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Relations interactives génériques type de

6.2 Autres analyses discursives

6.2.2 L’intonation d’implication émerge dans les épisodes polémiques

6.2.2.1 Mettre en cause un autre discours

6.2.2.1.3 L’adversaire est mis en cause sans être nommé

Les mêmes procédés de négation ou de mise en cause de propos ou d’idées peuvent apparaître sans que soit clairement nommé le responsable des thèses accusées comme c’est le cas dans l’exemple présenté par la figure 59 :

Ap [19] et la question taboue Ip

As [20] pour moi la plus importante

Is com

top

As [21] que les gouvernements et les responsables politiques n'affrontent pas ct8

I com

As [22] ce n'est pas quels sont les critères de délimitation de l'Europe ct9

Ip pré

Ip Ap [23] c'est quel est ce projet politico-social pi4

As [24] parce qu'évidemment là il y a un désaccord tout à fait clair ct10 entre euh ce qui s(e) fait aujourd'hui et la nécessité de répondre aux besoins fondamentaux des peuples en matière euh de chômage ct11 en matière de politique sociale ct12 ou en matière de politique euh plus générale pi5 arg

Figure 59. Exemple d’épisode polémique à pi où l’adversaire mis en cause n’est pas identifiable. L’episode utilise aussi une structure alternative « ce n’est pas…/c’est… » Les énoncés porteurs des pi4 et pi5 dans le tour YS1 représenté dans la figure 59 mettent en cause la position adverse selon laquelle ce sont les critères de délimitation de l’Europe qui font question alors que, selon YS, c’est le « projet politico-social » de l’Europe qu’il importe de mettre en débat. Les tenants de l’opinion renversée ici ne sont pas nommés mais l’auditoire peut aisément reconnaître qu’AL est visé puisqu’il défend l’importance des critères géographiques pour définir l’Europe. On reconnaît par ailleurs un autre procédé polémique que nous examinerons plus loin : la structure contrastive « ce n’est pas…/c’est… ».

Dans le tour AL3, l’intonation d’implication pi4 porte sur un « non » qui répond à une question non formulée mais déduite par inférence des énoncés au conditionnel portés par les actes précédents. Observons-les sur la figure 60 ci-dessous :

As [32] je leur ai dit pré

As [33] mais c'est aussi euh étonnant ct7

Ip top

Ip

Ap [34] que si nous faisions campagne pour que le Mexique rentre dans les Etats-Unis d'Amérique Ip

As [35] parce que nous estimerions que ça serait le meilleur moyen de consolider la démocratie ct8 et et et la modernité au Mexique t9

arg

Ap [36] non pi4 Ip

As [37] le Mexique peut devenir un Etat

démocratique et moderne ct9 sans entrer dans les éteudé dans les Etats-Unis d'Amérique pi5 arg

Figure 60. Episode polémique à pi sans adversaire identifiable utilisant l’inférence sur une question virtuelle (tour AL3)

Notons d’abord que les relations interactives génériques qui relient les deux interventions isolées sur la figure n’y apparaissent pas car elles impliquent d’autres interventions non nécessaires à notre explication. Pour comprendre sur quoi s’ancre l’acte [36], porteur de pi4, il faut reconstituer le parcours inférentiel attendu de l’interprète. Sans le reconstituer aussi complètement que le fait le modèle (Roulet et al., 2001 : 191-199) nous pouvons expliciter que l’interprète doit s’appuyer sur l’énoncé au conditionnel formulé dans les actes [34] et [35], il doit les transformer mentalement en question du type « est-ce que nous faisons campagne pour que le Mexique rentre dans les Etats-Unis d'Amérique parce que nous estimons que ça serait le meilleur moyen de consolider la démocratie et la modernité au Mexique ? ». La réponse que donnent les actes [36] et [37] porteurs de l’intonation d’implication est dès lors interprétable et l’ensemble de la métaphore lisible.

Un procédé voisin est employé par le même locuteur dans le même tour de parole AL3 à l’occasion de l’émergence du pi2. Cette fois, une question rhétorique est explicitement formulée qui reçoit sa réponse monologiquement : sont détrompés ici les personnes qui seraient tentées de se poser cette question, sans que rien d’autre ne permette de les identifier. Cet autre procédé qui sert à mettre en scène l’adversaire absent, et même virtuel par l’intermédiaire d’un jeu de question/réponse intérieur au tour de parole est lui aussi massivement accompagnée de l’intonation d’implication

même, court-circuitant ainsi la parole de l’autre à son profit, ce que du reste lui permet le dispositif imposé par le cadre interactionnel, comme nous l’avons vu plus haut (section 6.1.3.2).

Ainsi, beaucoup des énoncés pourvus de l’intonation d’implication dans le tour de parole AL3 entrent dans des structures de ce type plus ou moins apparentes dans la structure textuelle. Nous venons d’en décrire deux exemples dans la section précédente, en voici un troisième : dans le cas des énoncés relatifs à pi2 et pi3, il s’agit comme précédemment de reconstruire la question non formulée au moyen d’une inférence. La question à laquelle répondent les actes [25] et [26] porteur respectivement de Cpi1 et pi3 peut alors être formulée ainsi : « faut-il, comme le prétend YS, bâtir un projet politique et l’offrir à tous les pays qui partageraient ce projet et nos valeurs ? ».

La réponse est faussement concessive, ce à quoi participe l’intonation d’implication comme nous le verrons ultérieurement. Les énoncés porteurs de pi1 et pi2 dans le tour AL5 attaquent par le même procédé les propos d’YS représentés par l’acte 4.

Bien que moins fréquemment qu’AL, YS utilise aussi la structure Q/R associée à l’émergence de l’intonation d’implication dans le tour YS4. Les deux structures ainsi construites exhibent ici des questions explicites comme le montre la figure 61 :

Ap [5] alors la conférence intergouvernementale t2 euh Is

top Ap [6] pourquoi la conférence intergouvernementale Is Q

clar As [7] c'est c(e) qu'Alain Lamassour euh vient d'introduire pi1

RE

Exemple a)

As [56] alors est-ce qu'il y a un lieu où l'on peut décider une harmonisation politique au niveau européen pi5 pré

Ip Q

Ap [57] évidemment non dans le cadre de la négociation intergouvernementale à quinze et puis à dix-huit à vingt-deux etcetera pi6

RE

Exemple b)

Figure 61. Deux exemples d’épisodes polémiques à pi utilisant l’échange représenté avec Q/RE. Tour YS4.

Dans l’exemple a), c’est encore la réponse (acte [7]) à la question réthorique (acte [6}) qui porte l’intonation d’implication (pi1) ; en revanche dans l’exemple b), les deux membres de la structure reçoivent cette forme intonative : la question rhétorique de l’acte [56] (pi5) et la réponse que donne l’acte [57] (pi6).

On peut à cette occasion remarquer la plus grand maîtrise rhétorique dont fait preuve AL, sans conteste le plus habile orateur de ce débat comme nous avons déjà pu le constater à plusieurs reprises. En effet, on constate ici qu’il utilise de manière plus variée et plus complexe (recours aux inférences) la structure Q/R monologique que

nous venons de décrire que son principal adversaire YS. Celui-ci se montre pourtant le plus tenace face au politicien. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Venons en à présent au troisième procédé polémique mis en œuvre par nos locuteurs : l’usage de la structure contrastive « ce n’est pas…/c’est… ».

6.2.2.3 La structure contrastive « ce n’est pas …/ c’est … »

Pour mettre en scène l’affrontement des thèses adverses tout en inclinant l’issue à leur avantage nos deux locuteurs les plus éloquents développent une troisième stratégie que nous avons déjà vue à l’œuvre dans l’exemple proposé par la figure 59. Il s’agit pour le locuteur de présenter les arguments ou la position supposée de l’adversaire dans la première partie de l’alternative introduite par « ce n’est pas », afin de formuler immédiatement après ce que « c’est… », selon lui. Sur les huit exemples d’une telle structure contrastive que présente notre corpus, seuls deux ne sont pas accompagnés par l’émergence de l’intonation d’implication (voir tour YS2 acte [21] et [22] et tour Ja5 acte [4] et [5]). Examinons donc les six autres :

Dans l’exemple de la figure 59 (section 6.2.2.1.3) extrait du tour de parole YS1, l’énoncé porteur de l’intonation d’implication (pi4) est le second membre, positif, de l’alternative qui retourne les propos adverses présentés dans le premier membre.

Le même locuteur utilise le même procédé dans le même tour de parole, mais avec le pi sur le premier membre, négatif, de l’alternative (voir YS1_Cpi1). De même chez AL dans le tour AL5 représenté dans la figure 56 (section 6.2.2.1.1) : dans ce cas, le premier membre de l’alternative, rapporte les propos de l’adversaire YS qui utilise lui-même l’expression « ce n’est pas » (acte [35]). Il suffit alors au locuteur d’utiliser la forme positive « c’est » sur le même contenu pour retourner l’argument adverse (acte [37]). C’est ce dernier acte qui est porteur du pi3.

Au contraire, le pi7 du même tour AL5 configure l’acte initial de l’alternative qui présente les arguments niés (acte [65] commençant par « ce n’est pas… ») comme on le voit dans la figure 62 :

As [65] or ça c'est pas des problèmes qui vont se poser demain pi7

I c-a

Ap [66] c'est des problèmes qui se posent dès aujourd'hui t18

As [3] la question n'est pas de commencer par euh dresser la liste de ceux qui euh ont le droit euh et ceux qui n'ont pas l(e) droit de postuler à l'entrée dans l'Union européenne pi1

Ip arg

Ap [4] la question est celle de la compatibilité entre un projet politique et social euh

Ip

As [5] je répète com

[4bis] et les élargiss(e)ment dans le cadre actuel pi2 euh

Figure 63. Variante de la structure contrastive « ce n’est pas…/c’est… » dont chaque énoncé membre porte une intonation d’implication

On constate comment les procédés qui permettent de mettre en scène l’affrontement des positions argumentatives à l’intérieur d’une prise de parole monologique trouvent des associations variables avec l’intonation d’implication qui les accompagnent fréquemment chez nos deux locuteurs dominants AL et YS. La structure Q/R et l’alternative « ce n’est pas…/c’est… » contribuent ainsi à l’expression de la polémique qui constitue le contexte d’émergence privilégié des versions assertives de l’intonation d’implication dans notre corpus.