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§ 1. Historique du mouvement de fusions-acquisitions en Europe et dans le monde

De 1980 à 2000, on observe un très fort développement des fusions-acquisitions en Europe et dans le monde en raison du contexte de mondialisation. L’économiste Gérard Vindt explique que cet essor s’inscrit dans un mouvement continu de concentration des entreprises qui a débuté il y a plus d’un siècle. Essentiellement issues des États-Unis pour les deux premières, il fait remarquer que cinq grandes vagues de fusions se sont succédées au cours du XXe siècle, contribuant à l’avancée du capitalisme.

La première vague de fusions a eu lieu à la fin du XIXe siècle aux États-Unis, facilitée par le réseau ferré et le réseau télégraphique263. Cette période a pour toile de fond l’invention du trust264, puis son interdiction par la loi antitrust Sherman Act en 1890 et enfin la formation de holdings265 permettant de contourner cette législation.

De 1922 à 1929, la période de Prosperity s’accompagne de la deuxième vague de fusions, qui prendra fin avec le krach boursier de 1929. Des fusions-acquisitions voient le jour à la même période en Europe mais dans une proportion beaucoup moins importante. C’est le cas de l’entreprise française Pechiney en 1921 et de Rhône-Poulenc en 1928.

De 1960 à 1970 apparaît une troisième vague de fusions, l’avancée des Européens dans ce domaine se fait sentir avec la création du Marché commun en 1957. Cette vague est caractérisée par les conglomérats dont la structure divisionnelle plaît aux managers car elle rend possible la gestion simultanée de secteurs d’activité très différents. En 1958, la

263 Première vague de fusions aux États-Unis avec la Standard Oil of Ohio fondée par John Rockefeller en 1882, la General Electric en 1889, American Tobacco en 1890, entre autres ; cf. Gérard Vindt, « Les fusions-acquisitions au cœur du capitalisme », Alternatives économiques, Hors-série n° 79, 1er trimestre 2009, p. 38.

264 Définition de Trust : « Les actionnaires de différentes sociétés concurrentes remettent leurs actions à un groupe de dirigeants (le board of trustees) chargé de coordonner les politiques des diverses sociétés dans l’intérêt général » ; cf. Ibid., p. 39.

265 Définition de Holding : « Société financière dont les actifs sont des participations dans des sociétés industrielles ou commerciales » ; cf. Ibid.

libéralisation des échanges dans le cadre de la Communauté économique européenne (CEE) entraîne en France la « constitution de champions nationaux avec l’aide de l’État ». Il s’agit d’Usinor-Wendel-Sidelor, Aérospatiale, de CGE-Alsthom, Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, Pechiney-Ugine-Kuhlmann.

Les deux dernières vagues de fusions s’inscrivent dans la période s’étendant de 1985 à 2007 qui succède aux chocs pétroliers des années 1970. Elles sont « momentanément stoppées par la guerre du Golfe de 1991, les attentats du 11 septembre 2001 et l’éclatement des bulles financières qui ont ponctué les vingt dernières années »266. La tendance est au « recentrage sur un cœur de métier ». Le marché devient progressivement mondial. Le secteur des technologies de l’information et de la communication connaît des bouleversements avec les innovations techniques incessantes et le développement des privatisations, signant l’arrêt de mort des monopoles nationaux en Europe. On constate une explosion des fusions-acquisitions dans ce secteur à l’instar de France-Télécom-Orange en France ou de Vodafonde-Mannesmann en Allemagne. D’après G. Vindt, les stratégies financières dominent la dernière vague de fusions. Il explique que beaucoup de ces fusions échouent lamentablement, notamment celles opérées par des investisseurs désireux d’engranger des plus-values à court terme lors de l’« acquisition via la hausse des cours de la cible », pratique soutenue par les banques d’affaires qui touchent un fort pourcentage sur les fusions dont elles sont à l’origine. Les rapprochements d’entreprises françaises et allemandes s’inscrivent dans ce mouvement de fusions-acquisitions.

§ 2. Tentatives de fusions et coopérations franco-allemandes

Les relations franco-allemandes dans le secteur de l’industrie sont à la fois marquées par une volonté de rapprochement et de coopération des grandes entreprises et par la concurrence faisant de ces partenaires commerciaux267 des rivaux. La constitution de « champions franco-allemands » pose des difficultés en raison des aspirations des deux pays à voir leurs groupes nationaux parvenir à une position de leader européen sur le marché, générant des situations de rivalité qui se traduisent par du patriotisme économique. Les groupes Airbus Industries puis EADS268, respectivement créés en 1970 et 1999, sont des exceptions, leur mode de

266 Ibid.

267 En 2005, il existe 2700 filiales d’entreprises allemandes en France et 2200 filiales françaises en Allemagne ; cf. Henrik Uterwedde, « Politique industrielle : heurts et malheurs de la coopération franco-allemande », Centre Thucydide – Analyse et recherche en relations internationales, Annuaire Français de Relations Internationales, Volume X, 2009, p. 7. URL : http://www.afri-ct.org/Politique-industrielle-heurts-et

fonctionnement ayant toutefois posé problème à plusieurs reprises. Ainsi, les fusions à égalité sont plutôt rares et c’est la formule de l’acquisition269, plus fréquente, qui rencontre le plus de succès au niveau des rapprochements d’entreprises françaises et allemandes.

Né du Traité de Rome en 1957, le Marché commun a entraîné une augmentation significative des échanges entre la France et l’Allemagne, qui ont été multipliés par trois en 1965270. En outre, dans les années 1960, nombre de tentatives de réalisations de coopérations industrielles émanant des deux gouvernements, français et allemand, ont eu lieu, comme la volonté exprimée dans une clause du Traité de l’Élysée du 22 janvier 1963 de renforcer la coopération de la France et de l’Allemagne dans le domaine du développement industriel et de la politique économique, ou encore la création d’un groupe de travail pour la coopération industrielle en 1965 et redynamisé en 1969, qui n’ont pas eu les effets escomptés. Des réalisations concrètes ont eu lieu dans le domaine « hautement politique » de l’armement où des coopérations industrielles ont été imposées par les pouvoirs publics, n’excluant pas certaines difficultés qui ont fait échouer d’autres projets271. La « logique d’entreprise » ou la « rivalité allemande » ont eu raison dans les années 1970 de la volonté de créer des partenariats franco-allemands dans d’autres secteurs industriels272. L'économiste Henrik Uterwedde souligne en revanche « le développement franco-allemand du satellite de télécommunication Symphonie (1967) et du satellite TV/SAT-IDF (fin des années 1970) ». Dans l’ensemble, on note de nombreux échecs dans les tentatives de fusions de groupes français et allemands à l’exemple du groupe pharmaceutique franco-allemand Aventis273 qui, six ans après sa création en 1999, fut absorbé en 2004 par le groupe français Sanofi-Synthélabo. Les tentatives de rapprocher France Télécom et Deutsche Telekom ou encore la bourse de Paris et la Deutsche Börse, ainsi que la volonté de créer un « EADS de la mer », se sont également soldées par un échec. Ainsi, les volontés politiques de rapprochements franco-allemands des grandes entreprises, influentes dans des secteurs stratégiques, semblent vouées à l’échec. L’intervention politique, loin de garantir le succès de rapprochements franco-allemands dans le secteur industriel, peut même s’avérer nuisible, selon les termes de l’économiste. EADS et notamment la branche l’aérospatial et l’aéronautique composé de sept filiales : Airbus (détenu à 100 %), Eurocopter (100 %), Astrium (100 %), Cassidian (100 %), ATR (50 %), MBDA (37,5 %), Arianespace (26,28 %).

269 L’acquisition correspond à une prise de contrôle d’une autre entreprise, qui se caractérise ensuite par la création de joint ventures, c’est-à-dire de sociétés communes.

270 Olivier Giscard d’Estaing, « Coopération et fusion des entreprises françaises et allemandes », Politique étrangère, n°2, volume 31, 1966, pp.136-156. URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342x_1966_num_31_2_2221

271 Exemple de l’échec du projet de construction d’un char franco-allemand ; cf. Henrik Uterwedde, « Politique industrielle : heurts et malheurs de la coopération franco-allemande », op. cit., p. 8.

272 « La CII française [Compagnie Internationale pour l’Informatique] créée en 1966 abandonna son partenariat avec Siemens et Philips pour se tourner vers Honeywell-Bull ; deux systèmes de télévision en couleur sont entrés en concurrence (SECAM,PAL) ; dans le domaine du nucléaire civil, les deux pays ont poursuivi des pistes nationales différentes » ; cf. Ibid. 273 Aventis est né en 1999 de la fusion des groupes allemand Hoechst et français Rhône-Poulenc.

aéronautique Airbus en témoignent.

De l’amertume est restée du côté allemand suite à la décision politique et française de l’absorption d’Aventis par le groupe français Sanofi-Synthélabo en 2004, ainsi qu’au refus de Nicolas Sarkozy, ministre des Finances sous le gouvernement du président Jacques Chirac, de l’entrée du groupe allemand Siemens dans le capital de la société française Alstom. Malgré la la création d’un groupe de travail sur la coopération industrielle franco-allemande en 2004, un climat de méfiance règne entre les deux pays moteurs de l’Union Européenne. En qualité de Président de la République française cette fois, N. Sarkozy a encouragé des « mégafusions franco-françaises » à l’instar de Gaz de France-Suez. En outre, il prévoit alors l’éventuelle « constitution d’un groupe d’armement par la fusion de Thales et Safran » et penche pour l’« éviction de Siemens du groupe nucléaire Areva »274, ce qui est loin de rassurer les Allemands.

§ 3. Les relations franco-allemandes au travail

Déjà en 1966, Olivier Giscard d’Estaing identifiait nettement trois obstacles à la « collaboration entre des entreprises sur un plan multinational » : les difficultés liées à des questions juridiques, techniques et psychologiques. Ces difficultés sont aujourd’hui encore très actuelles. Homme politique et frère de l’ancien Président de la République Valery Giscard d’Estaing, il détecte alors chez des cadres dirigeants d’entreprises internationales et notamment à travers leur comportement psychologique, un « double complexe de crainte et de fierté, beaucoup plus important que dans les entreprises nationales, en ce sens que, dans le dialogue […], chaque fois qu’il y a deux nationalités en face l’une de l’autre, il y a à surmonter un certain orgueil national […]. À ceci s’ajoute une crainte de décision prise loin de soi, dans une langue différente, et sans qu’on ait l’impression qu’on pourrait l’influencer de la même façon qu’on pourrait le faire entre compatriotes »275 . Christoph Barmeyer, spécialiste en sciences de gestion, remarque que « beaucoup a été écrit sur les aspects stratégiques, juridiques et financiers des fusions internationales ces dernières années. Mais ce qui constitue l’entreprise et son organisation, le savoir et savoir-faire des hommes ainsi que l’importance des relations humaines pour faire fonctionner l’ensemble, a été largement sous-estimé ». Selon lui, en 2001, le nombre des opérations de fusions-acquisitions est « en fort recul », avant même que n’apparaissent la « crise financière des start-ups internet et les

274 La fusion de Thales et Safran aurait des conséquences négatives pour EADS ; cf. Henrik Uterwedde, « Politique industrielle : heurts et malheurs de la coopération franco-allemande », op. cit., p. 10.

événements du 11 septembre 2001 ». Il explique que le taux d’échec est important, surtout dans les opérations transfrontalières pour lesquelles ce risque d’échec est accentué. Il écrit : « Les problèmes d’incompatibilité culturelle ont un impact négatif sur les résultats des fusions et […] les opérations internationales ne créent généralement pas de valeur pour les investisseurs »276. Ainsi, il est plus pertinent de parler d’opération de rapprochements des hommes que de rapprochements des entreprises, la cause des problèmes conduisant ces opérations à l’échec étant à identifier au cœur même des relations de travail entre les personnels des entreprises. Le cas du drame industriel de l’A380 chez Airbus en 2006 en témoigne.

276 Christoph Barmeyer, « Rapprochements des entreprises et rapprochements des hommes », in : Hervé Joly (dir.),