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Les principes des modèles d’interaction spatiale

Les enseignements des “ modèles ” économiques théoriques et empiriques sur l’échange

B. Les principes des modèles d’interaction spatiale

B-1. Définition des interactions spatiales

En sociologie, l’interaction est définie comme “ un groupe dans le temps et dans l’espace ” (Simmel, 1908, cité par Kaufmann, 1996). Comme le soulignent et l’expliquent Park et Burgess (1907, cités par Kaufmann, 1996), auteurs considérés comme les pionniers de l’application du concept d’interaction aux relations sociales (Kaufmann, 1996), “ la notion d’interaction n’est pas simple mais complexe. La notion d’interaction n’implique pas seulement l’idée pure et simple de collision et de rebondissement, mais quelque chose de bien plus profond, à savoir la modification interne des agents de la collision ”.

Cette définition sociologique peut être appliquée à l’économie spatiale. En effet, la naissance et la croissance des villes sont des conséquences de manifestations d’interactions humaines dans l’espace. Ces interactions humaines dans l’espace ont au fil du temps modifié les différents lieux, régions ou autres entités spatiales du système géographique et économique national dans leurs structures et leurs potentialités socio-économiques et géographiques. Ces transformations ont à leur tour affecté l’intensité et la nature des interactions spatiales.

Ainsi en analyse économique spatiale, les interactions spatiales sont souvent définies ou matérialisées par les échanges de marchandises. W. Isard considère les flux interrégionaux de marchandises comme un indicateur privilégié des interactions spatiales (Isard, 1972). Pour Pini (1990), les interactions spatiales sont liées aux phénomènes de complémentarités socio- économiques des différentes entités spatiales, d’opportunités intervenantes (Stouffer, 1940, cité par Isard, 1972 et Pini, 1990) qui peuvent freiner ou orienter géographiquement les interactions humaines, en particulier en transport de personnes, et de transférabilité (Ullman, 1956, cité par Pini, 1990) des marchandises qui participent à la formation de complémentarités régionales.

Ainsi, les interactions spatiales participent de l’hétérogénéité de l’espace marquée par des spécialisations sectorielles dans certaines régions ou par des concentrations spatiales d’activités en d’autres lieux, entretiennent cette hétérogénéité et peuvent dans certains cas l’accentuer. Les interactions spatiales sont en quelque sorte la résultante des relations entre les acteurs et les structures économiques de différents sous-espaces. Un certain consensus apparaît donc chez les auteurs ayant travaillé sur ce thème pour qualifier les interactions spatiales de relations humaines matérialisées par des échanges de biens, de personnes ou d’informations et d’éléments dynamiques du système géographique et économique global.

En économie, l’interaction spatiale se définit en puisant dans la conception géographique de l’interaction et dans les concepts physiques issus de la loi de la gravitation universelle et de la thermodynamique. En référence à la thermodynamique, l’espace économique en tant que système est apparenté à un système gazeux, les régions correspondent à des masses et les relations entre elles constituent les interactions spatiales. Les principes de Carnot-Clausius6 traitant de l’entropie

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Ces deux principes tiennent au comportement des systèmes gazeux : le premier principe est que les systèmes fermés tendent à passer de l’ordre au désordre. Le second est que l’entropie d’un système fermé ne peut que s’accroître. Dans l’univers, l’entropie croît toujours. Donc l’entropie d’un système socio-

sont utilisés en économie spatiale du fait qu’ils permettent d’appréhender et d’expliquer l’état du système, son comportement et son évolution. L’application de ces principes permet de définir les composantes du système (les régions) et d’analyser la dynamique du système par les relations entre ces entités spatiales. Pour Vermot-Desroches (1994), l’interaction est un concept socio- économique qui exprime le lien, l’échange voire la causalité. De l’interaction naît donc l’échange, et celui-ci peut prendre diverses formes ou modalités, comme des flux de marchandises. La connaissance des modalités des interactions est importante car elle conditionne le choix de la méthode d’analyse : si la connaissance des modalités est satisfaisante, le recours aux modèles d’interaction spatiale de type gravitaire est généralement retenu. Dans le cas contraire, le recours à des méthodes plus complexes est nécessaire, comme les modèles de maximisation de l’entropie sous contraintes développés par Wilson (1970).

B-2. Formalisation et expression empirique des interactions spatiales

D’un point de vue empirique, “ l’interaction se définit plus précisément à partir des phénomènes qu’elle engendre directement ” (Vermot-Desroches, 1994) . Cette approche revient à rechercher les facteurs explicatifs ou contraintes de la distribution spatiale du fret intérieur. Différentes méthodes peuvent être utilisées dans le but de décrire et d’expliquer la configuration spatiale et parfois le degré d’organisation du système d’échanges.

Les modèles d’interaction spatiale s’attachent à expliquer et prévoir les déplacements de marchandises ou de personnes ou plus généralement à appréhender la configuration générale d’un système dans sa dimension spatiale, au cours du temps et sous différentes hypothèses de travail et d’évolution. Ces modèles présentent des formes diverses, des modèles centrés sur la notion d’entropie aux modèles gravitaires purs inspirés de la loi de la gravitation universelle.

B21. La logique des modèles d’entropie

Les modèles centrés sur la notion d’entropie sont abordés pour leur philosophie d’analyse des interactions spatiales et les développements théoriques qui en sont issus. La notion d’entropie a été introduite et fortement utilisée en modélisation économique spatiale par Wilson (1970) avec le développement d’un modèle de maximisation de l’entropie sous contraintes. L’entropie mesure le degré d’organisation du système formé par la matrice origine-destination des déplacements. Elle est utilisée quand les modalités des interactions sont mal connues ou dans le but de donner plus de consistance et de cohérence à la modélisation de type gravitaire (Flowerdew, 1991). Dans le cas de flux spatialisés de marchandises, l’entropie mesure l’état du système des interactions traduites par les échanges de fret, l’importance de contraintes spatiales affectant l’intensité des interactions et enfin les distorsions du fonctionnement réel du système par rapport à “ un état de référence défini par l’équirépartition des flux dont l’entropie maximale est la mesure ” (Pini, 1990).

L’entropie se calcule de la façon suivante pour des flux entre les zones i et j :

ij n i n j ij p p E *log 1 1

∑∑

= = = [I-6]

avec pij : probabilité d’envois de i vers j et pij = Tij / T avec T interactions entre i et j.

économique fermé tend à s’accroître et modifie la répartition spatiale des interactions par rapport à un état d’équirépartition des flux.

Quand l’entropie est minimale, cela signifie que les flux sont concentrés sur une seule liaison origine-destination et quand elle est maximale, les flux interzones sont alors équitablement répartis. L’analyse peut être décomposée en entropie intrarégionale, qui renseigne sur la contribution de chaque région dans le système d’interactions, notamment les effets de leurs différentes masses, et en entropie interrégionale qui renseigne sur les contraintes agissant directement sur les flux comme la distance géographique ou le temps de transport (Pini, 1990).

B22. La logique des modèles gravitaires

Le modèle gravitaire pur est une application économique croisée de la loi de gravitation universelle de I. Newton et des interactions spatiales en géographie. Si la formalisation est une analogie totale avec le modèle de Newton, en revanche les interprétations et procédés de construction s’en distinguent. Le modèle gravitaire dans sa forme la plus simple connaît une formalisation similaire à celle de la force d’attraction de deux corps célestes.

Tij k M M d i j ij a = * * [I-7]

Tij : variable d’interaction, k : facteur de proportionnalité, Mi : facteur d’émission de la zone i, Mj : facteur d’attraction de la zone j,

dij : distance physique ou socio-économique a : constante traduisant l’intensité de l’impact de dij

Cette équation signifie que l’interaction Tij entre les zones i et j est proportionnelle au produit de leurs masses et inversement proportionnelle à la distance les séparant, plus ou moins fortement selon la valeur de l’exposant. Plus celle-ci est élevée et plus la séparation spatiale a un impact sur l’intensité des interactions. Cette formalisation expose les deux dimensions que comporte tout phénomène d’interaction spatiale : la dimension potentiel qui est traduite par les masses Mi et Mj et la dimension flux exprimée par le flux croisé Tij qui constitue la réalisation effective de l’interaction (Vermot-Desroches, 1994).

L’analogie est donc frappante puisque l’intensité commune de la force d’attraction de deux corps célestes se calcule de la manière suivante :

F = G M M

D ( 1, 2)

2 12

[I-8] avec G : constante de gravitationD : distance physique entre les deux corps

M : masses des corps 1 et 2.

Cette équation formalise la loi de gravitation universelle de Newton qui postule que “ deux corps matériels s’attirent mutuellement avec une force inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare et proportionnelle au produit de leurs masses respectives” (I. Newton, cité par Paty, 1996).

Toutefois quelques divergences apparaissent assez rapidement entre la formalisation de la force d’attraction universelle et la modélisation gravitaire développée en économie. Tout d’abord dans la loi de la gravitation universelle l’idée de symétrie est centrale, il y a une attraction réciproque entre les deux corps. Or ceci est rarement le cas dans le champ de l’économie spatiale. La forme de la fonction de “ distance ” connaît aussi des transformations ainsi que la nature même de ce paramètre jouant le rôle de frein aux échanges. Celui-ci est représenté par une distance physique, un temps de transport, un temps généralisé, un coût généralisé de transport ou encore un indicateur d’opportunités intervenantes.

B23. Avantages et faiblesses des modèles gravitaires

L’avantage principal de cette méthode est sa grande flexibilité. Il est très facile d’intégrer dans le modèle gravitaire de nouvelles variables explicatives. Cette intégration est en revanche compliquée dans les modèles d’entropie (Flowerdew, 1991).

Les faiblesses de la méthode gravitaire souvent avancées sont de deux ordres : cette méthode n’est essentiellement descriptive et non explicative et elle souffre de l’absence de fondements théoriques économiques ou de bases mathématiques solides. Le courant pragmatique des modèles d’interactions spatiales tente d’y remédier avec l’intégration de la notion d’entropie ou des concepts de la théorie de l’utilité. Les principaux développements ont été apportés par Wilson (1970) avec le modèle de maximisation de l’entropie qui limite l’analogie avec les sciences physiques à une analogie formelle. Les modèles avec maximisation de l’entropie apportent ainsi des bases mathématiques plus solides aux modèles d’interaction spatiale pour donner une estimation des flux sur la base de la taille des zones et de la distance.

Pour Flowerdew (1991), l’approche gravitaire à partir de la formalisation de Stewart (cf.[I-4]) compte deux autres faiblesses importantes. Premièrement, les contraintes sur les origines ou les destinations, permettant une cohérence mathématique du modèle, ne sont généralement pas incorporées alors qu’elles le sont de façon systématique dans les modèles d’entropie. Deuxièmement, la méthode gravitaire est instable quand les matrices étudiées contiennent des valeurs nulles ou très faibles. Le recours aux logarithmes pour résoudre la régression multiple en est la cause.