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Relations interpersonnelles, transmission de l’information et rapport à l’autorité

Section I. De l'interculturel à l'intraculturel

B) Relations interpersonnelles, transmission de l’information et rapport à l’autorité

Les différences observées par ces managers concernant les collaborateurs originaires d’Allemagne de l’Est d’un certain âge sont dues au contexte politique du temps de la RDA entre 1961 et 1989. Les habitants étaient sur écoute, surveillés par la police politique connue sous le nom de Stasi377. Les personnels ayant vécu en RDA présentent pour certains aujourd'hui encore des comportements marqués par ce régime dictatorial et notamment concernant la transmission de l'information, le rapport au chef et à l’autorité et les relations interpersonnelles en général.

L'entretien le plus court378 réalisé dans cette étude a été mené auprès d'un manager allemand âgé de 53 ans en 2009, dont les réponses lapidaires contrastaient avec les réponses étoffées des autres managers interrogés. Nous avons fait part de notre étonnement au service des ressources humaines de l’entreprise qui nous a expliqué que le manager en question avait vécu en RDA, ce qui pouvait être la raison de sa méfiance et de son introversion vis-à-vis des

376 Entretien 22 : « Wir haben hier in Deutschland, gerade hier in dieser Firma, eine massive Entwicklung durch gemacht. Natürlich sehr lange als Total und Elf und Fina in Deutschland sehr klein irgendwo in Düsseldorf oder in Berlin gesessen sind. Die damalige Elf hatte ja dann diese Minol gekauft, diese ostdeutsche Ölgesellschaft, dann war der erste kulturelle, ich will nicht sagen Schock, aber die erste Herausforderung eben, die Ostdeutschen und die Westdeutschen zusammen zu bringen. Für mich war das ein viel größerer Unterschied als der vielleicht zwischen Westeuropäern. Das heißt, da dominierte wirklich dieser Konflikt oder dieser Unterschied zwischen Ostdeutschen und Westdeutschen. Parallel dazu hatten wir dann durch die Größe der Firma sehr viele expatriés her bekommen, also sehr dominant von Franzosen, weil sie per se ja dann nach Deutschland gegangen sind als die Vertreter der share Holder. Und damals war es recht schwierig, da hatten wir die Westdeutschen, die Ostdeutschen, die Franzosen und dann noch vielleicht andere Kulturen. Und das war also sehr spürbar, dass man sehr oft drüber nachdenken musste, was meint der andere eigentlich ? Da waren sehr viele Kommunikationsprobleme ».

377 La Stasi est le sigle pour Staatssicherheitsdienst qui correspond au service de sécurité de l’État dans l’ancienne RDA.

enregistrements.

L’extrait suivant, tiré d'un entretien mené auprès d'une Française, manager chez Total Allemagne, met l’accent sur le conditionnement différent dont ont fait l'objet les Allemands de l’Est du temps de la RDA et sur la signification de cette autre socialisation dans la manière de se représenter le monde et de vivre les relations interpersonnelles : « Ici on a énormément de cultures différentes puisqu’on a des gens qui viennent de Minol, des gens qui viennent d'Elf, des gens qui viennent de Total, des gens qui viennent de Fina. On a plusieurs nationalités, mais c’est une forte culture de l’Est […]. La socialisation est différente, le mode de pensée est différent. Ils ont deux cerveaux et nous, nous n'en avons qu’un puisqu'à l’époque il y avait la partie officielle et la partie personnelle, donc cela joue encore un rôle aujourd’hui : leur façon d’appréhender le pouvoir, les relations de pouvoir, la façon de voir entre guillemets la propagande, ou leur vision de l’information. C’est très différent »379.

Cette personne évoque la nécessité pour les Allemands de l’Est de jouer sur deux registres, l’un officiel, l’autre personnel, qui est un moyen de survie et de défense caractéristique de la vie sous un régime dictatorial. Cette différente vision du rapport aux autres et à l’information est manifeste dans le travail, elle suscite l’étonnement chez un manager français qui y voit plutôt un inconvénient en terme de transparence dans les relations de travail, susceptible de nuire au bon fonctionnement du groupe. Il évoque en effet le caractère « renfermé » des Allemands de l’Est qui ne souhaitent pas communiquer à leur chef les problèmes éventuels qu’ils rencontrent, les amenant à dissimuler des informations et à laisser les problèmes s’accumuler de peur de se faire réprimander. Le manager voit dans ce comportement un problème de confiance : « Il y a des personnes qui n'hésitent pas à venir dès qu'il y a un problème ou dès qu'elles pensent que quelque chose ne va pas, pour ne pas laisser les problèmes s'accumuler […]. J'ai vécu cela avec certains collègues assez âgés à Leuna qui avaient probablement eu – pour certains avec qui j'ai pu parler un peu en privé – de très mauvaises expériences au sein de la RDA et qui avaient effectivement tendance à donner le moins d'informations possible et à éviter de faire des vagues, tant que c'était possible. Quand je suis arrivé à la raffinerie, j'étais dans le bureau d'une personne qui partait en retraite et qui allait cacher des informations pour dire : "Je vais résoudre le problème entre temps ! Pas de problème, le chef n'a pas besoin de savoir !" Lorsque le problème n'était pas résolu, cela passait effectivement très mal avec le chef en question qui était français d'ailleurs et qui ne comprenait pas du tout […]. Je pense qu'il savait aussi pourquoi ils agissaient comme cela en se disant : "Ils sont renfermés, il ne veulent pas venir me voir quand il y a des problèmes, ils

pensent que je vais les engueuler." C'est-à-dire qu'il faut aussi que les personnes de l'équipe aient confiance en leur chef. Ce qui n'était pas toujours le cas effectivement »380.

Le caractère introverti ou « renfermé » des Allemands de l’Est pour reprendre le terme de ce manager français, semble effectivement poser problème dans la relation de travail avec les Français. L'extrait suivant en témoigne : « Ils respectent la hiérarchie. J'aimerais bien qu'il y ait un peu plus de confrontation parfois parce que la confrontation est acceptable. C'est aussi l'émulation, c'est les idées, c'est la remise en question. Moi je leur dis : "Vous avez le droit de tout me dire si vous n'êtes pas contents de moi." Cela ne me fera peut-être pas plaisir, mais si personne ne me le dit, je ne peux pas m'améliorer non plus. Et là-dessus, certaines populations, notamment issues de l'Allemagne de l'Est, sont quand même très renfermées de manière générale. On le sent. Je ne sais pas si c'est parce qu'elles ont été marquées par l'histoire. Vous avez vu le film "La Vie des Autres ?", il y a peut-être de ça […]. Mon sentiment, c'est quand même qu'il faut qu'il y ait dans une équipe un mélange des deux populations. Je ne me verrais pas avoir une équipe uniquement constituée de gens d'Allemagne de l'Est parce que cela constitue pour moi un risque d'avoir des gens trop renfermés […]. Ils ne vont pas vivre, ils ne vont pas être expansifs »381.

Dans l’extrait suivant une femme manager allemande âgée de 57 ans et originaire de l’ex-RDA pointe des différences qu’elle a constatées concernant les styles de management est-allemand et ouest-est-allemand. Selon elle, dans la culture est-est-allemande, le chef prenait des décisions de manière autoritaire : « J’ai commencé à travailler en RDA […]. Le directeur d’une entreprise détenait en définitive les pleins pouvoirs de décision et bien sûr, il tranchait sur certaines décisions qu'on appliquait par la suite »382.

La prise de décision autoritaire par le chef en Allemagne de l’Est a également été mentionnée par un directeur allemand âgé de 50 ans. Il y voit l'explication du comportement passif et d'attente des collaborateurs issus de l’ex-RDA vis-à-vis de la hiérarchie : « L’Allemagne de l’Est, je n’ai pas besoin de vous l’expliquer, c’était une tout autre culture. 20 ans nous séparent de cette époque depuis la réunification. Le travail y est bien différent d’avec les collègues originaires de l’Ouest ou du Sud. Parce qu’il existe peut-être encore plus ou moins dans ces têtes cette façon de se faire donner des ordres par la hiérarchie. La jeune génération est plus ouverte bien sûr […]. C’est vraiment différent en Allemagne de l’Est. Les gens ont

380 Entretien 31. 381 Entretien 9.

382 Entretien 13 : « Ich habe auch in der DDR angefangen zu arbeiten […]. Der Direktor eines Unternehmens hat dann letztendlich auch die Entscheidungsvollmacht gehabt, und hat dann natürlich auch bestimmte Entscheidungen ausgesprochen. Und die sind dann auch umgesetzt worden ».

plus de mal à prendre des décisions de manière autonome qu’en ex-RFA ou dans le Sud. Mais c’est dû à l’histoire, c’est tout à fait normal »383.

Les propos d’un directeur français vont dans le même sens : « Une différence fondamentale, c'est l'Est et l'Ouest. Les gens de l'Est – et on en a beaucoup ici –, ne s'expriment pas parce que culturellement ils ont appris à ne pas s'exprimer, à ne pas avoir le droit de s'exprimer et à prendre des coups sur la tête si jamais ils s'exprimaient et que ce n'était pas dans la ligne du parti. Même des gens à des niveaux relativement élevés aiment bien attendre ce que vous allez dire »384.

Du point de vue allemand, le rapport que les Français et les Allemands de l’Est entretiennent vis-à-vis de la hiérarchie est très semblable. L’extrait suivant est tiré d’un entretien conduit auprès d’un manager allemand âgé de 36 ans né en RDA du temps où le mur existait encore. Ce manager a toutefois fait ses études après la chute du Mur. Il s’est laissé dire par son prédécesseur, un passionné des questions interculturelles selon lui, que les Français du groupe s’entendaient à merveille avec les anciens employés de la société pétrolière Minol. Ces affinités relevaient selon lui d’un mode de fonctionnement étatique similaire car centralisé : « Mon prédécesseur a travaillé pendant 40 ans dans le groupe et a toujours été en relation avec les plus haut placés dans la société holding à Paris. Il m’a raconté que les Français venaient le voir et lui disaient : "Nous nous entendons très bien avec les Allemands et surtout avec les Allemands de l’Est !", il s'agit des anciens de chez Minol. La mentalité RDA/France est très ressemblante. Je pense que c’est cette façon de penser les relations hiérarchiques et le rapport à l’autorité dans le sens d'un esprit servile face à l’autorité qui est semblable. En Allemagne de l’Ouest avec les années 1968, les mouvements étudiants, tout le monde se rebellait tout le temps et du temps de la RDA, on vivait sous un régime autoritaire, l’État commandait. Les managers qui sont venus ici aussitôt après le tournant ont tout simplement pensé que ce serait super de diriger les personnes originaires de la RDA, et c’est ce qu’ils ont fait. Mon prédécesseur m’a alors raconté qu’énormément de managers français qui venaient ici en RDA étaient tout à fait séduits et très satisfaits de s’entendre aussi bien avec les personnes de l’ex-RDA »385.

383 Entretien 18 : « Ostdeutschland muss ich Ihnen nicht erklären, das war eine ganz andere Kultur gewesen. 20 Jahre haben wir jetzt hinter uns seit der Wiedervereinigung. Aber es ist schon ein anderes Arbeiten teilweise, als mit den Kollegen aus dem Westen oder aus dem Süden. Weil teilweise steckt es in diesen Köpfen noch drin, mehr oder weniger, vielleicht dieses hierarchische Gesagtbekommen, was man zu tun hat. Ja natürlich die junge Generation, die sind da offen […]. Also nochmal, sicherlich ist es in Ostdeutschland etwas differenzierter, weil da Entscheidungen zu nehmen, selbständig, tun sich die Leute sicherlich schwieriger als im Westen der Republik oder im Süden der Republik. Das ist aber historisch bedingt, das ist normal völlig ».

384 Entretien 7.