• Aucun résultat trouvé

4.2 Debeaune et le probl`eme de Pappus

4.2.2 Une question de lieu de Debeaune

`

A l’automne 1638, Debeaune communiqua une s´erie de questions `a la communaut´e math´ematique par l’entremise de Mersenne portant sur des lignes li´ees `a ses recherches en dioptrique. Dans la premi`ere de ces ques- tions, il s’agissait de d´eterminer la tangente `a une courbe donn´ee par une ´equation, qu’on demandait en outre de d´eterminer, la donn´ee de l’´equation apparaissant non pas comme donnant une courbe alg´ebrique mais comme posant un probl`eme de lieu g´eom´etrique. Nous reviendrons dans le seconde partie consacr´ee `a la m´ethode des normales sur cette question et celles qui la suivirent, consacr´ees `a des probl`emes inverses de tangentes, c’est-`a-dire proposant de d´eterminer une courbe, une propri´et´e de sa tangente ´etant donn´ee27, mais nous souhaitons nous int´eresser ici au probl`eme de lieu as-

soci´e `a la premi`ere ligne de Debeaune, car il montre de fa¸con exemplaire les deux fa¸cons dont on peut interpr´eter l’´equation alg´ebrique d’une courbe g´eom´etrique `a l’ ˆAge classique.

On trouve une d´efinition de cette premi`ere ligne dans un pamphlet de Beaugrand publi´e par C. de Waard dans un Suppl´ement aux Œuvres de Fermat28 ainsi que dans la deuxi`eme observation consacr´ee au probl`eme de Pappus dans les Notes Br`eves de Debeaune29 qui prend cette ligne comme

exemple. Voici ce qu’´ecrit Debeaune pour pr´esenter et d´efinir sa premi`ere ligne :

Soit en la figure suivante [4.1] une ligne courbe AX, et une ligne droite AY `a laquelle tous les points de la courbe soient rapport´es

27Cf. infra [Chapitre 10, p. 333].

28Cf. [Beaugrand(1640)]. On trouve un extrait du d´ebut de ce pamphlet qui concerne

cette ligne dans [Mersenne(1945-1988), VIII, p. 90-92]. Beaugrand donne ensuite la tan- gente puis la construction de cette courbe en reconnaissant qu’il s’agit d’une hyperbole. Cf. [Beaugrand(1640), p. 109-110]. Nous reviendrons plus en d´etail sur ce texte dans la suite. Cf. infra [section 8.3.1, p. 264].

29Cf. [Debeaune(1638-1648), p. 379-381] et [Debeaune(1649), p. 131-134]. D’autre

part, Debeaune reprend cette mˆeme courbe dans sa note « sur la page 341 et les sui- vantes o`u est comprise l’invention pour trouver les contingentes des lignes courbes ». Cf. [Debeaune(1638-1648), p. 390-392] et [Debeaune(1649), p. 147-150]. Nous reviendrons dans la suite sur cet exemple. Cf. [section 10.5, p. 353].

4.2. DEBEAUNE ET LE PROBL `EME DE PAPPUS 101

son sommet A de laquelle la propri´et´e soit telle qu’ayant pris quelconque point en icelle comme X duquel soit men´ee la ligne XY, perpendiculairement ordonn´ee `a la ligne AY et ayant pris une ligne `a discr´etion comme AB, < AB+ > la ligne AY soit `a la ligne AY comme la mˆeme ligne AY `a la ligne XY.30

Fig. 4.1 – [Debeaune(1649), p. 132]

Posons AB = b, AY = y et XY = x. La courbe cherch´ee v´erifie ainsi la proportion

b+ y : y = y : x (4.1) qui conduit `a l’´equation

y2 = xy + bx. (4.2) La question de la nature de la premi`ere ligne de Debeaune posa bien des difficult´es aux math´ematiciens participant `a la discussion autour des ques- tions de Debeaune. En effet, nous allons voir que, de fa¸con surprenante pour nous, l’ensemble des protagonistes `a l’exception de Descartes ´eprouv`erent bien des difficult´es `a reconnaˆıtre une hyperbole `a partir de la proportion (4.1) ou de l’´equation ´equivalente (4.2) qui d´efinissaient la premi`ere ligne de De- beaune.

102 CHAPITRE 4. APR `ES LAG ´EOM ´ETRIE : 1637-1656

Deux semaines apr`es sa premi`ere lettre adress´ee `a Mersenne, le 10 octobre 1638, Debeaune remerciait ainsi Roberval pour

[son] escript contenant la composition et demonstration de la premiere des lignes courbes que i’auois enuoyees au Reuerend Pere Mersenne, et l’inuention de l’asymptote de l’autre [...]

[...] la premiere des miennes est manifestement du premier genre, [...] et toutesfois n’est pas vne de celles la [les sections coniques]. Ie seray fort aise d’en auoir vostre sentiment.

[...] Au reste, i’ay faict l’analyse de ces deux lignes, mais ie ne vous enuoye que celle de la seconde, d’aultant que vous au´ez parfaictement descript la premiere [...]31

Du reste, Roberval, mais aussi Beaugrand, n’avaient pas plus reconnu la v´eritable nature de la courbe solution du probl`eme de lieu g´eom´etrique donn´e par Debeaune, le premier parvenant n´eanmoins `a une synth`ese g´eom´etrique. Au contraire pour Descartes, il s’agissait bien d’une hyperbole donn´ee par une ´equation alg´ebrique.

Plus tard, Debeaune allait reconnaˆıtre son erreur et s’en d´ebrouiller avec l’aide de Descartes. Il ´ecrivait ainsi dans une lettre du 13 novembre 1638 `a Mersenne :

[...] Ie mets auec la presente la demonstration comment ma premiere ligne courbe est une hyperbole, ce que ie n’auois pas remarqu´e auant l’aduis de Mr Des Cartes32, et estoit une des

difficult´es que ie luy proposois, mais ie l’ay esclaircie avec les aultres, comme ie vous ay mand´e. Vous la fer´es, s’il vous plaist, voir a Mr Roberval, et, si vous voul´es, a Mr de Beaugrand. Vous

la pouu´es mesmes enuoyer a Mr Des Cartes, si vous le trouu´es

a propos. Il ne seroit pas bon qu’il vist ce que Mr Roberval m’a

escript touchant ceste ligne, car il n’auoit pas remarqu´e, non plus que moy, que ce fust une hyperbole.33

Dans sa lettre `a Mersenne du 15 novembre 1638, Descartes ´ecrivait : Je suis bien aise que M. de Beaune se soit satisfait touchant ses lignes. il pourra voir si ma reponse s’accorde avec ce qu’il en

31Cf. [Descartes(1964-1974), V, p. 517-518].

32On a retrouv´e une d´emonstration synth´etique parmi les papiers de Boulliaud.

Cf. [Mersenne(1945-1988), VIII, p. 178-181].

4.2. DEBEAUNE ET LE PROBL `EME DE PAPPUS 103

a trouv´e ; mais je m’´etonne de ce qu’apr`es avoir remarqu´e que la definition que je donne des lignes du premier genre, convient `a la premiere des siennes, il n’a pas pour cela reconnu qu’elle est une hyperbole ; car il est tres certain qu’elle en est une, et je luy en envoyerois la construction, sinon que je veux croire qu’il l’a desja trouv´ee depuis ma reponse.34

[...] Comme luy & le geostaticien me semblent plaisans, en ce qu’ils se vantent d’auoir trouu´e les deux lignes de M. de Beaune, & toutefois ils n’ont pas seulement sceu connoistre que la pre- miere, qui est incomparablement plus ais´ee que l’autre, est vne hyperbole.35

On le voit clairement, Descartes domine ici le d´ebat qui porte sur la recon- naissance de la nature d’une courbe g´eom´etrique donn´ee par une ´equation alg´ebrique — en l’occurence, une hyperbole —. D’autre part, on observe ´egalement l’attitude favorable de Descartes, d`es novembre 1638, `a l’encontre de Debeaune. Descartes, qu’il confie ses solutions au math´ematicien de Blois ou qu’il corrige les erreurs de ce dernier, entend le faire avec bienveillance. En effet, il a bien compris, d´ej`a `a cette ´epoque, que Debeaune pourra devenir un z´elateur pr´ecieux de la M´ethode en France du fait de ses comp´etences math´ematiques.

Il nous semble ressortir de cet exemple de l’hyperbole que la transfor- mation de l’´equation alg´ebrique, posant un probl`eme de lieu g´eom´etrique, en l’´equation alg´ebrique, donnant une courbe alg´ebrique, bien qu’initi´ee par Descartes dans sa G´eom´etrie, est encore loin d’ˆetre compl`ete, du moins pour les math´ematiciens qui lui sont contemporains. C’est que vont confirmer d’ailleurs les observations de Debeaune dans les Notes Br`eves.

34Cf. [Descartes(1964-1974), II, p. 424].

35Cf. [Descartes(1964-1974), II, p. 434-435]. La question avait du sembl´e difficile et

ind´ecise `a Paris car, plus loin, dans cette mˆeme lettre, Descartes revient sur cette question `a l’invitation de Mersenne qui craignait que le philosophe se soit m´epris. Cf. [Descartes(1964-1974), II, p. 444-445].

104 CHAPITRE 4. APR `ES LAG ´EOM ´ETRIE : 1637-1656

4.2.3

Les observations de Debeaune dans les Notes