• Aucun résultat trouvé

Les enseignements des “ modèles ” économiques théoriques et empiriques sur l’échange

B. La relation “ Production-Espace ”

La relation “ Production-Espace ” renvoie aux interactions entre les modes de production et l’organisation spatiale du système productif ou, plus globalement, entre les dynamiques industrielles et les dynamiques territoriales. Ces interactions, ou plus précisément les relations entre la proximité géographique et la dynamique économique et industrielle, ont fait l’objet de trois grands courants d’analyse en économie spatiale au cours des années 50, 60 et 70 : les modèles

reposant sur le concept d’économies d’agglomération, les modèles de demande et les théories de la polarisation (Rallet, 1995). Ces analyses ont été prolongées, approfondies ou ont donné lieu à de nouveaux éléments de réflexion au cours des années 80 et 90. Divers courants se sont développés, comme celui des milieux innovateurs (Maillat, 1995) et des districts industriels (Beccatini, 1992), les modèles de dynamique spatiale (Pumain, Sanders et Saint-Julien, 1989, cité par Rallet, 1995), des théories fondées sur les rendements croissants, telles que la théorie de la croissance endogène et le développement régional (Baumont, 1995) ou de la nouvelle économie géographique (Fujita, Thisse, 1997).

La nouvelle géographie économique intègre les éléments d’économie industrielle dans la compréhension des phénomènes de localisation. En particulier, avec le développement d’un modèle de localisation industrielle “ the Core-periphery model ” (Krugman, 1991a), Krugman s’intéresse à l’étude des localisations des facteurs de production. La problématique porte alors principalement sur le rôle des rendements croissants et des économies d’agglomération qui affectent plus fortement les choix de localisation que ne le fait le facteur de coût de transport. La question centrale est de savoir “ pourquoi et quand l’industrie se concentre-t-elle dans quelques régions, laissant les autres dans un état de sous-développement relatif ?” (Krugman, 1991b, 1995).

D’autres courants de recherche d’analyse spatiale combinée à l’économie industrielle ou plus généralement aux mécanismes de fonctionnement des systèmes productifs, relevant du courant hétérodoxe d’analyse spatiale, explorent également cette relation. Il s’agit des travaux portant sur les choix de localisation des différents modes d’organisation de la production, autrement dit des processus de spatialisation voire de “ territorialisation des structures technico-productives par les dynamiques de proximité ” (Torre, 1993b). Ces travaux renvoient à l’étude de la division spatiale du travail et des activités (Aydalot, 1976) et des formes de concentration spatiale liée à des facteurs d’organisation de la production et de stratégie économique de développement telles que les économies d’agglomération (Catin, 1994a) ou les formes de proximité comme facteurs de réduction des incertitudes (Lung, 1995). Chaque mode de production est porteur d’une dynamique spatiale propre. En effet, le taylorisme et le fordisme ont engendré un étalement spatial des branches économiques (Lipietz, 1977) ou encore une segmentation géographique de la production du fait d’une standardisation des produits et d’une interchangeabilité des composants. La production de masse dans une économie de plus en plus diversifiée s’est donc accompagnée d’accroissement des économies d’échelle par le renforcement des spécialisations productives au niveau des établissements. Ces phénomènes de spécialisation accrue ont permis d’agrandir les aires de marché des établissements et ont engendré un éclatement géographique des appareils productifs. Cette tendance à l’accroissement de la division spatiale des activités s’est alors entretenue avec le mouvement d’internationalisation de l’économie. Le passage vers un autre mode de production, la période du post-fordisme (Lung, 1995), se caractérise davantage par une recomposition territoriale, un processus de reconcentration spatiale de la production (Lung, 1995), un retour dans des zones urbaines productives et à une tendance à la polarisation régionale4.

4

Cette explication théorique peut être rapprochée de l’évolution des structures de consommation et de production observée à l’échelle nationale comme à l’échelle régionale, et de la mutation d’une économie axée sur l’agriculture vers l’industrie, qui favorise la division spatiale des activités, puis vers le tertiaire qui privilégie les phénomènes de polarisation dans les grandes métropoles. Le post-fordisme se caractérise par des formes plurielles de polarisation tout en conservant une division spatiale des activités dans certains réseaux d’organisation des entreprises. La polarisation est favorisée par deux grands phénomènes : la baisse des coûts de transport et le développement d’économies internes et d’économies externes de production. La baisse des coûts de transport a en effet conduit à un décloisonnement des marchés de produits. La concurrence se développe sur la différenciation des produits et non plus sur la différenciation spatiale (Jayet, Puig, Thisse, 1996). La proximité spatiale devient un élément positif de localisation par la possibilité d’accès à une clientèle plus nombreuse attirée par un choix plus important et diversifié de produits. On retrouve les phénomènes de déséquilibres spatiaux croissants, “ forward linkages ” et “ backward linkages ” de Hirschman et de Myrdal (Rallet, 1995), c’est-à-dire l’attraction des consommateurs pour les métropoles offrant une grande variété de produits et proposant également un marché du travail plus important et diversifié. La concentration spatiale est donc liée à la recherche d’économies d’échelle et de rendements croissants. L’accroissement des économies d’échelle est imputable aux économies internes liées à la division du travail et à la taille de la firme mais aussi à des économies externes à la firme, autrement dit des économies d’agglomération (Catin, 1994a) engendrées notamment par certains types de concentration spatiale des firmes. La recherche de ces économies externes participe alors au développement de nouvelles formes d’organisation spatiale. L’organisation spatiale de la production prend des formes diverses de polarisation : technopole, district industriel, système de production localisé, métropolisation, qui dépendent des éléments déterminants des stratégies de production et de concurrence des firmes.

En effet, selon l’échelle géographique à laquelle les entreprises entretiennent des relations nécessaires à leur activité (échelle locale, nationale, internationale), les facteurs déterminants de compétitivité, de stratégie et de localisation diffèrent et conduisent à une organisation spatiale des entreprises et des établissements également différente. Trois grands types d’organisation spatiale des entreprises sont distingués par Alain Sallez : les “ districts industriels ” (Beccatini, 1992) auxquels on peut adjoindre les autres systèmes localisés de production ; les “ réseaux de complémentarité ” axés sur la sous-traitance et le partenariat avec des entreprises spécialisées et les “ réseaux de synergie ” à l’échelle mondiale axés sur les facteurs d’innovation et leur diffusion (Sallez, 1992). Les différents systèmes localisés de production ont un champ géographique restreint en termes de localisation puisqu’ils se limitent à une ville ou une petite région. L’inscription spatiale est marquée par une forte concentration spatiale qui valorise le savoir-faire local et les liens entre les individus du district qui appartiennent à un même système de valeurs et de formation au métier. La concentration spatiale sous la forme de districts industriels est développée dans le but principal de minimiser l’incertitude qui se développe fortement avec une organisation plus flexible de la production et avec une articulation étroite entre la production et le marché caractérisée par un “ guidage ” par l’aval. La proximité spatiale se présente alors comme un facteur de réduction des incertitudes. Les réseaux de synergie conduisent également à des formes de concentration spatiale mais au sein d’une métropole ayant une vocation internationale affirmée. Ces réseaux reposent sur le jeu de proximités spatiales et de proximités

organisationnelles fortes. Dans ce cas, la localisation favorise une concentration urbaine dans “ des métropoles tertiaires polycentriques ” (Sallez, 1992) qui ont pour objectif de minimiser les coûts de transaction, et maximiser les effets externes positifs, en particulier générer un haut niveau de services (aéroport international, universités, conférences internationales, …). A l’opposé, les réseaux de complémentarité basés sur une forte concurrence économique déterminée par les prix cherchent à minimiser l’ensemble des coûts. Dans ce cadre, les coûts de transport ne comptent pas davantage que les autres coûts de production ou de transaction voire n’ont qu’un rôle secondaire. La répercussion sur les localisations est une division spatiale du travail élevée même si celle-ci peut reposer sur quelques pôles constituant les nœuds principaux du réseau (exemple des filières automobile et aérospatiale).

Les différentes filières économiques engendrent donc des organisations spatiales de la production très différenciées, et qui sont déterminées par la nature des spécialisations fondées soit sur le savoir-faire soit sur la compétitivité par les prix issue d’économies d’échelle. La relation “ Production-Espace ” est positionnée en amont des relations internes à un modèle spatialisé de transport de marchandises puisqu’elle porte sur les interactions entre le système productif et le système des localisations. Elle a toutefois des effets indirects sur la distribution spatiale des transports de marchandises, puisque celle-ci entretient des relations étroites avec les formes de localisation des activités.