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Quelles relations entre les segments de discours ? : l’organisation relationnelle

3 Chapitre 3 : A l’appui d’une mise en perspective pragmatique de l’intonation d’implication : le modèle

3.1 Deux modèles concurrents

3.2.2 Aperçu des différents aspects du modèle genevois

3.2.2.3 Quelles relations entre les segments de discours ? : l’organisation relationnelle

Dans le modèle genevois, l’organisation relationnelle a pour but principal de décrire les relations qu’entretiennent les constituants de la structure hiérarchique avec des informations contenues en mémoire discursive, entité abstraite dont le concept est emprunté à A. Berrendonner (Berrendonner, 1990), et qui contient l’ensemble des informations partagées par les interlocuteurs (soit les informations véhiculées par d’autres constituants, soit les informations présentes en mémoire discursive à l’issue des propos qui ont précédé, même très antérieurement, soit des informations issues des inférences réalisées à l’occasion de l’interaction). Ces relations sont de deux types : les relations illocutoires et les relations interactives génériques.

Les relations illocutoires permettent de marquer si une intervention est une question Q, une réponse RE, une information IN ou une ratification RA. Selon leur place dans l’échange ces relations sont dites initiatives (elles amorcent l’échange comme par exemple la question qui va inciter une réponse) ou réactives (comme les réponses, ou la ratification qui clôt presque tous les échanges). Théoriquement, les relations illocutoires ne caractérisent pas des actes isolés mais uniquement des interventions constitutives d’échanges (qui mettent en scène au moins deux interlocuteurs).

Néanmoins, la description empirique de notre corpus permettra de montrer comment un seul locuteur peut mettre en scène l’interaction discursive à l’intérieur d’un monologue grâce a des actes porteurs de relations illocutoires, notamment de questions et de réponses.

Les relations interactives génériques ressemblent aux relations rhétoriques décrites par la R.S.T. de Mann et Thompson. Pourtant, à la différence de ces dernières, elles enchaînent sur des informations contenues en mémoire discursive et non pas sur la séquence textuelle précédente en tant que telle. De plus, elles représentent non pas un inventaire ouvert comme dans la RST, mais un ensemble fini de huit relations dont voici la liste (on trouvera des précision concernant ces relations, en particulier les connecteurs qui permettent d’en établir le type, dans Roulet et al., 2001 : 172) :

arg = argument c-a = contre argument ref = reformulation top = topicalisation suc = succession pré = préalable com = commentaire clar = clarification

Au-delà de l’identification des relations illocutoires et interactives génériques, l’organisation relationnelle permet aussi de décrire le parcours inférentiel qui détermine la relation spécifique de chaque constituant à une information en mémoire discursive.

Le calcul inférentiel de ces relations spécifiques est fortement inspiré des apports de la théorie de la pertinence (Sperber et Wilson, 1986) et résulte d’un double processus d’explicitation et d’implicitation que nous ne détaillerons pas ici (voir Roulet et al., 2001, p. 193 et ss.).

L’établissement de la structure hiérarchique et des différents types de relations qui associent ses constituants à une information partagée est à la base de toute description empirique qui utilise l’instrument d’analyse forgé par les genevois. Appliquée à notre corpus, elle nous permettra, comme nous le montrerons (voir la section 6.1.1), d’observer à quel type de constituant s’applique de préférence l’intonation d’implication, quelle distribution occupe ce contour intonatif dans l’architecture discursive et à quels genres de relations il s’associe préférentiellement.

L’établissement de la structure hiérarchique est aussi un préalable indispensable

qu’entretient le discours avec le monde, c’est-à-dire avec l’ensemble des objets, des faits et des pensées, réels ou imaginaires, présents, passés ou même à venir, dans lesquels, à partir desquels, ou sur lesquels on parle. Il s’agit donc de prendre en considération non seulement le monde ordinaire dans lequel se rencontrent les interlocuteurs mais aussi le(s) monde(s) représentés par l’intermédiaire du discours lui-même ou des pensées qu’il occasionne.

Pour aborder les liens des mots avec le monde, le modèle genevois dispose du module référentiel défini par Laurent Filliéttaz selon les termes suivants :

« (…) on définira le module référentiel comme la composante élémentaire du modèle modulaire spécialisée dans la description des rapports que le discours entretient avec le monde dans lequel il est produit ainsi qu’avec les mondes qu’il représente. Plus spécifiquement, le module référentiel cherche à rendre compte d’une part des actions langagières et non langagières accomplies ou désignées par les locuteurs, et d’autre part des concepts impliqués dans de telles actions. Parce que ces actions et ces concepts sont partiellement régulés par des attentes typifiantes, et toujours négociés en situation, le module référentiel doit décrire non seulement les représentations schématiques (praxéologiques et conceptuelles) sous-jacentes au discours, mais encore les structures ou configurations émergentes (praxéologiques ou conceptuelles) qui résultent de réalités discursives particulières. » (Roulet et al., 2001, p. 103)

Gardons à l’esprit que le modèle cherche à mettre en évidence des régularités au cœur de la complexité des situations discursives attestées. Dans ce but, il forge un certain nombre d’outils parmi lesquels ceux qui viennent d’être cités et qu’il nous faut détailler :

La représentation praxéologique met ainsi en évidence de façon schématique l’ensemble ritualisé des actions (langagières ou non) que l’on peut attendre dans une situation déjà connue. L’ouvrage donne l’exemple d’une incursion en librairie pour laquelle les rituels d’ouverture et de clôture (salutations), d’achat (commande, vente) ou de renseignement sont en grande partie prévisibles, leur connaissance étant partagée par les participants. L’élaboration de la représentation praxéologique qui sous-tend tout débat radiophonique nous permettra de dégager les aspects ritualisés de la situation correspondant à nos données.

Le cadre actionnel, quant à lui, permet de figurer l’organisation effective des actions qu’une interaction verbale attestée a fait émerger. Nous l’établirons également pour notre corpus afin de connaître les types d’action auxquels on pourra rattacher les énoncés porteurs de l’intonation d’implication. Les statuts sociaux des interlocuteurs et la mise en jeu des faces telles que décrites par Goffman (Goffman, 1973) y apparaissent également sous la rubrique position actionnelle.

La structure praxéologique des actes qu’accompagne et/ou que produit le discours peut alors être représentée sous une forme hiérarchique parente de celle de la structure textuelle, et comportant elle aussi des relations, dites praxéologiques, d’étape, de réorientation, ou d’interruption de l’action en cours. Nous en reparlerons un peu plus loin.

Contrairement à la composante praxéologique, nous n’utiliserons pas la composante conceptuelle malgré la place importante qu’elle tient dans la dimension référentielle. En effet, les représentation et structure conceptuelles n’éclairent pas le fonctionnement de l’intonation d’implication, du moins dans les données que nous avons choisies

d’étudier, car elles donnent des informations sur les contenus manipulés par le discours, notoirement peu pertinents pour expliquer les fonctions prosodiques. Aussi ne nous attardons-nous pas sur cet aspect.

A l’inverse, il importe d’évoquer l’organisation opérationnelle dont le but est de rendre compte avec précision de l’articulation des paroles non plus avec le monde, mais avec les actes qu’elles accompagnent ou contribuent à produire. Pour ce faire, la solution adoptée par les versions antérieures du modèle recourait au concept d’acte de langage hérité de Searle (Searle, 1972) à la fois unité de langue et unité d’action. L’innovation majeure, selon nous, de la version 2001 du modèle genevois est de dissocier la structure praxéologique (telle que décrite plus haut) de la structure textuelle (autre nom de la structure hiérarchique), mettant ainsi en évidence leur possible disjonction. La structure discursive à proprement parler résulte alors de l’articulation souple des deux précédentes mises en regard l’une de l’autre, comme le démontre de façon très convaincante L. Filliéttaz dans le chapitre 7 de l’ouvrage (Roulet et al., 2001 ; voir en particulier la figure 46 p. 212).

Nous n’établirons pas non plus la structure praxéologique de notre corpus en regard de sa structure hiérarchique textuelle en raison de l’ampleur de la tâche que l’espace dévolu à une thèse rend chimérique. De plus, les représentations plus synthétiques comme la représentation praxéologique et surtout le cadre actionnel suffisent à faire apparaître les régularités qui importent à notre propos.

3.2.2.5 Qui le discours relie-t-il et comment ? : la dimension interactionnelle