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Que devient un contour intonatif « phonologique » dans la conversation et à quoi sert-il ? Ce travail s’est donné pour tâche de répondre à cette question en se fixant deux objectifs complémentaires :

§ décrire les différentes formes d’actualisation phonétique de l’intonation d’implication, dans un corpus de débat radiophonique.

§ déterminer l’usage que font les locuteurs de ce contour en fonction de leur place interactionnelle et de leurs objectifs discursifs.

Nos résultats montrent l’intérêt qu’il y a à mener une étude descriptive minutieuse de la façon dont les observables prosodiques, fussent-il consensuellement reconnus comme phonologiques, s’actualisent en parole et prennent sens en situation après que ce soient contextuellement mêlées les différentes sources informationnelles qui prennent part à la construction de l’interprétation.

Importance de l’alignement, mise en évidence d’un allophone et preuves en faveur de l’émergence d’un nouveau contour

Les résultats de notre analyse phonétique révèlent l’intérêt des questions d’alignement pour l’intonation du français, problématique encore peu explorée pour cette langue (seuls les travaux de Post, et moins explicitement ceux de Martin, suggèrent le rôle de l’alignement concernant le contour montant-descendant) :

- l’alignement du maximum de F0 (respectivement à gauche ou à droite du noyau vocalique) s’avère l’indice la plus fiable pour différencier l’intonation d’implication du contour continuatif.

- C’est dans le continuum d’alignement qui sépare l’intonation d’implication du contour continuatif qu’émerge une forme intermédiaire, ambiguë du point de vue de l’identification et à laquelle nulle allusion n’est faite dans la littérature. L’usage qu’en font les locuteurs et que révèle l’analyse discursive suggère d’interpréter ce contour comme un allophone emphatique du contour continuatif.

Cette importance de l’alignement pour distinguer les contours d’implication et de continuation permet peut-être aussi de donner une deuxième explication à la fonction paralinguistique d’emphase si souvent attribuée à l’implication12. Si l’emphase peut être exprimée par la précocité de l’alignement du pic de F0 comme en serbo-croate

que fait de ce contour un de nos locuteurs surtout qui suggère qu’il pourrait être en cours de différentiation phonologique. Cette interprétation confirme la position de Post qui fait du contour avec pic sur la pénultième un contour phonologiquement distinctif.

Pertinence du contour intonatif comme objet discursif, portée interactionnelle et argumentative de l’intonation d’implication

L’analyse discursive menée grâce au modèle de Genève prouve d’abord qu’un contour intonatif peut être conçu comme un observable discursif à part entière, tout aussi important pour l’organisation du discours que, par exemple, un connecteur (comme lui sans dénotation au sens restreint, mais à haute portée pragmatique).

Ainsi avons-nous montré que, à l’intérieur du cadre genevois lui-même, l’intonation d’implication pouvait entrer dans la liste des marqueurs responsables des effets argumentatifs définis par le modèle.

Notre analyse discursive confirme également la dimension syntagmatique de la structuration prosodique à un autre niveau que celui de la distinction syntagmatique entre syllabe forte et syllabe faible : la distribution de l’intonation d’implication dans la structure hiérarchique textuelle est intermédiaire entre celle des contours continuatifs (les seuls à apparaître en milieu de constituant minimal) et celle des contours de finalité (les plus fréquents en fin de constituant maximal). On peut donc classer ces trois contours sur une échelle +final/-final à l’intérieur de laquelle ils se présentent dans le même ordre que sur le continuum d’alignement.

Nous mettons en évidence la portée clairement interactive (capter et guider l’attention) de l’usage que font les locuteurs de l’intonation d’implication ainsi que son fort potentiel argumentatif (inciter l’interlocuteur à rallier l’évidence), au moins dans le cadre propice du débat radiophonique.

Nos résultats montrent toutefois l’importance du cadre interactionnel spécifique à la situation : c’est la place interactionnelle attribuée aux différents locuteurs par le cadre de l’émission radiophonique qui va contraindre l’interprétation pour ce qui concerne la valeur illocutoire finalement attribuée aux contours : question pour les journalistes ; assertion pour les invités.

L’interprétation finale de l’énoncé s’appuiera donc aussi bien sur la valeur propre au contour (la composition d’une assertion forte avec une question sur la réception) que sur sa mise en perspective situationnelle (quel rôle assume celui qui parle).

Perspectives de recherche

Outre les propositions concernant la nature compositionnelle du fonctionnement pragmatique de l’intonation d’implication que nous avons exposées et discutées dans notre chapitre 7, les résultats que nous venons de résumer ouvrent de nombreuses perspectives de recherche que nous voudrions évoquer brièvement :

Le premier prolongement suggéré par nos résultats concerne les aspects perceptifs associés à la distinction des contours : en particulier, il nous semble intéressant de vérifier dans quelle mesure la perception d’un glissando descendant pour l’intonation

d’implication, montant pour le contour continuatif est susceptible de faciliter leur identification.

Nous envisageons aussi de tester perceptivement l’appartenance des contours 1 à 4 de la figure 65 à des catégories distinctives. Leur placement dans un continuum d’alignement permet en effet de leur appliquer en l’adaptant au français le protocole expérimental de la tâche d’imitation (« imitation task ») proposée par Pierrehumbert et Steele (1989).

Les variations de la perception de l’emphase en fonction de la précocité d’alignement du pic, hypothèse suggérée par l’analyse discursive des exemplaires ambigus de l’intonation d’implication, mériteraient elles aussi d’être testées dans des conditions expérimentales.

Il nous importe aussi de vérifier dans les conditions du laboratoire les possibles variations de l’alignement temporel du point F0L1 (vallée précédent immédiatement le pic de fréquence fondamentale) en fonction du type de contour (intonation d’implication consensuelle, ambiguë, contour continuatif).

C’est également en laboratoire que pourront être explorées les adaptations phonétiques des contours 1 à 4 à des énoncés disyllabiques ou monosyllabiques pour lesquels l’alignement temporel ne peut plus être exploité.

Enfin il nous paraît indispensable d’étudier les relations de l’intonation d’implication avec la fonction contrastive que lui attribuent certains auteurs comme Di Cristo & Hirst (1996) ou Mertens (1990).

L’ensemble de ces travaux devrait nous donner les moyens d’aborder la question de la formalisation du système intonatif du français que nous avons laissée de côté dans notre présente recherche.

En revanche, c’est uniquement au moyen de l’analyse discursive de corpus variés et étendus provenant de genres différents que nous pourrons étendre notre compréhension du fonctionnement pragmatique « écologique » de l’intonation d’implication. Nous aimerions par exemple étudier l’usage qu’en font les locuteurs dans la conversation « à battons rompus », où domine une urgence interactionnelle certainement propice à l’émergence de ce contour.

Les liens étroits que nous avons pu observer entre l’émergence de l’intonation d’implication et la mise en scène de l’interaction à l’intérieur des monologues des locuteurs de notre corpus nous suggèrent également de mener une étude sur le lien de l’intonation d’implication avec le discours rapporté.

L’évidente portée argumentative de ce contour nous enjoint évidemment à entreprendre des recherches concernant la contribution de l’intonation d’implication,