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Les regrets cart´esiens : la lettre `a Debeaune du

4.2 Debeaune et le probl`eme de Pappus

4.2.1 Les regrets cart´esiens : la lettre `a Debeaune du

N´eanmoins, Descartes reconnaissait `a la mˆeme ´epoque les d´efauts de son traitement du probl`eme de Pappus et de la composition des lieux solides qu’il en d´eduisait. Ces aveux et regrets se manifestent dans la lettre bien connue `a Debeaune du 20 f´evrier 163914 qui suit la r´eception de l’envoi par ce dernier

des Notes Br`eves.

Descartes y admet ainsi implicitement les m´erites et l’avantage de la composition des lieux solides donn´ee par Fermat qui partait des ´equations alg´ebriques du second degr´e `a deux inconnues rapportant une courbe alg´ebrique `a un axe des coordonn´ees15, puisqu’il ´ecrivait `a peine deux se-

maines plus tard, le 20 f´evrier 1639, `a Debeaune :

Premierement, au lieu de m’ˆetre employ´e, depuis la page 324 iusques `a 334, `a construire la question de Pappus, & de n’avoir parl´e des lieux apres cela qu’en forme de corollaire, i’eusse mieux fait d’expliquer par ordre tous les lieux, & de dire en suitte que, par ce moyen, la question de Pappus estoit construite.16

L’´equation (2.38) du lieu de Pappus, que Descartes jugeait parfaitement g´en´erale dans sa lettre `a Mersenne du 31 mars 1638, pr´esentait ainsi plusieurs d´efauts sous ce mˆeme aspect qui allaient se r´ev´eler au cours des discussions et

13Cf. [Descartes(1964-1974), II, p. 84]. 14Cf. [Descartes(1964-1974), II, p. 510-523].

15Pour une ´etude de l’Isagoge et plus g´en´eralement de la g´eom´etrie analytique de Fermat,

cf. [Rashed(2001), p. 9-15] et [Mahoney(1994), p. 72-142].

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controverses. Les deux premiers ´etaient relev´es par Descartes, toujours dans sa lettre `a Debeaune du 20 f´evrier 1639 :

De plus, i’ay obmis le cas o`u il n’y a point d’yy, mais seulement xy, avec quelques autres termes, ce qui donne toujours un lieu `a l’hyperbole, dont la ligne que i’ai nomm´ee AB est asymptote, ou parallele `a l’asymptote17. Et en l’´equation de la page 32518, dont

ie fais un modelle pour toutes les autres, il n’y a aucun terme qui soit compos´e de quantit´es connu¨es ; ce qui est bon pour la question de Pappus, `a cause qu’il ne s’y en trouve iamais par la fa¸con que ie l’ay reduitte ; mais il y en falloit mettre vn, pour ne rien obmettre touchant les lieux.19

Le second d´efaut consistait en l’absence de terme constant qui r´esultait d’un choix de simplification de Descartes dans l’analyse alg´ebrique du probl`eme20. Quant au premier, il s’agissait de l’oubli du cas o`u le coefficient

de y2 est nul dans l’´equation (2.29). Bien que dans le cas o`u celui de x2 ne le

fˆut pas, la solution de Descartes eut pu ˆetre modifi´ee sans grandes difficult´es, en ´echangeant x et y, restait le cas o`u ne figurait que xy qui correspondait `a une hyperbole. Debeaune traitera ce cas de fa¸con exhaustive dans ses Notes Br`eves21.

Dans ce dernier cas, en fixant l’une des deux inconnues, on obtient une ´equation du premier degr´e et non du second degr´e. Le fait que le degr´e de l’´equation `a une inconnue d´eduite de l’´equation alg´ebrique `a deux in- connues d’une courbe g´eom´etrique d’ordre n, l’autre inconnue ´etant fix´ee, puisse prendre tous les valeurs entre 0 et n, a pu constituer une difficult´e pour les lecteurs de Descartes. En effet, la r´eduction op´er´ee par Descartes, afin de construire les courbes g´eom´etriques point par point, des ´equations alg´ebriques `a deux inconnues aux ´equations alg´ebriques `a une inconnue, a pour cons´equence de focaliser l’attention sur ces derni`eres et donc sur la variation de leur degr´e selon le choix de l’inconnue fix´ee et la structure de l’´equation alg´ebrique `a deux inconnues du d´epart.

L’approche cart´esienne d’extraction des racines dans le probl`eme de Pap- pus, dont on a tent´e de montrer qu’elle ´etait adapt´ee au caract`ere « local » des

17L’asymptote est incorrecte. Il s’agit de la ligne BC et non AC. Cf. [Bos(2001), p. 320,

n. 18].

18Cf. supra [´equation (2.29), p. 58]. 19Cf. [Descartes(1964-1974), II, p. 511]. 20Cf. supra [section 2.3.2, p. 50].

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´equations obtenues lors de l’analyse alg´ebrique d’un probl`eme g´eom´etrique, bien qu’elle conduise `a des difficult´es et apparaisse ainsi aux yeux du lecteur moderne inutile et embarrass´ee, est n´eanmoins incontournable.

En effet, bien qu’une ´equation alg´ebrique implicite `a deux inconnues exprime une courbe g´eom´etrique, `a moins qu’elle ne soit donn´ee par une construction, par exemple issue du mouvement d’une courbe connue comme dans le cas de la parabole cart´esienne, elle ne donne pas la courbe, en parti- culier dans le cas d’un probl`eme de lieu. D’autre part, quoique la g´en´eration des courbes par le mouvement d’une courbe connue — droite, cercle, para- bole22 — permette d’obtenir des courbes de degr´e de plus plus en plus ´elev´es,

elle ne permet pas d’obtenir toutes les courbes g´eom´etriques. En revanche, elle permet d’obtenir par un trac´e continu les courbes — parabole, parabole cart´esienne — qu’on emploiera pour la construction point par point d’une courbe g´eom´etrique quelconque.

C’est donc dans le cas g´en´eral l’´equation explicite exprimant la ou les racines positives de l’´equation en x ou y qui donne la courbe par points. Cela nous permet de comprendre le choix de Descartes d’´etudier dans sa solution du probl`eme de Pappus `a quatre lignes l’´equation explicite (2.38), malgr´e les difficult´es qui en d´ecoulent, plutˆot que l’´equation implicite (2.29), fournissant ainsi peut-ˆetre le mod`ele d’une ´etude du cas g´en´eral `a n lignes.

De fa¸con moderne, la difficult´e pr´ec´edente concernant le degr´e des ´equations `a deux et une inconnues qui expriment ou donnent la courbe g´eom´etrique, peut ˆetre palli´ee d`es lors qu’on dispose d’un concept de degr´e global d’un polynˆome `a deux variables, qui passe par la reconnaissance du degr´e des termes du type xαyβ. La consid´eration de tels termes dans une

´equation alg´ebrique pour la classification des courbes g´eom´etriques en genre avait d’ailleurs dˆu poser probl`eme `a Debeaune car dans cette mˆeme lettre du 20 f´evrier 1639, Descartes pr´ecisait et rappelait plus loin ce qu’il avait d´ej`a dit auparavant dans la G´eom´etrie :

Quand on a x2y ou x2y2 dans une ´equation, le lieu est d’une

ligne du second genre ; & i’ay mis, en la p. 31923, que lorsque

l’´equation ne monte que iusques au rectangle des deux quantitez indetermin´ees, c’est `a dire lors qu’il n’y a que xy, le lieu est solide ; mais que, lors qu’elle monte `a la troisi´eme ou quatri´eme dimension des deux ou de l’une, c’est `a dire lors qu’il y a xxy, ou bien x3

22Cf. [Descartes(1637c), p. 393-395]. 23Cf. [Descartes(1637c), p. 392-393].

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&c., le lieu est plus que solide.24

Il fallait donc observer le degr´e global de l’´equation en x et y pour proc´eder `a la classification, et donc op´erer pour ce faire implicitement sur une po- lynˆome `a deux variables, tandis que la r´esolution cart´esienne du probl`eme de Pappus `a quatre lignes consid´erait ensuite une ´equation `a une inconnue y dont on extrayait la racine positive.

De la coexistence de ces deux objets — ´equation `a une inconnue et ´equation `a deux inconnues — pouvaient ainsi r´esulter des tiraillements et des m´ecompr´ehensions pour les math´ematiciens contemporains qui d´ecouvraient la G´eom´etrie.

En effet, si la construction point par point d’une courbe g´eom´etrique r´eduisait la question de la construction g´eom´etrique d’une ´equation `a deux inconnues `a celle de la construction g´eom´etrique d’une infinit´e d’´equations `a une inconnue, ces mˆemes ´equations ´etaient construites `a nouveau `a par- tir de deux ´equations `a deux inconnues exprimant respectivement un cercle et une droite, parabole, ou parabole cart´esienne dans le cas des courbes g´eom´etriques des trois premiers genres, c’est-`a-dire d’ordre inf´erieur ou ´egal `a 6.

Ce faisant, Descartes r´eduisait les constructions d’une infinit´e d’´equations `a deux variables `a trois constructions r´egl´ees portant sur des ´equations alg´ebriques exprimant les courbes g´eom´etriques correspondant aux figures de de la g´eom´etrie « ordinaire » euclidienne, c’est `a dire le cercle et la droite, mais ´egalement deux figures g´eom´etriques nouvelles, du moins consid´er´ees en tant que figures premi`eres de la g´eom´etrie des solides et des sursolides : la parabole et la parabole cart´esienne.

Enfin Descartes, revenait dans cette lettre sur sa construction des coniques solutions du probl`eme de Pappus. Il ´ecrivait :

Et les deux constructions que i’ay donn´ees pour l’hyperbole, pages 330 & 33125 se pouvoient expliquer par une seule. Ie n’ay

point donn´e l’analyse de ces lieux, mais seulement leur construc- tion, comme i’ay fait aussi de la pluspart des regles du troisi´eme Livre.26

Il semblait ainsi regretter d’avoir masqu´e l’analyse de la construction du probl`eme de Pappus `a quatre lignes. Certes, il avait d´etourn´e ainsi les « esprits

24C’est moi qui souligne. Cf. [Descartes(1964-1974), II, p. 512].

25Cf. [Descartes(1637c), p. 402-403 et 403-404]. Cf. ´egalement supra [section 2.3.5, p. 64]. 26Cf. [Descartes(1964-1974), II, p. 511].

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malins » de sa G´eom´etrie, mais par cette omission, il emp´echait du mˆeme coup de reconnaˆıtre les raisons pour lesquelles sa solution du probl`eme de Pappus constituait une composition des lieux solides.