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Les dimensions culturelles, auxquelles se sont intéressés E. T. Hall et G. Hofstede, recouvrent des réalités différentes car elles sont perçues et interprétées différemment selon le pays. La chercheuse Sylvie Chevrier écrit que « tout individu procède à chaque instant à une interprétation personnelle de situations particulières en se référant à des concepts partagés. Ce sont les concepts partagés qui servent de contexte d’interprétation qui constituent la culture d’une communauté »190. Ainsi, les travaux menés par P. d’Iribarne permettent de distinguer trois styles de management reposant sur trois contextes nationaux de gestion différents au sein de la firme multinationale Pechiney191. Ces différents styles de management s’expliquent par trois logiques différentes en France, aux États-Unis et aux Pays-Bas. Le contexte d’interprétation français repose sur une « logique de l’honneur », le contexte d’interprétation néerlandais sur une « logique du consensus » et celui des États-Unis sur une « logique du contrat »192. Ces trois logiques présentent différentes formes de régulation des rapports sociaux qui sont visibles dans les rapports d’autorité, dans les manières de gérer les conflits et dans les processus de décision qui sont les mêmes en société et dans les entreprises appartenant à ces sociétés193. L’identification des formes de régulations des rapports sociaux permet de savoir quelles méthodes de management appliquer en fonction de la culture nationale et de la situation.

Ces trois contextes d’interprétation (néerlandais, français, américain), correspondant à trois logiques différentes, peuvent être élargis à plusieurs pays, appartenant à des aires culturelles distinctes. Ainsi, la conception de l’univers néerlandais peut être élargie à l’Allemagne, la Scandinavie (Norvège, Suède) et la Suisse alémanique. La conception américaine peut être élargie à l’univers britannique. La troisième conception, française, peut être assimilée à un univers latin (France, Espagne, Italie, Portugal, Roumanie, Suisse francophone, Amérique latine, Belgique wallonne). Il s’agit ici d’aires culturelles européennes ou issues de cultures politiques européennes (ce qui est le cas des ressortissants des pays situés sur le continent américain). Ces cultures présentent des valeurs ou références universelles, communes. Ces valeurs font toutefois l’objet d’interprétations différentes. C'est ainsi que le concept de liberté, placé au cœur de ces différentes cultures, y est compris différemment. La volonté de limiter l’arbitraire des dirigeants constitue par exemple une valeur commune à ces différentes aires. La manière d’appréhender cette valeur varie cependant d’une culture à l’autre. Ces trois contextes d’interprétation expriment en effet trois conceptions de

190 Sylvie Chevrier, Le management interculturel, op. cit., p. 64.

191 Philippe D’Iribarne, La logique de l’honneur, Paris, Éditions du Seuil, coll. Points, 1989 ; Philippe D’Iribarne, L’étrangeté

française, Paris, Éditions du Seuil, coll. Points, 2006 ; Philippe d’Iribarne et. al., Cultures et mondialisation, Paris, Éditions du Seuil,

2002 ; Philippe d’Iribarne, « Entre rationalité gestionnaire et diversité des cultures politiques : blocages de communication dans l’entreprise », op. cit., 2002.

192 Jean-Louis Magakian et. al., 50 fiches pour aborder la gestion stratégique des ressources humaines, op. cit., p. 173. 193 Sylvie Chevrier, Le management interculturel, op. cit., p. 75.

la liberté, qui sont compréhensibles à travers les différents modes de régulation des rapports sociaux évoqués (mode de résolution des conflits, rapports d’autorité et processus de décision)194.

§ 1. Une France inégalitaire : la « logique de l’honneur »

Le contexte d’interprétation français repose sur une « logique de l’honneur » qui renvoie à un système de classes conférant aux individus un statut social déterminé par le rang qu’ils occupent dans la société. Ce système tire son origine de l’organisation de la société en trois ordres depuis le Moyen-Âge : clergé, noblesse, tiers-état. Le clergé et la noblesse sont entretenus par le tiers-état qui travaille, et ainsi exerce des activités économiques pour financer les fonctions de services publics des deux premiers ordres, le clergé étant chargé de l’éducation et de l’instruction publique, la noblesse ayant pour mission de faire la guerre pour défendre la nation, et ainsi d’y assurer la paix. Seul le tiers-état paie des impôts, le clergé et la noblesse, soumis toutefois aux devoirs incombant à leur état (verser son sang pour ce qui est de la noblesse par exemple), jouissent de privilèges. Les deux premiers ordres exercent ainsi des fonctions dites nobles car non lucratives. Les activités économiques renvoient quant à elles à une logique matérialiste. Le travail est donc perçu comme une activité vile du fait de la condition servile du tiers-état. Alors qu’en France, toute activité professionnelle est interdite à la noblesse, sous peine d’être destituée et de déchoir de sa condition, la noblesse, dans des pays comme l’Allemagne ou encore la Suisse, peut exercer des activités professionnelles, rémunérées. Ainsi le travail et le matérialisme ne sont pas considérés comme méprisables dans ces pays. Le système féodal en France, organisé en trois ordres, auxquels se sont substitués avec le temps l’aristocratie, la bourgeoisie et la roture sous l’Ancien Régime, persiste aujourd’hui mais sous une autre forme. Elle est visible dans les entreprises à travers la configuration « manager-employé-ouvrier »195.

La notion typiquement française de cadre correspond à une catégorie socioprofessionnelle (CSP). Les CSP n'existent pas à l'international et constituent ainsi une typologie spécifiquement française. Elles ont pour objet de classer l’ensemble de la population en un nombre restreint de catégories représentant chacune une certaine homogénéité sociale196. Le terme « manager » (mobile, flexible et adaptable) s’impose aujourd’hui. La mondialisation de l'économie a fait des cadres français des managers. Christophe Falcoz, chercheur en sciences de gestion, parle d’une « mutation profonde de

194 Ibid., pp. 90-93.

195 Jean-Louis Magakian et. al., 50 fiches pour aborder la gestion stratégique des ressources humaines, op. cit., p. 173. 196 Gilles Bressy, Christian Konkuyt, Aide-mémoire, Management et économie des entreprises, Paris, Dalloz, 2008, p. 64.

ce groupe professionnel » et des « transformations des facettes du métier de cadre »197.

L’expression française « il n’y a pas de sot métier » s’applique bien mieux à l’univers allemand qu’à l’univers français. En Allemagne, chaque métier est honorable. En France, comme l’a souligné P. d’Iribarne dans La logique de l’honneur198 ou encore dans L’étrangeté française199, il existe des métiers et des tâches perçus comme dégradants. Ce que P. d’Iribarne qualifie de « vil » et de « commun » s’oppose ainsi aux activités jugées « nobles » et « glorificatrices ». Cette manière de concevoir le monde relève d’un mépris pour les classes populaires. Ces dernières, tout aussi imprégnées de ce système inégalitaire, cherchent à s’élever dans l’échelle sociale pour atteindre l’idéal ambitionné par les classes privilégiées, ce qui les amènent à penser, elles aussi, en termes de privilèges et par conséquent de classes. S. Chevrier écrit : « La révolution a aboli les ordres dans leur forme ancienne, mais n’a pas balayé la conception fondamentale de la société organisée en groupes sociaux hiérarchisés »200. Le clientélisme, qui consiste à élargir sa clientèle par des moyens démagogiques, constitue une particularité bien française. Le journaliste John Paul Lepers écrit que « pratiqué à droite comme à gauche, le clientélisme est une véritable plaie de notre République […]. Bizarrement, cette coutume, autrefois appelée "indulgence", plus proche de l’attribution de privilèges que du fonctionnement démocratique, est en quelque sorte acceptée comme une médiocrité nécessaire par une grande partie de la classe politique comme par de nombreux citoyens. Pourtant, la pratique semble particulièrement développée »201. Dans le cadre de l’entreprise, l’évocation des privilèges (dans l’objectif de les écarter) est tout à fait déconcertante pour des Allemands qui sont amenés à travailler avec des Français202.

L’exemple suivant est particulièrement illustratif de la présence du clientélisme en France. Lors de la présentation du programme de la liste des élus sortants quelques jours précédant les élections municipales d’une petite ville de Charente-Maritime, l’ancien maire de la commune souhaitant reconduire son mandat, commença son discours en précisant qu’« il n’y aura[it] pas de privilèges

197 Falcoz Christophe, Bonjour les managers, adieu les cadres !, Paris, Éditions d’Organisation, 2003. 198 Philippe D’Iribarne, La logique de l’honneur, op. cit., 1989.

199 Philippe D’Iribarne, L’étrangeté française, op. cit., 2006. 200 Sylvie Chevrier, Le management interculturel, op. cit., p. 76.

201 John Paul Lepers, Thomas Bauder, Madâme : Impossible conversation, Paris, Privé, 2006, p. 109.

202 Jacques Pateau relate le déroulement d’une réunion dans une société franco-allemande : « Le PDG français présentait à tous ses collègues du premier niveau hiérarchique quelques principes qu’il préconisait pour la joint-venture binationale. La formulation "pas de privilèges" figurait parmi les valeurs-clés proposées ; elle entraîna immédiatement une certaine surprise du côté des interlocuteurs allemands. L’un ne comprenait pas le sens de cette formule, l’autre n’en voyait pas l’intérêt, demandant si ce qui lui était dû, par rapport à sa fonction et à son poste, était anormal (voiture de fonction, salaire, taille du bureau). Il trouvait superflu d’évoquer un sujet qui était naturellement réglé dans sa logique fonctionnelle allemande et reposait sur un consensus. Logique profondément communautaire : pas de revendication égalitariste, mais chacun accomplissant une tâche précise, par rapport à une norme intériorisée par tous. Du côté français, le PDG, personnellement épris d’égalité et de justice, affirmait solennellement son refus de la dérive monarchique, et cherchait à protéger par avance sa société contre ce risque : l’absence de privilèges devait faire partie des valeurs fondamentales du groupe » ; cf. Jacques Pateau, Une étrange alchimie, op. cit., p. 196.

mais que des obligations au sein de la mairie ». Le seul fait de le préciser souligne l’utilisation courante du clientélisme et donc le recours aux privilèges. Certes, il existe, particulièrement en France, des résistances et des protestations contre les inégalités (grèves, manifestations de tous ordres). La revendication est toutefois pour beaucoup une volonté d’accéder aux mêmes droits et privilèges que les classes dites « supérieures ». Inconsciemment, les classes populaires contribuent à la reproduction de ce système d’élites. J. Pateau écrit qu’« en France […], plus de deux siècles après 1789, l’égalité est toujours un mythe fondateur, jamais un principe acquis ». La liberté et le pouvoir reposent en France sur la maîtrise de la culture des classes dites « supérieures », que le système méritocratique tend à reproduire du fait de l’origine sociale des individus dotés inégalement en capital culturel203. Les personnes qui en sont le mieux dotées sont celles qui obtiennent les meilleurs résultats à l’école, en raison de la langue parlée dans les institutions scolaires, qui est celle parlée dans les milieux favorisés. Ces personnes occupent les fonctions dirigeantes du pays. Dans les entreprises, une certaine distance existe entre les collaborateurs situés à des niveaux hiérarchiques différents. Chacun est conscient des devoirs qui incombent à sa « caste » ou à son « état ». Les problèmes de coordination résultent ainsi de la certitude des individus de l’étendue de leur champ de responsabilité professionnelle. La réponse à ces problèmes de coordination sont les « ajustements informels » entre individus. Par conséquent, la qualité des relations interpersonnelles n’est pas liée au rang mais au lien personnel. Ces liens facilitent la communication entre services ou

départements dans l’entreprise.

Le rapport au travail relève en France du domaine de l’affectif. Les individus s’identifient à leur travail, ce qui rend la dissociation entre la personne et son travail ténue. Ainsi, critiquer le travail d’une personne revient à critiquer la personne elle-même, ce qui explique la violence des altercations verbales en cas de conflits. Chacun, sous couvert de défendre son travail, cherche à se défendre personnellement et veut imposer son point de vue. Il existe toutefois des limites à respecter. P. d’Iribarne parle de « devoir de modération »204. Celui ou celle qui reste sur ses positions et dont les revendications vont à l’encontre de l’intérêt général, sera qualifié de vulgaire. Le chef joue le rôle d’arbitre et c’est à lui de trancher en dernière instance.

Le système français se caractérise par une libre allégeance à un pouvoir qui incarne ce qui est grand. L´homme libre exprime librement son avis, même s’il s’oppose à la majorité, en respectant toutefois certaines limites. Le management en France est ainsi influencé par une « logique de l’honneur », qui tire son origine de La société de cour 205, dans laquelle il faut se distinguer des autres et se faire

203 Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979. 204 Sylvie Chevrier, Le management interculturel, op. cit., pp. 78-79.

remarquer par ses pairs et ses supérieurs en faisant preuve d’éloquence et de panache206. Le philosophe et sociologue Jacques Demorgon, spécialiste de l’interculturalité franco-allemande, fondateur d’une méthode interdisciplinaire destinée à faire avancer la connaissance en matière de structure des relations entre la France et l’Allemagne, a défini quatre courants culturels issus de l’histoire européenne207. Il associe la France aux cultures royales-impériales. Plus précisément, la France (comme l’Allemagne d’ailleurs) est une culture « nationale-marchande », engendrée par une stratégie royale-impériale208 .

§ 2. Les États-Unis et l’univers britannique : la figure du propriétaire et la logique du contrat

L’esprit de la société américaine trouve son origine dans les communautés de marchands puritains qui ont émigré, majoritairement au XVIIe siècle, de l’Angleterre vers les États-Unis. Les rapports marchands reposent sur l’établissement de contrats entre les personnes. L’engagement au contrat est libre, basé sur le consentement mutuel et motivé par un intérêt particulier. On se plie à la loi qui régit les relations. Ces relations contractuelles, fondées sur des règles juridiques, garantissent l’égalité entre les personnes. Ainsi, le cadre du contrat précise les relations de subordination à l’intérieur même du contrat. Chaque rôle est rempli selon les exigences du contrat, qui constitue la référence et guide l’action de chacun. Le chef fixe les objectifs et contrôle le travail accompli tout en jugeant de sa qualité. Le subordonné doit rendre des comptes à son chef, tel un fournisseur qui doit satisfaire aux attentes d’un client. Le contrat limite l’arbitraire. Une décision jugée injuste (unfair) peut faire l’objet d’une contestation grâce à un système de procédures qui s’avère parfois très lourd, mais qui constitue une manière de tempérer les conflits au sein de la relation contractuelle et ainsi garantit « l’équité de traitement »209. Les rôles, droits et devoirs des parties au contrat, limités au cadre du contrat, sont certes différents, mais ne portent pas atteinte à l’égalité des personnes. D’ailleurs, dans la société américaine, des dispositifs sont prévus pour éviter les déséquilibres en termes de pouvoir entre les plus forts et les plus faibles, qui sont protégés par la loi (exemple du droit de la concurrence, des pratiques anticoncurrentielles et des lois antitrusts)210. Le

206 Voir le film de Patrice Leconte (réalisateur), Rémi Waterhouse (scénario), Ridicule, Film, 102 minutes, Cinéa, Epithète Films, France 3 Cinéma, StudioCanal, Polygram Audiovisuel, Sofica Investimage 4 (sociétés de production), 1996.

207 Il s’agit des « cultures tribales et communautaires », des « cultures nationales-marchandes », des « cultures royales-impériales », et de la « culture informationnelle mondiale ».

208 Jacques Demorgon, Complexité des cultures et de l’interculturel, Paris, Anthropos, 1996, p. 14 ; Juliette Sméralda, « l’Enseignement et la recherche interculturelle. Essai d’approche comparée France-Allemagne », Revue d’Allemagne et des Pays de

langue allemande, T. 37, 3-2005, pp. 319, 325 ; Jacques Pateau, Une étrange alchimie, op. cit., pp. 157-158.

209 Sylvie Chevrier, Le management interculturel, op. cit., p. 82. 210 Ibid., p. 81.

système culturel anglo-saxon correspond ainsi aux « cultures nationales-marchandes »211.

Les communautés de marchands puritains étaient fondées sur des principes religieux et moraux. Le puritanisme fait référence à un mouvement protestant à l’époque de la fondation de la société américaine. Le principe de communauté morale a perduré dans une société devenue laïque. L’appartenance au groupe, à une même communauté, passe par le partage de valeurs morales, sur lesquelles les membres de la communauté s’appuient, et qui constituent un guide des comportements corrects à adopter (exemple des chartes éthiques et des projets d’entreprise)212. La morale ne s’oppose pas à la réussite de l’entreprise, contrairement au fonctionnement des entreprises en France. Le respect des valeurs morales sert les intérêts de l’entreprise. Aux États-Unis, la figure du propriétaire qui cherche à faire fructifier son bien est valorisée. La réussite et l’argent sont mis en avant sans que cela soit mal considéré213.

« Un homme libre se rend serviteur et valet d’un autre, en lui vendant, pour un certain temps, son service, moyennant un certain salaire »214, telle est la conception de l’homme libre dans le monde anglo-saxon. C’est ainsi la figure du propriétaire, libre de négocier les conditions de tout engagement dans une action commune, assuré de voir le juge veiller au respect des contrats où il s’est engagé, qui fait référence. C’est en tant que « propriétaire de lui-même », et pas seulement de ses biens, que chacun peut être dit libre.

§ 3. Allemagne et pays d’Europe du Nord : le groupe et la logique du consensus

Dans les pays d’Europe du Nord, et notamment aux Pays-Bas, le rôle du chef est d’écouter, d’expliquer, de convaincre ses employés. Toute décision importante est prise à l’issue d’une discussion avec les personnes concernées. Chacun a droit à la parole, doit rendre des comptes sur son travail et se laisse contrôler. Ce processus aboutit à un accord sous forme de compromis. Ce mode de fonctionnement renvoie au « principe de démocratie par consensus »215, caractéristique de la vie politique dans les pays d’Europe du Nord comme les Pays-Bas. Ce pays est composé de provinces qui, dès l’origine, possèdent chacune une voix lors de la prise de décisions à l’unanimité. L’égalité passe par un rejet de la domination du fort sur le faible, de la majorité sur la minorité et

211 Jacques Demorgon, Complexité des cultures et de l’interculturel, op. cit. 212 Sylvie Chevrier, Le management interculturel, op. cit., p. 83.

213 Philippe D’Iribarne, L’étrangeté française, op. cit., p. 112.

214 John Locke, Two Treatises of Government (1690), Cambridge University Press, Peter Laslett, 1960 ; traduction française par David Mazel, limitée au deuxième traité, Traité du gouvernement civil (1728), § 85, Paris, Garnier-Flammarion, 1992, p. 204. 215 Sylvie Chevrier, Le management interculturel, op. cit., p. 84.

donc par une « pilarisation »216 de la société. P. d’Iribarne explique que le style suédois en entreprise traduit une volonté d´empowerment de la base217. Chaque décision doit être prise au niveau le plus bas pour obtenir un consensus218.

La pratique du consensus présente des dérives. Il faut du temps pour arriver à s’accorder avec tout le monde dans le cadre d’une concertation. Un changement de direction, un événement imprévu, s’avèrent ainsi difficiles à gérer en raison du temps que représente une nouvelle confrontation des points de vue dans l’objectif d’un nouvel accord par consensus. Un autre point concerne la pression du groupe. Le groupe suédois, auquel le sociologue P. d’Iribarne s’est intéressé, partage des valeurs qui constituent des références communes aux membres du groupe. Ces références trouvent une illustration dans la vision de ce que doit être un produit propre au groupe, et inversement, de ce qu’il ne peut pas être. L’importance accordée à ces références partagées par le groupe peut, en cas de divergence de vue, entraîner l’exclusion de celui qui ne partage pas ces valeurs communes. Ainsi la pression du groupe remplace la pression de la hiérarchie que l’on connaît en France. La peur de l’exclusion peut expliquer l’absence de désaccord qui se traduit parfois à son tour par des attitudes de retrait (exemple de l’absentéisme dans les entreprises219).

Aux Pays-Bas, et plus largement en Europe du Nord, c'est la figure de celui qui gère en commun avec ses pairs les affaires de la communauté, qui a voix au chapitre dans les décisions communes s'imposant à ses membres, qui prime. La conception de l´homme libre en Suède, aux Pays-Bas, en Allemagne, est celle d´un homme qui a part aux décisions collectives au sein d’un groupe de pairs220. Pour le philosophe et sociologue Ernst Troeltsch, la « liberté de l’Allemand est discipline voulue, avancement et développement du moi propre dans un tout et pour un tout »221. Ce mode de fonctionnement renvoie à l’un des quatre courants culturels identifiés par J. Demorgon, il s’agit des « cultures tribales ou communautaires » qui ont subsisté plus longtemps qu’en France, du fait du