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Dans le cas du drame industriel de l’A380 chez Airbus en 2006, les décisions politiques ont eu des répercussions sur la coopération franco-allemande au travail entre ingénieurs et techniciens français et allemands travaillant à Hambourg et à Toulouse. EADS a été le théâtre de rivalités entre les États français et allemand. La gouvernance bicéphale ou direction paritaire franco-allemande et les nombreux sites de production sont à l’origine du drame industriel qui s’est traduit par des retards de livraison du gros porteur A380. Les problèmes techniques survenus alors ont découlé de décisions politiques.

La décision de la nouvelle direction et le choix de sites de production ont été le fait des gouvernements, et non de l’entreprise. Le gouvernement allemand, déjà lésé dans l’affaire Aventis, a imposé une « stricte parité franco-allemande » concernant la direction du groupe. Le groupe franco-allemand Aventis ayant été absorbé par le groupe français Sanofi-Synthélabo deux ans auparavant, cette direction paritaire franco-allemande était importante aux yeux des Allemands. Pourtant, et selon l’économiste H. Uterwedde, cette volonté d’une direction paritaire franco-allemande à tout prix incitant à un « raisonnement en terme de jeu à somme nulle », n’a pas été des plus judicieux, une situation avantageuse pour un pays se faisant au détriment de l’autre277. L'une des causes à l’origine des tensions franco-allemandes dans l’affaire de l’A380 relève du choix du site d’assemblage final du gros porteur, jugé injuste par les Allemands.

C’est le site français de Toulouse qui a été choisi et non le site allemand de Finkenwerder proche de Hambourg, ajoutant à la rancœur des Allemands. Selon Jean-Marc Zuliani et Guy Jalabert, chercheurs au Centre interdisciplinaire d’Études Urbaines de l’Université Toulouse-le-Mirail, Hambourg qui est une ville portuaire présentait des conditions favorables pour l’acheminement des pièces de l’avion. La position géographique de la ville de Toulouse n’était pas, quant à elle, la plus adaptée concernant la logistique à mettre en place pour le transport des pièces. Une fois construite, chaque partie de l’avion fabriquée par quatre filiales de chacun des partenaires industriels (Espagne, Allemagne, France, Grande-Bretagne), est ainsi acheminée vers le site de Toulouse pour l’assemblage final. Le cockpit est construit en France, la cabine en Allemagne, la voilure en Grande-Bretagne, l’empennage arrière en Espagne. J.-M. Zuliani et G. Jalabert donnent l’explication suivante concernant le choix de la ville de Toulouse : « L’établissement de Hambourg, par sa taille et sa localisation portuaire, pouvait apparaître comme le lieu possible de l’assemblage des A380. Mais l’aménagement du

site de Finkenwerder, en fait un polder à édifier sur une zone de protection naturelle, et l’allongement de la piste, se sont heurtés à toute une série d’oppositions et de retards juridiques alors que le site de Blagnac était rapidement disponible. Surtout, les équipementiers majeurs sont localisés dans l’agglomération toulousaine, et l’expérience d’assembleur acquise par les ateliers toulousains dans le domaine des gros-porteurs (A340) jouait en faveur de Toulouse »278.

Ainsi, les rivalités nationales chez Airbus se sont répercutées sur les relations de travail en interne et traduites par des retards de livraisons du nouveau modèle A380.

§ 1. Des problèmes de communication et d’intégration

Les sites de construction des différentes parties de l’avion étaient éclatés géographiquement, rendant le travail au projet commun de l’A380 difficile. Malgré une uniformisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) et la création d’espaces virtuels de travail communs, des problèmes liés au choix des outils informatiques ont révélé des difficultés majeures sur le plan de la communication et de l’intégration279 du groupe.

La création d’espaces de travail communs via le portail intranet280 « Airbus/People », mis en place en 2002, fut une réponse à ce problème de distance due à l’éclatement des sites. Des e-rooms – espaces de travail collaboratifs et virtuels – ont été ouverts à tous les salariés participant au projet. Les aéroports et les fournisseurs ont aussi été associés à certains de ces ateliers en ligne. L’objectif était de faciliter les relations de travail et surtout la communication entre les collaborateurs. Les salariés avaient la possibilité de valider ou non chaque modification apportée à l’aide d’un système de sondage. En outre, toute modification était notifiée par alerte e-mail et communiquée à chaque membre de l’espace virtuel281. Selon Vincent Leblong, responsable de la gestion de contenu et de la collaboration chez Airbus, l'« intelligence de tout ce qui est dans le travail collaboratif est gardée »282. Nicolas Humeau,

278 Jean-Marc Zuliani, Guy Jalabert, « L’industrie aéronautique européenne : organisation industrielle et fonctionnement en réseaux », L’Espace géographique, T. 34., février 2005, pp. 117-144. URL : http://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2005-2-page-117.htm.

279 L’intégration, dans une acception physiologique, signifie la « coordination nécessaire au fonctionnement harmonieux des activités de différents organes » et qui correspond parfaitement à l’idée d’intégration dans une entreprise ; cf.

Dictionnaire Hachette encyclopédique 2000, Paris, Hachette Livre, 1999.

280 Un intranet correspond à un « réseau électronique de services interne à une entreprise, fonctionnant avec les mêmes outils qu’Internet » ; cf. Ibid.

281 Nicolas Humeau, « Intranet : Airbus cultive le travail collaboratif », LeJournalduNet, 23.02.2005. URL : http://www.journaldunet.com/management/dossiers/050271intranet/airbus.shtml.

membre du cabinet Algoé Consultants, juge cette possibilité de se tenir informé utile: « Outre leur aspect collaboratif, ces e-rooms ont l'avantage de garder en mémoire l'historique du projet, les modifications apportées, les différentes maquettes et versions qui ont amené à la solution finale »283.

Malgré la facilité d’utilisation de cet outil collaboratif, on peut aisément imaginer combien il est contraignant de se tenir constamment au courant des modifications opérées et de la quantité d’informations échangées entre les membres du groupe. De plus, ces espaces de travail communs n’ont pas empêché les problèmes liés à l’utilisation d’outils informatiques différents à Hambourg et à Toulouse. Dominique Sellier, responsable du secteur aéronautique-spatial-défense chez Secafi Alpha (cabinet de conseil auprès des comités d’entreprise), explique qu’« Airbus n’a jamais réussi à intégrer sa modélisation et son informatique […]. À Hambourg et à Toulouse, les outils utilisés, notamment de CAO [conception assistée par ordinateur] sont différents : les Allemands n'ont jamais souhaité en particulier adopter l'outil de modélisation CATIA, développé par Dassault Electronique »284. Gustave Humbert, nommé à la tête d’Airbus et successeur de Noël Forgeard en juin 2005, s’aperçoit de ce problème suite aux premières annonces de retards de livraison de l’A380. Chargé de mener des investigations à Hambourg, il découvre que les Allemands n’utilisent pas le même logiciel informatique qu’à Toulouse.

Lors d’une interview donnée au journal Le Point, Louis Gallois qui a succédé en octobre 2006 à Christian Streiff (PDG d’Airbus de juillet à octobre 2006) à la tête d'Airbus, explique les ressorts du drame industriel de l’A380 : « Le problème, c'est l'énorme loupé de son industrialisation. Alors pourquoi y a-t-il eu ce bogue sur les câblages électriques de l'avion ? On a sous-estimé la complexité d'aménagement d'une cabine de 550 passagers, avec les services modernes qui sont désormais assurés à bord : les fauteuils électriques, les systèmes vidéo, etc. C'est la raison technique du loupé. La seconde raison, plus profonde, est qu'Airbus, contrairement à ce que l'on a pu croire, n'est pas une entreprise intégrée. Elle a été constituée à partir de quatre sociétés (Aerospatiale, l'allemand Dasa, British Aerospace et l'espagnol Casa), mais on n'a pas intégré l'appareil industriel, pas harmonisé les méthodes ni le système de conception assistée par ordinateur. Et l'on s'est retrouvé avec des systèmes différents qui ont conduit à un désastre industriel […]. Ainsi, s'agissant des systèmes de conception assistée par ordinateur, les usines françaises et allemandes avaient le même fournisseur, Dassault bureautique, ce qui facilite sa mise en œuvre, diminue l'effort de formation » ; cf. Ibid.

283 Ibid.

284 Cité in : Marc Chevallier, « Airbus pris dans un trou d’air », Alternatives économiques, n° 252, novembre 2006. URL : http://www.alternatives-economiques.fr/airbus-pris-dans-un-trou-d-air_fr_art_205_24109.html.

Systèmes dans les deux cas, le même logiciel Catia, mais pas la même version de Catia ! »285. Les données suivantes ont été recueillies à ce propos sous forme de questionnaires auprès de quatre ingénieurs français travaillant dans l'élaboration de l'A380 chez Airbus en 2007 et 2008. Les trois premiers travaillaient sur le site de Hambourg et le quatrième ingénieur français sur le site de Toulouse. Sur les deux questionnaires adressés à deux managers allemands, l'un (une femme) a accepté de répondre aux questions relatives aux causes du drame industriel de l'A380, l'autre manager s'y est refusé en raison de l'existence d'une clause de confidentialité contenue dans son contrat de travail l'empêchant de s'étendre sur ces questions. Les propos suivants sont extraits des questionnaires distribués aux ingénieurs français et répondent à la question des problèmes à l'origine du désastre industriel occasionné par les retards de livraison de l'A380 : « [Ces] outils, trop différents entre la France et l’Allemagne, [ont] caus[é] parfois des problèmes de transfert de données »286.

« Process287 et tools sont différents selon les pays. Il en résulte des problèmes d’intégration des systèmes et d’assemblage de pièces […]. Avant la fusion de l’aérospatial (Airbus France) avec DASA (Airbus Allemagne), les Allemands comme les Français travaillaient avec leurs propres outils. Comme la parité entre les deux pays au niveau designet production des avions doit être de 50 %, les forces et moyens de travail sont restés tels quels et aucune harmonisation n’a été mise en place. Cela essaie de changer avec Power 8288 » 289.

« En uniformisant les outils dès le début du programme »290, le groupe aurait évité ces problèmes survenus lors de l’élaboration de l’A380. « Pour ce qui est de l’électrique A380, le design en maquette numérique 3D [s’est fait] avec le même outil par le personnel de Hambourg (français et allemand), à savoir Catia V4, idem pour les harnais techniques des sections de fuselage allemandes (S13 et S18), mais les collègues de Toulouse utilis[aient] en revanche CADDS5 [une autre version de Catia]. Même constat pour les outils de schématique électrique : Principa Diagrams et VKE en Allemagne, CIRCE en France »291.

L'un des ingénieurs explique qu’un travail de conversion était opéré chaque jour : « Tous les

285 Interview de Louis Gallois, « Chez Airbus, je ne suis pas le Français de service », Le Point, 18.01.2007. URL : http://www.lepoint.fr/archives/article.php/114498

286 Questionnaire 6.

287 « Process : ensemble des étapes ou des transformations nécessaires à la fabrication d'un produit » ; cf. Marc Chevallier, « Airbus pris dans un trou d’air », Alternatives économiques, op. cit.

288 Power 8 correspond au programme de redressement du groupe sur le plan économique mis en application par Christian Streiff, resté trois mois à la présidence d’Airbus aux côtés de Louis Gallois, qui poursuivra seul ce plan, suite à la démission de C. Streiff ; cf. Ibid.

289 Questionnaire 5. 290 Questionnaire 1. 291 Questionnaire 6.

jours, le travail fait sur Catia V4 et CADDS5 [était] converti aux formats CADDS5 et Catia V4 pour que toutes les équipes aient accès au travail fait le jour précédent »292.

Le travail de conversion aurait dû éviter les problèmes liés à l’utilisation d’outils différents. Ce même ingénieur évoque en revanche des différences concernant les outils de gestion : « Certains outils de gestion [étaient] différents entre l’Allemagne (TAKSY) et la France (CIRCE) : les informations contenues dans ces outils de gestion [n’étaient] pas partagées entre les équipes françaises et allemandes, il n’y a donc pas [eu] de conversion »293. D'après lui, le « principal "coupable" serait [l’] outil de gestion informatique allemand (TAKSY) qui serait moins performant que l’équivalent français »294.

Les explications des experts, dirigeants et ingénieurs évoquent bel et un bien un problème de compatibilité des versions de logiciels utilisés, toutefois, ils ne rendent pas compte des mêmes problèmes et ne semblent donc pas disposer des mêmes informations à ce sujet. L’économiste Marc Chevallier remarque que « paradoxalement, ces problèmes émergent alors même que, depuis la fusion des différentes entités du consortium en une société unique en 2001, Airbus a mis en place une infrastructure informatique unique, achevée en 2004, en lieu et place des quelque 400 intranets que comptaient ses seize sites physiques dans le monde. [Et que] visiblement, ce mouvement d’intégration n’est pas allé assez vite ni assez loin »295.

Selon l'ingénieur français travaillant quant à lui sur le site de Toulouse, l’« essentiel réside dans le refus allemand d’utiliser le même outil que les Français pour la conception et la gestion du système électrique. Les passerelles informatiques entre les deux systèmes d’information se sont avérées inopérantes. C’est évidemment aussi l’incapacité des managers à imposer un seul outil. Enfin, il y a eu des problèmes de reporting. Les difficultés ont été partiellement cachées jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour redresser la situation »296.

Les propos suivants extraits d'un questionnaire distribué à un autre ingénieur français déjà cité, complètent les précédents : « Je pense que les plannings prévisionnels étaient trop ambitieux. Airbus a en effet l’habitude de proposer des plannings très serrés, impossible à tenir. L’objectif apparent étant de maintenir la pression sur les sous-traitants à tous les niveaux pour être sûr qu’ils ne se relâchent pas. Le même problème se répète actuellement sur l’A400M. Pour "designer" un avion, l’ordre est le suivant :

292 Questionnaire 1. 293 Questionnaire 1. 294 Ibid.

295 Marc Chevallier, « Aribus pris dans un trou d’air », op. cit. 296 Questionnaire 4.

la structure (ailes, fuselage, etc.) ; l'équipement intérieur lourd ; l'installation des câbles électriques standards (commandes de vols, contrôle des moteurs, etc.) ; l'installation des câbles électriques customisés. Toutes les différentes étapes étaient plus ou moins en retard. Mais, aucune équipe ne voulait annoncer un retard interne. Comme ces retards se sont cumulés sur chaque étape successive, l’équipe responsable de la dernière étape a été la plus impactée. En l’occurrence, ce sont les responsables des câbles électriques customisés qui ont été le plus impactés. Quand il ne leur était plus possible de cacher le retard, ils l’ont annoncé et ont été désignés comme responsables. Le principal "coupable" serait un outil de gestion informatique allemand (TAKSY) qui serait moins performant que l’équivalent français. Néanmoins, toutes les autres équipes ont été soulagées et en ont profité pour replanifier elles-aussi leurs activités »297.

Ces propos rejoignent les analyses du consultant D. Sellier et celles de François Delétraz, journaliste au Figaro Magazine, qui explique le déclencheur de la crise comme étant l'« incapacité de l'usine de Hambourg à fournir le câblage électrique de l'A380 dans les délais, défaillance qui a été cachée au reste de l'entreprise. Dans le même temps, le site de Hambourg refusait d'utiliser le même logiciel de conception que celui de Toulouse afin de se démarquer des Français »298.Ce besoin de se démarquer s’explique par un sentiment d’injustice du côté allemand. Cette raison évoquée par les Français pose le problème en terme de fierté nationale, et donc de patriotisme.

§ 2. Le poids des « hiérarchies nationales »

Louis Gallois explique le problème d’intégration de l’entreprise par l’existence de « hiérarchies nationales cachées derrière la hiérarchie officielle »299, à l’origine du problème d’harmonisation des méthodes. Ces difficultés liées aux fiertés nationales remontent à un passé récent, l’affaire Aventis. Elles sont aussi le fait d’un passé de guerre encore lourd de conséquences. F. Delétraz nous éclaire sur cette question dans un article destiné à lever le voile sur le drame industriel traversé par Airbus en 2006 en l’intitulant : « La vérité sur la crise du géant aéronautique »300. Il écrit : « Manfred Bishop, le coprésident d'EADS, a mis en place, pour défendre les intérêts allemands et ceux de la société Daimler, un groupe de travail,

297 Questionnaire 1.

298 François Delétraz, « Airbus : la vérité sur la crise du géant aéronautique », Le Figaro Magazine, 09.03.2007. URL :

http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2007/03/09/01006-20070309ARTMAG90359-la_verite_sur_la_crise_du_geant_aeronautique.php

299 Interview de Louis Gallois, « Chez Airbus, je ne suis pas le Français de service », op. cit. 300 François Delétraz, « Airbus : la vérité sur la crise du géant aéronautique », op. cit.

véritable machine de guerre […]. Leur but fut de mettre au point une série d'arguments afin d'utiliser une technique éprouvée : demander beaucoup pour obtenir un peu. La position de Louis Gallois, à la fois patron d'Airbus, d'EADS et de nationalité française, ne lui a pas facilité la tâche. Par exemple, avec son légendaire bagout, Manfred Bishop réclama pour les sites allemands une parité franco-allemande sur la réalisation du caisson central (pièce maîtresse d'un avion). Demande sans fondement technologique puisque les Allemands n'ont en ce domaine aucun savoir-faire. Louis Gallois, homme de consensus et habile diplomate, s'opposa à ces requêtes, mais, en contrepartie, céda sur l'A320 quant au transfert d'une partie de la production à Hambourg […]. Chez les Allemands, il faut aussi compter avec le "syndrome Messerschmitt", à savoir la volonté de posséder à nouveau un savoir-faire aéronautique, dont ils ont été dépossédés après guerre. Rappelons que ce domaine industriel leur a été interdit par les Alliés »301.

La crise chez Airbus a des racines profondes. Ainsi, tenter de ménager les susceptibilités de chacun est la tâche qui incombe au dirigeant d’Airbus, Louis Gallois, concédant que s’il n’a pas oublié qu’il était Français, il ne doit pas pour autant chercher à défendre les intérêts de sa patrie. Selon lui, ce serait contraire à l’intérêt de l’entreprise : « C'est connu, à titre personnel je n'ai jamais mis mon drapeau dans ma poche. Mais, en tant que patron d'Airbus, je n'ai pas à jouer une carte nationale. Je me tiendrai à cette règle de manière stricte. Sinon, c'est ingérable […]. Mon rôle est de faire en sorte que les clivages nationaux s'estompent. Car c'est un poison mortel qui peut tuer l'entreprise. Je dois faire la démonstration aux quatre nationalités composant Airbus que je ne suis pas le "Français de service" »302. La réussite de la coopération franco-allemande chez Airbus repose ainsi sur la capacité de l’entreprise à dépasser les clivages nationaux. Airbus n’étant pas une entreprise intégrée industriellement, elle ne peut être qualifiée d’entreprise véritablement européenne, le poids des souverainetés nationales étant encore trop présent. La femme manager allemande travaillant chez Airbus à Hambourg parle d'un outil sur lequel les deux nationalités se sont mises d'accord a posteriori – suite au drame de l'A380 – et d'une réorganisation du système de management pour en faire une organisation transnationale pour laquelle, selon elle, le système d'organisation matricielle est le plus adapté : « C'est parce qu'avant 2000, nous étions deux entreprises bien distinctes. Le changement pour un outil commun n'a été adopté qu'après l'A380 et la mise en oeuvre des programmes de développement […]. La réorganisation actuelle tend vers la transnationalité à laquelle on associe généralement une organisation matricielle »303.

301 Ibid.

302 Interview de Louis Gallois, « Chez Airbus, je ne suis pas le Français de service », op. cit.

303 Questionnaire 8 : « Weil wir vor 2000 getrennte und vollkommen eigenständige Unternehmen waren. Eine Umstellung auf ein gemeinsames Tool ist erst die Entwicklungsprogramme nach A380 verabschiedet worden […]. Die

Le scénario présenté par l'ingénieur français travaillant chez Airbus à Toulouse qui aurait été susceptible d'éviter le désastre industriel causé par les retards de livraison de l'A380, rejoint la version de la femme manager allemande : « Il est très difficile de refaire le passé. On aurait pu par exemple nommer une organisation transnationale qui aurait déterminé les outils à employer indépendamment du pays. Dans la pratique cependant, une telle organisation aurait évité de ne choisir que des outils français pour garder un certain "équilibre". La seule vraie solution ne peut venir que du haut. C’est-à-dire, avoir un management vraiment unifié qui impose une intégration des équipes nationales […]. La mobilité géographique est peut-être une solution à promouvoir de façon plus intensive qu’aujourd’hui »304.

Il postule des échanges plus fréquents entre les deux pays, facilités par des séjours dans le cadre de la mobilité des travailleurs à Hambourg et à Toulouse et voit dans le recours à une troisième instance ou un troisième acteur, neutre et ainsi non impliqué dans les querelles intestines relevant des fiertés nationales (terrain propice au développement du patriotisme