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Chapitre 1 Les années 1450 : (re)constructions

2. Guerre, paix et justice

2.1. Justice et paix dans la littérature historiographique et politique

2.1.1. Les chroniques

Plusieurs auteurs sont contemporains de cette période, et ont vécu de près ou de loin la bataille de Castillon et les dernières années du règne de Charles VII. Parmi eux, nous avons retenu ici un corpus de cinq auteurs, certains favorables au roi – Gilles le Bouvier et Jean Chartier –, d’autres bourguignons – Chastelain, Matthieu d’Escouchy365 –, et le rallié, Thomas Basin366 : tous contemporains du règne, même s’ils écrivent postérieurement – au plus tard pendant le règne de Louis XI. Il s’agit, de là, de revenir à ces auteurs non plus dans la perspective d’une enquête historiographique sur la longue durée, mais d’observer d’une part les faits retenus pour la dernière partie du règne – de la campagne de Guyenne à la mort du roi en 1461 – et d’autre part d’interroger l’éventuelle articulation entre l’état de paix, qu’il soit constaté ou souhaité, et le déploiement de la justice.

2.1.1.1. La perpétuation de la guerre

La double campagne de Guyenne en 1451 et 1453 est relatée par l’ensemble des auteurs, même si chez les auteurs bourguignons, elle constitue plutôt un événement en marge de l’affrontement qui oppose Philippe le Bon à la ville de Gand, en rébellion contre le prince depuis 1451. La victoire remportée par le duc à Gavere le 23 juillet 1453 – qui donne dûment, quant à elle,

364. Fr. F. Martin, Justice et législation sous le règne de Louis XI, op. cit., p. 47.

365. Sur Chastelain, voir supra dans ce chapitre, 1.1. Mathieu d’Escouchy (1420-1482), prévôt de Péronne à partir de 1447 puis procureur du roi à Saint-Quentin, est l’auteur d’une Chronique, écrite vers 1465, qui continue celle d’Enguerrand de Monstrelet. Elle a été éditée et traduite par G. du Fresne de Beaucourt sous le titre Chronique de Mathieu d’Escouchy, Paris, 1863-1864, 3 vol.

366. Sur Jean Chartier et Gilles le Bouvier, voir infra dans ce chapitre, 1.1.1. Thomas Basin (1412-1489), évêque de Lisieux en 1447, est consulté à plusieurs reprises par Charles VII comme conseiller juridique – sur le procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc, sur la réforme de la justice – mais connaît l’exil sour le règne de Louis XI, avec lequel il avait eu des démêlés alors qu’il était encore dauphin. Il est l’auteur d’une Histoire de Charles VII écrite d’un seul jet en 1471-1472, éd. et trad. par C. Samaran et H. De Surirey de Saint-Remy, Paris, 1933-1944, 2 vol. Voir en dernier lieu Histoire de Charles VII et Louis XI. Introduction, traduction et notes par Joël Blanchard, Franck Collard et Yves de Kisch, Paris, 2018. Sur Thomas Basin, voir l’introduction de cette édition, ainsi que B. Guenée, Entre l’Église et l’État. Quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Âge, Paris, 1987, chapitre IV : « Thomas Basin », p. 301-435 ; et plus récemment M. Spencer, Thomas Basin (1412-1490). The history of Charles VII and Louis XI, Nieuwkoop, 1997.

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lieu à un traité de paix367 – n’intervient que six jours après la victoire de Charles VII en Guyenne. Ainsi, chez Mathieu d’Escouchy, le récit de la trahison bordelaise puis de la bataille de Castillon n’est qu’une incise dans l’ample déroulement des péripéties gantoises. Le constat de la défaite anglaise ne donne chez le chroniqueur lieu à aucun commentaire, contrairement au fait marquant que constitue la mort de Talbot368. Thomas Basin quant à lui achève son récit de la bataille puis de la reddition bordelaise – trois mois plus tard – en louant le courage de l’armée royale, mais sans aucunement évoquer la paix369. Jean Chartier s’attarde un peu plus sur les effets de la bataille : « iceluy pays estant ainsi mis à délivre, se délibéra le roi de s’en retourner en sa cité de Tours370 » ; non sans laisser une garnison en Guyenne371. Finalement, dans les années qui suivent les batailles de Castillon, Gavere et Constantinople, il ressort des récits des chroniqueurs que l’état de paix n’est pas explicité. Dans la suite des textes, il n’apparaît qu’en creux, et ce en deux sens : d’une part en raison de la poursuite des opérations militaires et de la situation anglaise, de l’autre parce que la paix n’apparaît véritablement dans les récits qu’au détour de l’imminence possible – crainte ou préparée – d’un nouvel épisode guerrier.

Les opérations militaires en effet – quoiqu’elles ne constituent pas la seule matière du récit372 – se poursuivent en Guyenne comme en Bourgogne dans un premier temps373, mais aussi près de Calais, demeurée anglaise374, puis aux marges du royaume, à Strasbourg, Utrecht, et jusqu’en Angleterre375. La situation anglaise, d’ailleurs, est de toute évidence suivie de très près, et les

367. Le traité de paix est reproduit dans MATHIEU D’ESCOUCHY, Chronique, éd. par G. du Fresne de Beaucourt, t. II, op. cit., p. 92-111.

368. Mathieu d’Escouchy revient longuement sur l’épisode de l’identification problématique du corps du lieutenant général de Guyenne, avant d’en venir abruptement à la reconquête par le seigneur de Crouÿ de plusieurs villes ayant trahi le duc de Bourgogne. MATHIEU D’ESCOUCHY, Chronique, op. cit., t. II, p. 41-43.

369. THOMAS BASIN, Histoire de Charles VII et Louis XI, éd. et trad. Par J. Blanchard, F. Collard et Y. de Kisch, op.

cit., p. 284-287. Le chapitre suivant porte sur la bataille et le siège de Gavere. 370. JEAN CHARTIER, Chronique de Charles VII, op. cit., p. 18-19.

371. Suit le récit de la prise de Constantinople, qui comprend l’insertion de l’information envoyée sur ce sujet au cardinal d’Avignon. Ibid., p. 20-22. La chute de Constantinople est relatée par l’ensemble des auteurs, et tout particulièrement chez Escouchy et Chastelain dans la mesure où en découle le vœu de croisade du duc de Bourgogne – lequel donne lieu aux festivités de 1454, mais également à divers préparatifs dans les quelques années qui nous occupent.

372. Parmi les autres événements consignés jusqu’à la mort de Charles VII, outre l’inévitable série de naissances – d’Edouard d’Angleterre, d’un petit-fils de Charles VII – mariages – en particulier celui de Charles de Bourgogne et Isabelle de Bourbon en 1454 – et décès – du pape Nicolas V et du duc Pierre de Bretagne –, il y a le concile de Reims (1455), le frappant épisode de la mort de Ladislas, roi de Bohême et de Hongrie (1457), le tremblement de terre à Naples (1457), et la révolte des Génois (1461).

373. Ainsi les divisions au sujet de l’évêché de Liège, qui entraînent une expédition armée menée par Jean de Luxembourg. Voir MATHIEU D’ESCOUCHY, Chronique, op. cit., t. II, p. 259.

374. Mathieu d’Escouchy rapporte ainsi des affrontements à Guînes, en 1454. MATHIEU D’ESCOUCHY, Chronique,

op. cit., t. II, p. 267-268.

375. Le maréchal de Bourgogne fait en Allemagne une « course » sur les ordres du duc, contre les archevêques de Strasbourg et de Cologne. MATHIEU D’ESCOUCHY, Chronique, op. cit., t. II, p. 269. La nomination du nouvel

évêque d’Utrecht entraine une autre « très grosse guerre » dans cette ville, Ibid., p. 315. En 1457, un raid sanglant est mené par Pierre de Brézé à Sandwich en Angleterre, Ibid., p. 353, également relatée par le héraut Berry, GILLES LE BOUVIER, Les chroniques du roi Charles VII, op. cit., p. 475.

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péripéties de la guerre des Deux-Roses sont dûment relatées par les chroniqueurs, ce d’autant plus qu’elles occasionnent un nouveau jeu d’alliance entre les Anglais, le roi de France et le duc de Bourgogne376. C’est sur ce terrain anglais que les désordres inhérents de la guerre semblent d’ailleurs s’être déplacés : c’est en Angleterre que sévissent désormais « pluseurs divisions » ; mais aussi les combattants démobilisés chassés par le roi de France de Guyenne et du Bordelais ; que sont commis vols et pillages ; que règne, en un mot « la totale liberté de sévir377 ».

Pour autant, la paix n’apparaît explicitement qu’au détour de la menace directe de la guerre dans le royaume de France, et ce particulièrement au cours du conflit entre Charles VII et le dauphin Louis. Rappelons que ce dernier, à la tête du Dauphiné depuis 1450, se marie en 1451 avec Charlotte, fille de Louis Ier de Savoie, et ce malgré le refus explicite de son père de donner son consentement à cette union – suscitant dès lors l’ire de ce dernier. Sous la menace d’une invasion du Dauphiné et de la Savoie, le duc de Savoie fait rapidement sa soumission à Charles VII, en 1452. Après la campagne du Guyenne, le conflit reprend de plus belle et Charles VII se rapproche du Dauphiné : le dauphin Louis trouve alors refuge en Bourgogne, où le duc le reçoit avec les honneurs, l’installe dans le château de Genappe – en Brabant – et lui accorde une pension378. Le dauphin y demeure jusqu’à son avènement, mais entre-temps la situation envenime largement les rapports entre Charles VII et Philippe le Bon. Tandis que sont échangées plusieurs lettres et ambassades, les deux princes recommandent simultanément à leurs bonnes villes de renforcer le guet, ce dont « les gens populaires et autres de bon estat furent moult esmerveilliez ; car le Royalme avoit jà esté long temps en paix, et doubtoient que à ceste cause ne deust avoir aucune tribulacion audit Royalme379 » relate Matthieu d’Escouchy. Le bruit courait, écrit Thomas Basin, « à la cour du roi de France et dans tout le royaume », d’une « guerre prochaine contre les Bourguignons380 » alors même que les « brandons de la guerre semblaient éteints, ou à tout le moins assoupis381 ». Cette guerre endormie, c’est une paix précaire qui n’est sauvegardée que par la volonté des princes, mus par leur désir de maintenir leurs sujets en « tranquillité », donc d’éviter la reprise de la guerre382.

376. THOMAS BASIN, Histoire de Charles VII et Louis XI, op. cit., p. 315-322.

377. THOMAS BASIN, Histoire de Charles VII et Louis XI, op. cit., p. 318. Ainsi, pour Escouchy, « nulz, sy non à grant

dangier et peril, ne osoient aller en icellui Royalme, de ville à autre ; car à ceste heure justice n’y avoit point cours », Chronique, op. cit., T. II, p. 262.

378. Sur les détails du séjour bourguignon du dauphin, voir R. Ambühl, Le séjour du futur Louis XI dans les pays de Philippe le Bon (1456-1461), Cercle d’histoire et d’archéologie du pays de Genappe, Cahier n° 13, 2002. Sur cet épisode, voir également J. Blanchard, Louis XI, op. cit., p. 26-28.

379. MATHIEU D’ESCOUCHY, Chronique, op. cit., p. 334.

380. THOMAS BASIN, Histoire de Charles VII et Louis XI, op. cit., p. 319.

381. Ibid., p. 265. Les propos de Chastelain vont aussi dans le sens d’un assoupissement trompeur, davantage que d’une extinction réelle, lorsqu’il décrit l’« apparence d’amour » entre le roi et le duc après la paix d’Arras : « et au fort si l'amour n'y estoit vraie, au moins y estoit paix sans guerre nulle, qui estoit un grant bien ». George Chastelain, Chronique, op. cit., t. III, p. 29.

382. Pour Mathieu d’Escouchy comme pour Thomas Basin, c’est le duc qui fait preuve d’une grande patience face au regain d’hostilité dont fait preuve Charles VII.

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Dans les échanges entre le roi et le duc de Bourgogne, il est question d’une autre guerre qui fait explicitement surgir la question de l’état de paix du royaume dans le discours rapporté des deux princes : il s’agit du projet de croisade, « saint voyage » que le duc de Bourgogne a fait le serment d’entreprendre lors du banquet du Faisan le 17 février 1454383. Ce vœu encadre la possibilité d’un départ par plusieurs conditions concrètes, dont l’une est l’état de « paix et seurté384 » des pays bourguignons. En dépit des efforts considérable du duc, intéressé à plus d’un titre à la participation royale au projet et qui dépêche auprès de lui plusieurs ambassades385, le roi reste méfiant à l’égard du projet, et justifie finalement son absence de participation précisément par cette condition. Les Anglais, avance-t-il auprès des ambassadeurs du duc en 1456, demeurent « en continuelle voulenté de guerroyer contre le roy et son royaume », et « mettent ainsi leur entente à y avoir entrée par divers et subtils moyens386 ». Preuve en est, l’échec de négociations menées via deux légats du pape Nicolas V en 1452387. Dans ce contexte, ce serait mettre le royaume en trop grand péril que de le « vuidier et faire sortir la chevalerie et noblesse388 ». L’usage rhétorique de la paix s’épanouit de part et d’autre, dès lors que le conflit menace.

L’état de paix reste, ainsi, comme implicite, et il faut attendre, chez Chastelain et Basin, le récit de la mort du roi pour qu’il soit plus clairement célébré : à la fin du règne, « grâce à Dieu, les ennemis [sont] chassés, le pays pacifié389 » écrit l’évêque de Lisieux. Chez Chastelain, l’éloge est plus marqué encore, et articule ce qui, chez Basin, reste déconnecté : la pacification du royaume et la grande attention portée par le souverain aux institutions judiciaires390. Ainsi, pour Chastelain le roi a reconquis tout son royaume, en a chassé les pilleurs, et surtout « a mis sus justice et renforcié paix

383. Sur le banquet, voir M.-T. Caron, Le banquet du Faisan. 1454 : l’Occident face au défi de l’empire ottoman, Arras, 1997. Sur le projet bourguignon de croisade plus largement, la bibliographie est abondante : voir notamment J. Devaux, « Le Saint Voyage de Turquie : croisade et propagande à la cour de Philippe le Bon (1463-1464) », « A l’heure encore de mon escrire ». Aspects de la littérature de Bourgogne sous Philippe le Bon et Charles le Téméraire, C. Thiry (dir.), Louvain-la-Neuve, 1997, p. 53-70 ; et J. Paviot, Les ducs de Bourgogne, la croisade et l’Orient (fin XIVe-

XVe siècle), Paris, 2003.

384. MATHIEU D’ESCOUCHY, Chronique, op. cit., t. II, p. 161.

385. La croisade permettrait effectivement de détourner le roi de Calais où se sont retranchés les Anglais, et qui est enclavée en terre bourguignonne. Sur Calais à cette période et sa garnison, voir D. Grummitt, The Calais Garrison. War and Military Service in England, 1436-1558, Cambridge, 2008. Sur les motivations bourguignonnes, voir J. Paviot, Les ducs de Bourgogne, la croisade et l’orient, op. cit., p. 117-120.

386. JEAN CHARTIER, Chronique de Charles VII, op. cit., t. III, p. 63-64.

387. « Considéré aussi que lesdits Anglois ont fait une response au légat que nostre Sainct-Père le pape avoit envoyé par devers eux, sçavoir, qu’ils ne veulent entendre à aucune paix ». Ibid., p. 63. Voir la même réponse, rapportée dans des termes presque identiques dans George Chastelain, Chronique. Fragments du livre IV, op. cit., p. 66. Les deux légats sont le cardinal d’Estouteville pour la France et de l’archevêque de Ravenne, Barthélémy Roverella, pour l’Angleterre. Voir P. Contamine, Charles VII, op. cit., p. 312 ; et G. du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, op. cit., t. V, p. 189 et suivantes.

388. JEAN CHARTIER, Chronique de Charles VII, op. cit., t. III, p. 63-64.

389. THOMAS BASIN, Histoire de Charles VII et Louis XI, op. cit., p. 344.

390. Thomas Basin évoque bien, en effet, la sollicitude portée aux cours souveraines, que Charles « aimait et honorait », mais à un tout autre moment du bilan du règne. Ibid., p. 339.

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par loy391 » : on retrouve le rôle du chroniqueur bourguignon dans la formulation précoce d’un topos qui veut que le roi n’ait pas seulement expulsé du royaume l’ennemi traditionnel, mais œuvré, ensuite, pour la pérennisation de la paix. Lorsque Thomas Basin évoque la sollicitude dont le roi a entouré les cours souveraines, ce n’est en aucune manière lié à l’état de paix. Il est surtout le seul à évoquer précisément des mesures royales en faveur de la justice. Il n’est pas étonnant que de telles réformes – pas plus que les grands jours – ne soient pas évoquées chez les autres auteurs considérés ici – l’univers des cours souveraines ne leur étant pas familier392. L’expression de la justice royale n’est pas pour autant absente des récits, au contraire.

2.1.1.2. La démonstration de la justice royale ?

Dans son étude des lettres d’abolition à la fin de la guerre de Cent ans, Claude Gauvard, remarquant après 1453 un très net ralentissement de leur émission, explique que cette pratique, une fois les villes absoutes et la société pacifiée, laisse place au « temps des procès politiques393. » Temps du pardon et temps des procès sont en réalité aussi enchevêtrés que le temps de la guerre et celui de la paix. Lors de la courte période étudiée en effet, la justice royale se manifeste à plusieurs reprises dans les chroniques, selon des modalités et avec une intensité variable, mais toujours mue par des accusations de trahison et pour s’exercer sur des personnalités bien identifiées : lors du procès de Jean de Sancoins, de l’exécution de Pierre de Montferrand, de l’expédition contre Jean V d’Armagnac, de l’arrestation et du procès de Jacques Cœur et de celui de Jean II d’Alençon – ensemble d’affaires qui interviennent entre 1450 et 1458. Il s’agit moins de revenir sur les différents enjeux de cette « déferlante judiciaire394 » que de comprendre en quoi elle occasionne – telles que médiatisées par les chroniques – l’expression et la mise en scène de la justice royale. Ces cinq procès, fortement intriqués à plusieurs égards, se déroulent sur une période très resserrée qu’il nous faut d’abord brièvement restituer.

Il y a d’abord le prélude : le procès de Jean de Sancoins, receveur général des finances, soupçonné puis arrêté au motif de prévarications et de faux dans le cadre du paiement des gens de guerre lors de la campagne de Normandie. L’affaire est seulement évoquée chez Chartier : incarcéré à Rouen dès 1450, Sancoins est interrogé par « aucuns du grant conseil du roy et autres clercs

391. GEORGES CHASTELAIN, Chronique. Fragments du livre IV, cité dans J.-Cl. Delclos, Le témoignage de George Chastellain,

op. cit., p. 108.

392. Thomas Basin est en effet le seul des auteurs considérés ici à connaître une formation universitaire et à témoigner d’un intérêt professionnel pour la marche de la justice. Sur ce point voir supra dans ce chapitre, 2.1.2.2.

393. C. Gauvard, « Pardonner et oublier après la guerre de Cent ans », art. cité, p. 54. 394. J. Blanchard, Procès de Jacques d’Armagnac, p. XX.

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voyans clair et bien cognoissans en matière de finances395 », confesse le crime de « lèze-majesté ». S’ensuit un procès, probablement à Tours où le prisonnier est transféré, et qui se prolonge jusqu’en juin 1451. L’énormité du crime lui fait encourir la peine capitale mais le roi, « fort doux et misericordieux396», réduit sa peine à la prison fermée et à une très forte amende. Le récit de Chartier entend bien sûr souligner la très grande indulgence royale, mais c’est la peine capitale encourue davantage que la miséricorde qui marque l’exemplarité du récit397. Des soupçons ; une arrestation ; une information et un procès – qui ne se déroule ni dans la capitale, ni sur les lieux du crime – assuré par des conseillers et officiers du roi – spécialement commis pour l’occasion – et visant à mettre en évidence la lèse-majesté ; la condamnation avant la miséricorde royale ; le crime enfin, qui concerne de toute évidence la chose publique : autant de critères qui peuvent bel et bien permettre de qualifier le procès politique et que recoupent largement les quatre affaires qui suivent. Presque immédiatement après l’affaire Sancoins éclate l’affaire Jacques Cœur : bien plus retentissante, eu égard au prestige du personnage – l’ensemble des chroniqueurs considérés ici y fait d’ailleurs au moins allusion, souvent y consacrent d’amples développements. Soupçonné d’abus, une information préalable conduit à son arrestation le 31 juillet 1451398. Accusé de lèse- majesté – et notamment de contrefaçon, mais aussi de relations avec des princes et souverains étrangers et de trafic d’armes avec les Pays d’Islam –, il est emprisonné au château de Lusignan, puis jugé par une commission extraordinaire composée de membres du Conseil entre l’été 1451 et le printemps 1453, à Tours399. La sentence est prononcée le 29 mai 1453, à Lusignan : la sentence de mort est commuée en bannissement – en partie grâce à l’intervention du pape – assortie du paiement d’une forte amende et de l’obligation de faire amende honorable400. Jacques Cœur demeure en prison – cette fois à Poitiers – tandis que ses biens sont confisqués afin de réunir la