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On retrouve `a nouveau des critiques de Roberval visant la solution cart´esienne du probl`eme de Pappus en 1649. Celles-ci furent transmises par

117C’est moi qui souligne. Cf. [Huygens(1888-1950), I, p. 83-84] et [Mersenne(1945-1988),

XVI, p. 230].

4.5. LA CORRESPONDANCE AVEC CARCAVI DE 1649 127

Carcavi dans une premi`ere lettre du 9 juillet 1649119 `a laquelle Descartes

r´epondit le 17 aoˆut 1649120, et dans une seconde lettre du 24 septembre

1649121 laiss´ee cette fois-ci sans r´eponse par Descartes qui interrompit alors

sa Correspondance avec Carcavi.

Dans sa premi`ere lettre, ce dernier indiquait trois critiques : 1. Page 326122. Que le point C est par tous les angles que

vous avez nommez, & que vous ne nommez point celuy ou il ne peut estre ; & que iamais la question n’est impossible.123 Les deux premi`eres critiques de Roberval concernent la pr´esence possible du point C dans chacun des quatre angles d´efinis par Descartes dans sa solution du probl`eme de Pappus, `a savoir les angles dDAG, dDAE, dEARet dRAG, qui, comme on l’a d´ej`a remarqu´e, ne correspondent pas aux quatre quadrants du rep`ere choisi par Descartes et contiennent des r´egions qui conduiront `a des ´equations diff´erentes lors de l’analyse alg´ebrique124.

Il est clair que ces critiques renvoient implicitement `a la seconde conique solution125, ce qui sera confirm´e par la seconde lettre de Carcavi `a Descartes.

En effet, en affirmant que le point C peut ˆetre choisi `a l’int´erieur des quatre angles, et donc que la conique traversera ces quatre angles, Roberval consid`ere que la figure 4.3 et la solution de Descartes sont incompl`etes.

Quant `a la troisi`eme critique, elle renvoie `a une remarque de Descartes tout `a fait g´en´erale apparaissant dans sa solution du probl`eme, ´enon¸cant que dans le cas o`u les ´equations obtenues dans chacun des quatre angles ne poss`edent pas de racines (positives) non nulles, « la question serait impossible au cas propos´e »126.

Que doit-on entendre ici par « impossible » ? Car une valeur nulle pour y donnera n´eanmoins le point A pour solution. Et c’est sans doute ce qu’entend

119Cf. [Descartes(1964-1974), V, p. 373]. 120Cf. [Descartes(1964-1974), V, p. 394-397].

121Cf. [Descartes(1964-1974), V, p. 415-416, ´Eclaircissement, p. 422-425]. 122Cf. [Descartes(1637c), p. 398-399].

123Cf. [Descartes(1964-1974), V, p. 373].

124Cf. supra [figure 2.6, p. 57] et [figure 2.9, p. 72]. 125Comme le remarque d’ailleurs Tannery :

[...] il n’est gu`ere admissible que la reconnaissance de l’existence de points du lieu dans les quatre angles n’ait pas ´et´e imm´ediatement suivie de la conclu- sion que le lieu comprenait plusieurs coniques.

Cf [Descartes(1964-1974), V, p. 423].

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par l`a Roberval, lorsqu’il ´ecrit que le probl`eme ne sera jamais impossible. Descartes, qui semble mentionner implicitement le cas du point dans la lettre `a Mersenne pr´ec´edement cit´ee du 31 mars 1638127, comme « un cas, des plus

aysez de tous, qu’[il a] omis pour sa trop grande facilit´e », pourrait qualifier dans ce cas le probl`eme de lieu d’impossible, refusant de compter le point au sein des coniques solutions et reprenant ainsi la distinction traditionnelle d’origine euclidienne entre point et ligne128.

Descartes r´epondait `a chacune de ces trois critiques129 dans la lettre qui

suivait du 17 aoˆut 1649 :

A quoy ie n’ay pas beoin de rien adioˆuter pour faire voir clai- rement qu’il se trompe, premierement en ce qu’il dit le point C est par tous les angles que i’ay nomm´ez. Car, en l’exemple pro- pos´e130, il ne se peut trouver dans l’angle DAE [...] Ainsi le cercle

CA passe par les angles DAG & EAR, mais non point par l’angle DAE.

[...] Il est evident aussi qu’il se trompe, en ce qu’il dit que ie n’ay pas nomm´e l’angle o`u le point C ne peut estre ; car, ayant nomm´e tous les quatre angles qui se sont par l’intersection des deux lignes DR et EG, i’ay nomm´e toute la superficie indefiniment estendu¨e de tous costez, & par consequent tous les lieux, tant ceux o`u le point C peut estre, que ceux o`u il ne peut pas estre ; en sorte qu’il auroit est´e superflu que i’eusse consid´er´e d’autres angles.

Enfin, il se trompe de dire que cette question n’est iamais impossible ; car, bien qu’elle ne le soit pas en la fa¸con que ie l’ay propos´ee, on la peut proposer en plusieurs autres, dont quelques- unes sont impossibles, & ie les ay voulu toutes comprendre dans mon discours.131

Force est de constater que ces r´eponses ne sont gu`ere convaincantes. Dans

127C’est l’hypoth`ese de Tannery. Cf. [Descartes(1964-1974), II, p. 84]. Il se ravise

n´eanmoins dans [Descartes(1964-1974), VI, Note sur le probl`eme de Pappus, p. 725] et consid`ere que Descartes mentionnerait le cas o`u le coefficient en y2est nul dans l’´equation

du lieu de Pappus `a quatre lignes.

128Rabuel pr´etend donner deux exemples de « lieu impossible » qu’il a produit en

modifiant l’´equation ad hoc de fa¸con `a ce qu’elle ne poss`ede pas de racines r´eelles. Cf. [Rabuel(1730), p. 183 et 200].

129J’ajoute des alineas au texte. 130Cf. supra la figure 4.3, p. 117.

4.5. LA CORRESPONDANCE AVEC CARCAVI DE 1649 129

la premi`ere, apr`es avoir engag´e une pol´emique st´erile sur le sens accord´e par Roberval `a « se trouver par les angles »132, Descartes ne semble consid´erer

que le cercle comme unique conique solution au probl`eme. Le cercle ne passe pas en effet par l’angle DAE au contraire de l’hyperbole comme dans la fi- gure 2.9133. Descartes paraˆıt donc ignorer `a nouveau et de fa¸con plus explicite

encore la seconde conique solution.

Quant aux deux autres r´eponses, elles demeurent ´evasives. Si dans la derni`ere, Descartes invoque `a nouveau un souci de g´en´eralit´e pour justifier sa remarque, dans la premi`ere, apparaissent au contraire, il nous semble, les limites de la d´emarche cart´esienne, inh´erentes aux limites de son alg`ebre et aux difficult´es de calcul apparaissant dans la r´esolution du probl`eme de Pappus.

En effet, pour nommer l’angle o`u le point C ne peut ˆetre, il faut non pas ´etudier une ´equation alg´ebrique prototypique, comme le fait Descartes dans sa solution de la G´eom´etrie, mais toutes les ´equations alg´ebriques produites en choisissant toutes les positions possibles pour le point C, puis comparer leurs coefficients, afin d’´etudier et comparer les racines — en particulier, le signe de ces racines — de ces derni`eres. Une telle recension ne peut ˆetre que compliqu´ee et fastidieuse mais est n´ecessaire pour qui veut proposer une th´eorie des courbes alg´ebriques, o`u une correspondance est ´etablie entre courbe g´eom´etrique et ´equation(s) alg´ebrique(s).

Mais Carcavi allait revenir `a la charge en pr´esentant des critiques bien plus fond´ees et pertinentes sur le plan math´ematique dans une lettre du 24 septembre 1649134 :

[1] Il [Roberval] ne s’est pas aussi arrest´e aux figures de vostre livre, mais seulement `a vostre enonciation ; car celle de la page 331135 monstre evidemment le peu d’intelligence de celuy `a qui

vous vous estes fi´e pour la tracer : c’est ou le lieu est repr´esent´e par une hyperbole, laquelle, ne passant par aucun des six points o`u les quatre lignes peuvent s’entrecoupper, couppe neantmoins la ligne TG au point H, fort ´eloign´e de tous ces six points, qui est une absurdit´e si manifeste, qu’encore que ledit sieur de Roberval croye que vous ne vous soyez pas donn´e la peine de construire ce

132Cf. [Descartes(1964-1974), V, p. 395-396]. 133Cf. supra [figure 2.9, p. 72].

134J’ajoute `a nouveau des alineas num´erot´es.

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lieu, il ne doute pas toutesfois que vous ne la voy¨ıez incontinent. [2] De mesme que celle de la page 308136, o`u vous dites que,

pour trois ou quatre lignes donn´ees, les points cherchez se ren- contrent tous en une section conique ; ce qui n’est pas veritable : car ils ne se trouvent pas tous dans une de ces sections, quand vous prendriez les deux hyperboles oppos´ees pour une section, comme nous faisons avec les Anciens.

[3] Et il m’a fait remarquer que cette faute peut bien avoir est´e cause d’une autre dans la page 313137, o`u vous dites qu’on

pourra trouver une infinit´e de points par lesquels on d´ecrira la ligne demand´ee. Car il se pourra faire que tous ces points ne seront pas dans une mesme ligne, s¸cavoir, lors que quelques-uns d’iceux seront dans l’un des espaces qui sont distinguez par les quatre lignes donn´ees, & d’autres en un autre espace.

[4] Et finalement, il soˆutient que vous ne s¸cauriez donner au- cun cas auquel la question ne soit tousiours possible [...]138

Ces quatre derni`eres critiques de Roberval ne re¸curent jamais de r´eponse de Descartes. Leur clairvoyance et leur profondeur contrastent avec le ca- ract`ere anecdotique des remarques des premi`eres ann´ees. Les deux premi`eres et la derni`ere critiques apparaissent comme un point d’aboutissement de la controverse et touchent selon nous au coeur de la th´eorie cart´esienne des courbes alg´ebriques.

Ainsi, la figure 4.3139est clairement fausse et t´emoigne selon Roberval que

Descartes « ne [se soit] pas donn´e la peine de construire ce lieu ». Au del`a de la charge pol´emique, il faut retenir que Roberval met ici en lumi`ere les diffi- cult´es de la correspondance entre ´equation alg´ebrique et courbe g´eom´etrique. Mais plus importante encore est la deuxi`eme critique. Roberval ´enonce en effet pour la premi`ere fois explicitement que la solution de Descartes est incompl`ete car elle ne consid`ere qu’une conique solution et en d´eduit une cons´equence qui attaque les fondements de la th´eorie cart´esienne des courbes alg´ebriques.

La construction point par point de la courbe g´eom´etrique solution que tire Descartes de l’´equation alg´ebrique exprimant celle-ci relativement `a l’axe AB

136Cf. [Descartes(1637c), p. 381]. 137Cf. [Descartes(1637c), p. 381].

138Cf. [Descartes(1964-1974), V, p. 415-416]. 139Cf. supra [figure 4.3, p. 117].

4.5. LA CORRESPONDANCE AVEC CARCAVI DE 1649 131

d’origine A et d’ordonn´ees BC ne va en effet pas de soi dans le cas g´en´eral `a n lignes. Pour illustrer cela, prenosn l’exemple du probl`eme de Pappus `a quatre lignes que nous avons ´etudi´e en d´etails.

Consid´erons les r´egions (Ri)i=1,...,23 du plan correspondant `a la fi-

gure 2.6140 et associons `a chacune une ´equation P

i(x, y). Si l’on veut

construire toute la courbe point par point, il faudra r´esoudre chacune de ces ´equations en y, non pas en « prenant successivement infinies diverses grandeurs »141 pour x, mais en se restreignant `a un intervalle [α

i, βi[142 pour

x correspondant `a la r´egion Ri. On construira ainsi l’arc de la courbe appar-

tenant `a cette mˆeme r´egion. Ainsi, pour construire toute la courbe solution, il faudra « recoller » ces diff´erents arcs.

D’autre part, il est vrai que dans le cas g´en´eral du probl`eme de Pappus `a un nombre quelconque de lignes o`u deux courbes alg´ebriques sont solutions, en construisant les ´equations du lieu qu’on obtiendra en postulant diverses positions du point C lors de l’analyse, `a moins de disposer d’un crit`ere per- mettant d’affirmer que deux ´equations sont ou ne sont pas celles d’arcs ou de branches d’une mˆeme courbe, on pourrait mal d´ecrire ces courbes solu- tions en recollant ensemble des arcs de l’une et de l’autre. Cette difficult´e est d’ailleurs ´evacu´ee dans le probl`eme `a quatre lignes car Descartes s’appuie non pas sur une construction par point mais sur les Coniques d’Apollonius pour d´ecrire une des deux coniques solutions en donnant cˆot´e droit, diam`etre, centre et cˆot´e traversant143.

Un tel crit`ere de diff´erenciation des ´equations alg´ebriques du lieu est une condition n´ecessaire pour l’´etablissement d’une th´eorie des courbes alg´ebriques et apparaˆıt difficile voire impossible `a ´etablir en raison de la com- plexit´e r´esultant des diff´erents signes possibles comme on l’a vu auparavant lors de l’analyse math´ematique. Or Descartes ne dit non seulement rien `a ce sujet, mais encore esquive `a plusieurs reprises la question qui en constitue l’origine dans la controverse : l’existence d’une seconde conique solution.

Nous allons voir `a pr´esent que cette question va se poser `a nouveau lors de la pr´eparation par Schooten en 1656 de la seconde ´edition latine de la G´eom´etrie, engendrant une nouvelle controverse entre Schooten, Huygens et Roberval.

140Cf. supra [figure 2.6, p. 57]. 141Cf. [Descartes(1637c), p. 386].

142Par exemple, l’intervalle [0, l[ pour la r´egion (13). 143Cf. [Descartes(1637c), p. 400-404].

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