., X1A 28, f. 309v et 315v (deux confirmations de jugements rendus lors des grands jours du duc, 1379) ;

X1A 32, f. 380v (réception d’un appel d’un jugement rendu lors des grands jours du duc, 1384) ; X1A 33, 236v

(renvoi devant les grands jours du duc d’un appel fait omisso medio au parlement, 1386) ; X1A 37, f. 57v, 58, 61,

62v et 247v (renvoi devant les grands jours du duc de quatre appels d’un jugement du bailli de Bourbon fait omisso medio au Parlement, en 1389).

163. C’est l’expression généralement employée dans les lettres de renvoi : in diebus qui proximo tenebuntur… voir par exemple A.N., X1A 28, f. 93v.

164. En 1363 puis en 1366, la cour renvoie à deux reprises une cause devant le « grand conseil » du duc d’Orléans, A.N., X1A 17, f. 311v et X1A 20, f. 241v. En 1386, une cause est renvoyée devant les gens tenant le « grand

conseil » de la reine Blanche, A.N., X1A 34, f. 183.

165. En Bourgogne, si les sessions de 1370 et 1376 sont très parisiennes, celle de 1380 est exclusivement composée de Bourguignons. Voir le Registre des parlements de Beaune, op. cit., p. XXIII. En Anjou, la session de 1379 est bien

tenue par des conseillers parisiens, mais d’autres attestations témoignent d’une utilisation extrêmement souple des grands jours, faisant tantôt l’objet d’une publication solennelle, tantôt retrouvant une formation de type conseil élargi et prenant d’importantes décisions législatives valant pour les possessions du duc, dont les

53

FIGURE III

Les grands jours des douaires et des apanages dans la seconde moitié du XIVe siècle166

Ressort Assises Sièges Sessions connues

Reine Jeanne [1333-1362] Baillis de Sézanne Commissaires de la reine Bailli de Crécy Château-Thierry Pontoise Coulommiers 1333 ; 1340-1341 ; 1355-1356 ; 1361- 1362 Reine Blanche

[1362-…] Bailli de Pontorson Touraine Anjou

Angers Baugé Vernon 1362 ; 1370 ; 1384 ; 1388 ; 1390 Duc d’Anjou [1373-…] Sénéchal du Maine Sénéchal de Tours Sénéchal d’Anjou Commissaires du duc Anjou et Maine

Touraine Angers Baugé

1379 ; 1380-1381 ; 1384 ; 1388 ; 1391 ; 1395 Comte d’Alençon167 [1379-…] Perche Bellême 1379 ; 1381 ; 1383, 1388 Duc de Berry [1379-…] Sénéchal d’Auvergne Auvergne Berry Le Poitou Poitiers, Bourges 1367, 1371 ; 1378- 1379 ; 1382 ; 1387 ; 1396 ; 1405 Duc de Bourgogne [1348-…] Auditeurs des appeaux de Bourgogne Bailli de La Montagne Beaune 1347 ; 1370, 1376, 1380 ; 1384 ; 1386 Duc d’Orléans [1354-…] Bailli d’Orléans Bailli de Sézanne168 Bailli de Valois Bailli de Beaumont Duché d’Orléans Comté de Valois Champagne Orléans Crépy-en-Valois Épernay 1350 ; 1381 ; 1384 ; 1386 ; 1394 Duc de Bourbon

[1379-…] Bailli de Bourbon Souvigny 1378-1379 ; 1384

Coutumes de l’Anjou et du Maine portent la trace. Voir les Coutumes et institutions de l’Anjou et du Maine antérieures au XVIe siècle, op. cit., 2e partie, vol. 2, chapitre XXXI, et M. Goupil, La justice dans les apanages, op. cit., p. 62.

166. Ce tableau récapitule les informations contenues dans la bibliographie, notamment par R. Lacour pour les grands jours de Berry, L-F. Printemps-Baupré pour l’Anjou et R. Petit pour la Bourgogne, travaux cités supra. Ces données ont ensuite pu être complétées par les données fournies dans les registres, ainsi que par plusieurs pièces conservées à la BnF touchant l’organisation de l’une ou l’autre session. Les dates laissées en italiques sont les dates d’assises supposées d’après les appels reçus ensuite en parlement à Paris. Il va de soi que les personnes, derrière les titres, changent. Après 1384, les grands jours d’Anjou sont ainsi, par exemple, ceux de la duchesse Marie de Blois.

167. Il s’agit bien ici des grands jours du Perche que le comte d’Alençon est autorisé à tenir sur le même modèle que les autres grands jours des apanages. Il ne faut pas confondre cette institution avec l’échiquier d’Alençon, qui lui est antérieur. Voir infra, 2.3.1.

168. Notons que les grands jours du duc d’Orléans ne reçoivent pas d’appel des bailliages compris dans le douaire de Jeanne d’Evreux avant la mort de cette dernière en 1362.

54

Enfin, une fois leur portrait brossé à grands traits, reste à expliquer le dispositif de ces multiples actes évoquant les grands jours dans les registres, pour comprendre la position que doivent occuper ces institutions dans la hiérarchie de l’appel. On peut diviser les 338 actes en deux grands types : d’une part les causes présentées directement devant le parlement, généralement en appel d’un bailliage ou sénéchaussée, et que la cour décide de recevoir ou de renvoyer devant les grands jours des princes ; d’autre part les causes ayant été entendues voire jugées devant les grands jours, avant d’arriver au parlement. Le premier type est, de très loin, le plus fréquent. Sur l’ensemble des actes recensés, 297 sont des lettres de renvoi, dont 280 au motif explicité que l’appel a été porté en parlement omisso medio les grands jours du prince. Autrement dit, au motif qu’un degré de juridiction, celui des grands jours, a été omis dans le parcours hiérarchique de l’appel. Cette très grande proportion de renvois appelle plusieurs remarques. La première est que le renvoi immédiat s’impose avec les grands jours des apanages : pour les grands jours du douaire, la proportion est plutôt inverse, douze appels reçus contre sept renvois devant les grands jours de la reine Jeanne169. C’est avec les grands jours des ducs d’Orléans d’abord, puis surtout ceux des ducs d’Anjou et de Berry que les lettres de renvoi s’imposent, de manière presque systématique et souvent à raison d’une quinzaine de lettres par session170. Apparues dans les années qui suivent l’autorisation royale de tenir les grands jours, peut-être même avant qu’une première session ait effectivement été tenues, ces lettres sont prescriptives en ce qu’elles font apparaître ce nouveau degré de juridiction. Il ne s’agit pas ici, quelle que soit la composition de ces cours, d’une forme de délégation du parlement, mais de la création d’un nouveau relais juridictionnel, permettant sans doute d’endiguer l’afflux des causes en parlement tout en maîtrisant leur redistribution. Ainsi les renvois ne se font pas simplement devant les grands jours du duc mais devant les grands jours des ducs pour l’une ou l’autre de leurs possessions : les grands jours du duc de Berry en Auvergne, ou ceux du duc d’Anjou pour le Maine.

Qu’en est-il, alors, des quelques appels reçus ? Ils sont peu nombreux : vingt-trois, parmi lesquels on trouve respectivement trois appels des grands jours des ducs de Bourgogne et de Bourbon, dont les occurrences sont par ailleurs peu nombreuses. La cour retient-elle plus facilement les rares causes qui remontent jusqu’à elle depuis ces espaces ? On manque d’éléments pour l’affirmer : les grands jours s’y sont peut-être simplement moins tenus qu’en Berry. Car en effet, si les renvois devant les grands jours de Jean de Berry sont très nombreux, plus de la moitié

169. Les deux derniers actes sont des lettres d’exécution en complément d’une sentence rendue par les grands jours de la reine.

170. En 1379, on trouve dix lettres de renvoi vers les grands jours du duc de Berry ; en 1384, douze lettres de renvoi pour le duc d’Anjou et dix-sept pour le duc de Berry ; en 1390, huit pour le duc d’Anjou et vingt-huit pour le duc de Berry.

55

des appels reçus sont des appels de cette même institution171. Le duc apparaît bien comme le champion des grands jours – on remarque qu’aucun appel ne provient des grands jours du duc d’Anjou, pour qui des sessions ont bel et bien été tenues, devant lesquelles ont été renvoyées de multiples causes. Cette politique de renvois fait bien des grands jours une sorte de soutien juridictionnel, en remodelant la hiérarchie de l’appel. Au siècle suivant on récolte d’inattendus fruits de cette politique, dans un contexte que les parlementaires de la fin du XIVe siècle n’auraient certes pu imaginer en leur temps. Lorsqu’en 1418 le dauphin Charles installe son parlement à Poitiers y sont alors reçus les appels en souffrance des grands jours du duc de Berry. En 1419, année qui suit l’installation du parlement à Poitiers, la cour reçoit ainsi seize appels des grands jours du duc172. Très rapidement, le parlement installé à Poitiers reprend ainsi, vis à vis des grands jours de Berry, Bourbon, Orléans et Anjou la même politique qu’à la fin du XIVe siècle, s’appuyant sur ces relais pour se construire un ressort au centre du royaume173. Ainsi se manifeste le signe le plus éclatant de l’efficacité des grands jours comme relais juridictionnel174.

Des instances d’appel concédées par le roi à des princes apanagistes, pairs de France, susceptibles d’appel au parlement de Paris : voilà ce que sont alors les grands jours, serait-on tenté d’expliquer clairement pour le XIVe siècle. Or, le cas du duc de Bourbon le montre, l’usage du terme n’est pas aussi strict. Il faut y ajouter une nouvelle équivoque : c’est en plein apogée de la politique des apanages que, dans les registres du parlement, les jours de Troyes deviennent « grands », avec une première occurrence en latin en 1367, soit un an après l’octroi de grands jours au duc de Berry175. L’emploi du terme devient systématique dans les années 1380, tandis que l’appellation par la composition disparaît complètement176. Les occurrences des grands jours se multiplient d’autant

171. A.N., X1A 28, f. 209v (1379) ; X1A 30, f. 46v (1381), X1A 31, f. 12, 61, 74 (1381), f. 231, 302v (1383) ; X1A 33,

f. 114v (1385), f. 402 (1386) ; X1A 34, f. 27, 86v (1386), X1A 36, f. 72 (1389), X1A 37, f. 178 (1389).

172. A.N., X1A 9190, f. 1 à 141, passim.

173. Pour un bilan sur le ressort et la compétence du parlement tenu à Poitiers entre 1418 et 1436, voir M. Morgat-