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5.3 La pr´esentation cart´esienne

5.3.5 Les exemples cart´esiens

Consid´erons `a pr´esent les exemples choisis par Descartes pour illustrer sa m´ethode53. Ils sont au nombre de trois. Nous n’examinerons dans cette

section que le premier et le troisi`eme de ces exemples qui portent sur une ellipse et une concho¨ıde de parabole rapport´ees `a leur axe par une ´equation en coordonn´ees « cart´esiennes ». Nous renvoyons l’´etude du second exemple

51Jean-Louis Gardies a beaucoup insist´e sur ce point dans son ouvrage consacr´e `a l’ana-

lyse. Cf. [Gardies(2001), Chap V, « Les deux formes d’analyse impliqu´ees dans la d´emarche cart´esienne », p. 107-130].

52Cf. [Descartes(1637c), p. 444].

53A nouveau, dans la suite, nous ´echangeons x et y relativement aux notations de Des-`

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qui porte sur une ovale exprim´ee par une ´equation en coordonn´ees bipolaires `a une prochaine section54o`u nous verrons que la d´etermination de la normale

pour une telle courbe exprim´ee de cette fa¸con, exhibe la premi`ere et seule occurrence connue de l’application de la m´ethode des normales par Descartes, dans un texte r´edig´e ant´erieurement `a la G´eom´etrie que nous avons d´ej`a mentionn´e auparavant, celui des Excerpta Mathematica.

Le premier exemple porte sur une ellipse dont l’´equation est donn´ee par55

y2 = rx − r qx

2, (5.11)

que Descartes d´eduit de son propre aveu56de la proposition 13 du Livre I des

Coniques d’Apollonius qui introduit le symptoma de l’hyperbole. Dans ce cas, l’´elimination de y avec l’´equation (5.1) est ais´ee du fait de la seule pr´esence d’une puissance paire, en l’occurrence carr´ee de y, et conduit `a l’´equation r´esultante de degr´e 2

x2+qr− 2qv q− r x+

qv2− qs2

q− r = 0. (5.12) En identifiant une telle ´equation avec l’´equation ind´etermin´ee qui admet une racine double e

x2− 2ex + e2 = 0, (5.13) on d´eduit aussitˆot en ´egalisant e `a x :

v = x − r qx+

r

2. (5.14)

Comme l’indique Descartes, on pourrait trouver s par le troisi`eme terme de l’´equation, mais cela est inutile car la connaissance de v suffit `a d´eterminer le point P57. Ce faisant, Descartes paraˆıt ainsi insister sur le fait que, pour

parler de fa¸con moderne, le syst`eme d´eduit de l’usage de la m´ethode des coefficients ind´etermin´es est bien d´etermin´e et qu’on peut trouver l’expression de chacune des inconnues de ce dernier. Le fait qu’il fasse cette remarque `a l’issue du traitement d’une exemple par trop simple et particulier, celui de l’ellipse, relativise bien sˆur la connaissance et la compr´ehension que Descartes

54Cf. [chapitre 7, p. 217].

55J’´echange x et y par rapport `a Descartes. 56Cf. [Descartes(1637c), p. 415].

5.3. LA PR ´ESENTATION CART ´ESIENNE 169

pouvait avoir d’un probl`eme typiquement alg´ebrique qui ne sera abord´e que bien plus tard par Leibniz puis Cramer. Je veux parler des conditions sur les coefficients d’un syst`eme qui pr´esident `a la d´etermination de celui-ci.

N´eanmoins, on peut tout de mˆeme affirmer au regard de la pr´esentation par Descartes de sa m´ethode de r´esolution des probl`emes g´eom´etriques qu’il ´etait conscient qu’une condition n´ecessaire pour qu’un syst`eme soit d´etermin´e est qu’il pr´esente autant d’inconnues que d’´equations. Il ´ecrit en effet :

Et on doit trouver autant de telles Equations, quon a suppos´e de lignes, qui estoient inconnu¨es. Ou bien s’il ne s’en trouve pas tant, & que nonobstant on nomette rien de ce qui est desir´e en la question, cela tesmoigne quelle nest pas entierement determin´ee.58 Dans le troisi`eme exemple, il s’agit de d´eterminer la tangente d’une courbe cubique qui est une concho¨ıde de parabole et qu’on nomme `a pr´esent « pa- rabole cart´esienne », d’´equation

x3− bx2− cdx + bcd + dxy = 0. (5.15) Cette cubique joue un rˆole essentiel dans la G´eom´etrie. Elle est apparue aupa- ravant sous une forme conceptuellement semblable mais plus simple comme solution du probl`eme de Pappus `a cinq lignes59et sera employ´ee par Descartes

au livre III de la G´eom´etrie pour construire les probl`emes « sursolides » — i.e ceux conduisant `a des ´equations de degr´e 5 ou 6 —60.

L’´equation r´esultante de l’´equation (5.15) de la parabole cart´esienne et de l’´equation du cercle (5.1) en ´eliminant l’inconnue y est

Q(x) = x6− 2bx5+ (−2cd + b2+ d2)x4+ (4bcd − 2d2v)x3

+(−2b2cd+ c2d2− d2s2+ d2v2)x2− 2bc2d2x+ b2c2d2 = 0. (5.16) Descartes, qui use d’´equations homog`enes, indique que cette ´equation doit avoir la « mesme forme » que l’´equation

(x − e)2(x4+ f x3+ g2x2+ h3x+ k4) = 0 (5.17)

58Cf. [Descartes(1637c), p. 372].

59Descartes l’a propos´ee comme « divination » de la ligne courbe solution du probl`eme

de Pappus `a cinq lignes, en supposant que le cas le plus manifeste examin´e par les Anciens est celui o`u quatre des cinq droites sont parall`eles, la cinqui`eme leur ´etant perpendicu- laire [Descartes(1637c), p. 408-411]. Elle est la seule solution ´etudi´ee par Descartes d’un probl`eme de Pappus `a cinq lignes. Cf. infra [section 2.4, p. 73].

60Cf. [Descartes(1637c), p. 477-484]. Pour plus de pr´ecisions, on peut consulter l’´etude

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qui donne

x6+ (f − 2e)x5+ (g2− 2ef + e2)x4+ (h3− 2eg2+ e2f)x3

+(k4 − 2eh3 + e2g2)x2+ (−2ek4+ e2h3)x + e2k4 = 0. (5.18) sans ´ecrire l’´egalit´e `a z´ero de ces expressions qu’il nomme « ´equations », paraissant renvoyer `a l’objet alg´ebrique polynˆome, en employant de surcroˆıt l’expression « mesme forme ».

Il nous faut donc r´esoudre le syst`eme                f − 2e = −2b g2 − 2ef + e2 = −2cd + b2+ d2 h3− 2eg2+ e2f = 4bcd − 2d2v k4− 2eh3+ e2 = −2b2cd+ c2d2− d2s2+ d2v2 −2ek4+ e2h3 = −2bc2d2 e2k4 = b2c2d2 (5.19) c’est-`a-dire d´eterminer f , g, h, k, s et v.

Comme le pr´econise Descartes, en usant successivement de la premi`ere, de la derni`ere, de la seconde et de l’ant´ep´enulti`eme ´equation, on d´etermine simplement f , g, h et k. On obtient : f = 2e − 2b (5.20) k4 = b 2c2d2 e2 (5.21) g2 = 3e2− 4be − 2cd + b2+ d2 (5.22) h3 = 2b 2c2d2 e3 − 2bc2d2 e2 (5.23) (5.24)

Descartes ajoute d’ailleurs `a l’issue de ce calcul :

Et ainsi il faudroit continuer, suivant ce mesme ordre, iusques a la derniere, s’il y en avoit davantage en cete somme ; car c’est chose qu’on peut touiours faire en mesme fa¸con.61

Par cette remarque, Descartes semble donc distinguer le probl`eme de la d´etermination des coefficients ind´etermin´es de celui de la d´etermination

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de s et v, affirmant que le premier est r´egl´e par sa m´ethode. On pour- rait dire autrement qu’il pr´etend que celle-ci procure un algorithme pour la d´etermination des coefficients ind´etermin´es. Dans ses conditions, la sim- plicit´e de la d´etermination de v et de s dans l’exemple pr´esent pourrait laisser penser que Descartes n’a pas entrevu la difficult´e de la r´esolution d’un tel probl`eme dans le cas g´en´eral comme nous l’avons montr´e auparavant, ou qu’il envisageait au contraire un autre mode d’application de sa m´ethode des normales qui contournait un tel probl`eme de calcul. Comme on l’a dit, la premi`ere hypoth`ese nous paraˆıt peu plausible, d’autant que Descartes ne cessa de vanter sa m´ethode, et qu’il ´etait prudent autant sans doute qu’il pouvait ˆetre de mauvaise foi.

Mais avant de formuler une hypoth`ese sur un autre mode d’application de la m´ethode des normales qui aurait permis `a Descartes de se dispenser de calculs difficiles voire insurmontables, qu’il ne prisait gu`ere, pour appliquer sa m´ethode, revenons `a ces mˆemes calculs pour voir dans quelle mesure la forme et la simplicit´e de l’´equation de la parabole cart´esienne permettrait ou non d’inf´erer le th´eor`eme de Hudde en r´esolvant le syst`eme.

Le syst`eme pr´ec´edent (5.19) est tr`es particulier dans la mesure o`u en proc´edant aux ´eliminations des coefficients ind´etermin´es f , k, g, h dans le mˆeme ordre que Descartes, on aboutit `a un syst`eme « quasi-d´etermin´e »62

en v et s, o`u v apparaˆıt isol´e, alors que les deux autres proc´edures d’´elimination que nous avons vues auparavant63, qui usent du syst`eme tri-

angulaire sup´erieur ou du syst`eme triangulaire inf´erieur, paraissent com- pliquer inutilement les calculs en introduisant v, v2 ou s2 dans les calculs

d’´elimination des coefficients ind´etermin´es. On sait que dans le cas g´en´eral on retrouve dans chaque ´equation des monˆomes form´es de puissances de s et v et qu’un tel choix alors ne se justifie plus.

On pourrait ainsi penser que c’est la structure particuli`ere du syst`eme associ´e `a la d´etermination de la normale `a la concho¨ıde de parabole qui sugg´era `a Descartes la proc´edure d’´elimination qu’il recommande.

Descartes obtenait donc ais´ement

v = 2 d2x 3 − 3bd2x2+ b 2 d2x− 2c d x+ x + 2bc d + bc2 x2 − b2c2 x3 (5.25)

62Ce syst`eme « quasi-d´etermin´e » est form´e par la troisi`eme et la quatri`eme ´equations

du syst`eme (5.19), o`u l’on a remplac´e f , k, g, h par leurs expressions, qui donnent respec- tivement imm´ediatement v puis s2.

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sans du reste utiliser l’expression de k4.