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5.3 La pr´esentation cart´esienne

5.3.2 Normales et tangentes

Si l’on consid`ere la G´eom´etrie de 1637, il est clair que Descartes propose une th´eorie des normales, qu’il d´efinit pr´ealablement comme la droite perpen- diculaire `a la tangente au point de contact. Il pr´esente d’ailleurs sa m´ethode comme une

Facon generale pour trouver des lignes droites qui coupent les courbes donn´ees ou leurs contingentes a angles droits.34

C’est l`a une diff´erence avec Apollonius qui, se proposant d’´etudier dans le Livre V les lignes minima tir´ees d’un point `a une conique. Une caract´erisation de la normale n’apparaˆıt qu’ult´erieurement dans ce mˆeme livre au sein de propositions et fait l’objet de d´emonstrations comme on le verra plus en d´etail dans la suite35.

Apr`es cette br`eve incise, Descartes ne fait nulle mention de la droite tangente dans la suite de sa m´ethode. Dans la figure 5.3, celle-ci n’apparaˆıt pas. CF et CG sont ainsi des s´ecantes intervenant dans la d´efinition et la construction de la premi`ere ovale cart´esienne. Et, au sein du texte, c’est non pas la droite tangente, mais un cercle tangent dont la donn´ee apparaˆıt comme ´equivalente `a celui de la normale. En effet, apr`es avoir r´eduit la d´etermination de la normale `a la celle de son point d’intersection P avec l’axe de la courbe alg´ebrique, Descartes ´ecrit :

Et a cet effect il faut considerer que, si ce point P est tel qu’on le desire, le cercle dont il sera le centre, & qui passera par le point C, y touchera la ligne courbe CE, sans la coupper : mais que si ce point P, est tant soit peu plus proche ou plus esloign´e du point A, qu’il ne doit, ce cercle couppera la courbe, non seulement au point C, mais aussy necessairement en quelque autre.36.

34Cf. [Descartes(1637c), p. 413]. 35Cf. [section 6.3, p. 189]. 36Cf. [Descartes(1637c), p. 417].

5.3. LA PR ´ESENTATION CART ´ESIENNE 161

La d´efinition de la normale, `a savoir la droite perpendiculaire `a la tan- gente, est donc vite abandonn´ee apr`es avoir ´et´e bri`evement ´evoqu´ee. La v´eritable d´efinition op´eratoire de la normale apparaˆıt comme le rayon du cercle tangent dont le centre se trouve sur l’axe de la courbe alg´ebrique. En effet, il existe bien sˆur une infinit´e de cercles tangents `a la courbe parmi lesquels un seul a son centre sur l’axe de la courbe.

On peut remarquer que Descartes, pour qualifier la tangence du cercle `a la courbe g´eom´etrique, paraˆıt se r´ef´erer `a une d´efinition euclidienne classique de la tangente, comme la droite qui touche la courbe sans la couper37, qui

apparaˆıt dans les d´efinitions 2 et 3 du Livre III des El´ements d’Euclide38.

La formulation de Descartes n’est d’autre part pas sym´etrique : de la mˆeme fa¸con que la d´efinition 3 du Livre III des El´ements d’Euclide traite d’une droite tangente au cercle, Descartes traite d’un cercle tangent `a la courbe.

Mais l’affirmation pr´ec´edente de Descartes peut-elle ˆetre d´emontr´ee sans faire usage d’un nouveau concept de tangente ? Cela est non seulement tout `a fait possible comme nous allons le voir mais une telle d´emonstration ne fait que r´ep´eter sous un autre « habillage » une d´emonstration d’Apollonius.

Proc´edons par analyse. Il suffit donc, en supposant l’existence d’un cercle tangent et d’une droite tangente en un point donn´e d’une courbe alg´ebrique, de d´emontrer que le rayon d’un tel cercle est perpendiculaire `a la tangente au point de contact. Pour ce faire, nous allons proc´eder par l’absurde.

Soient donc le cercle tangent au point C `a la courbe AC dont le centre pris sur l’axe de celle-ci est P et CT la tangente `a la courbe qui coupe l’axe au point T. Supposons que l’angle dPCTne soit pas droit. Soit PD la droite issue du point P′ perpendiculaire `a la tangente au point D et qui coupe la courbe

au point C′. Alors on a PC > PD > PCcar la perpendiculaire est minimale

et la tangente tombe « `a l’ext´erieur » de la courbe. Ainsi le cercle de centre P traverserait la courbe, d’o`u la contradiction. On a donc n´ecessairement D≡ C ≡ C.

On vient donc de d´emontrer l’assertion de Descartes, ´enonc´ee par lui avec un vocabulaire g´eom´etrique classique, en usant d’une part d’arguments uniquement g´eom´etriques, et en se r´eclamant d’autre part d’une conception classique de la tangente. Les arguments qu’on a employ´es ne sont en fait que la reformulation et la g´en´eralisation analytiques de la d´emonstration

37Pour un expos´e synth´etique ´eclairant sur la notion de tangente dans l’Antiquit´e, on

peut consulter [Itard(1948), p. 239-241] et [Rashed(2006), p. 1-9].

162 CHAPITRE 5. LA M ´ETHODE DES NORMALES DE DESCARTES A C T P D C'

Fig. 5.2 – Le cercle et la droite tangents `a la courbe

synth´etique d’Apollonius de la proposition 32 du Livre V des Coniques39 qui

´etablit qu’une droite perpendiculaire `a la tangente au point de contact est minimum, en rempla¸cant dans l’´enonc´e de l’argument d’Apollonius droite minimum par cercle tangent40 et conique par courbe alg´ebrique quelconque.

Nous ´etudierons dans la suite ces propositions et leur d´emonstration41.

Nous pouvons n´eanmoins d´ej`a remarquer qu’une telle reformulation du th´eor`eme, bien qu’elle ne s’accompagne pas d’une modification r´eelle de la d´emonstration g´eom´etrique de ce dernier, d´esigne naturellement `a pr´esent le point de contact comme un point double d’intersection. C’est une telle d´esignation qui va permettre d’assurer un moyen terme entre le substrat g´eom´etrique de la m´ethode et la composante arithm´etico-alg´ebrique de celle- ci.

D’ailleurs, la citation donn´ee pr´ec´edemment se d´ecompose en deux parties dont la premi`ere, strictement g´eom´etrique, d´ecrit le passage de la normale au cercle tangent, et la seconde, du cercle tangent `a un cercle s´ecant, op´erant

39Cf. [Apollonius(1959), p. 388-389], [Apollonius(1990), I, p. 94-96]

40La droite minimum demeure bien qu’elle ne soit plus mise en ´evidence : c’est le rayon

PCdu cercle tangent.

5.3. LA PR ´ESENTATION CART ´ESIENNE 163

ainsi une transition avec la seconde partie de la m´ethode qui consiste en une analyse arithm´etico-alg´ebrique. Descartes, disposant en effet d’une th´eorie des ´equations, pourra parler du cercle coupant la courbe et du cercle touchant la courbe de la mˆeme fa¸con, en ´etudiant les racines du polynˆome r´esultant42.

Pour comprendre `a pr´esent le lien que nous voulons ´etablir entre Apollo- nius et Descartes, il nous faut rappeler la fa¸con dont se d´ecompose la m´ethode des normales de Descartes. Celui-ci proc`ede selon une double analyse dont les deux parties sont de nature tr`es diff´erente, comme l’a remarqu´e Marco Panza dans la reconstruction qu’il donne de cette m´ethode43.