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3.2 Les d´efis cart´esiens : 1632-1637

4.1.1 La « composition » des lieux solides

D’autre part, si Descartes d´edaignait les restitutions des Lieux plans d’Apollonius entreprises par ses contemporains, c’est parce que le second enjeu qu’il poursuivait dans sa r´esolution du probl`eme de Pappus ´etait de donner la « composition » c’est-`a-dire la classification de tous les lieux solides. Ainsi ´ecrivait-il dans la lettre bien connue `a Mersenne du 31 mars 1638, o`u il se pose en Architecte lass´e des plaintes des ma¸cons `a qui il laisse le travail des calculs, qu’il « [avait mis] dans la question de Pappus tout ce qu’il faut pour les s¸cavoir de plus pour les entendre5

». Dans la G´eom´etrie6, il en avait ainsi d´eduit ce qu’il nommait dans cette mˆeme lettre un « corollaire des lieux »7.

Du reste, n’avait-il pas d´ej`a clˆot sa solution du probl`eme de Pappus dans la G´eom´etrie au livre II par la remarque suivant ce mˆeme corollaire ?

Mais le plus haut but qu’ayent eu les anciens en cete matiere a est´e de paruenir a la composition des lieux solides : Et il semble que tout ce qu’Apollonius a escrit des sections coniques n’a est´e qu’`a dessein de la chercher.8

La composition des lieux solides donn´ee par Descartes reposait sur l’iden- tification entre deux « incarnations » de l’objet courbe alg´ebrique : d’une part, les courbes g´eom´etriques rapport´ees par des ´equations du second degr´e `a un axe coordonn´e, d’autre part, les courbes g´eom´etriques solutions du probl`eme de Pappus exprim´ees par une ´equation donn´ee par analyse alg´ebrique.

On a d´ej`a vu que ces incarnations, telles qu’elles apparaissent dans la G´eom´etrie, bien qu’assez proches et pr´esent´ees comme identiques par l’Au- teur, demeurent n´eanmoins distinctes et pr´esentent des diff´erences de nature math´ematique non n´egligeables, telles que le caract`ere local ou global de l’ex- pression de la courbe par l’´equation. Au contraire, l’objet courbe alg´ebrique tel qu’il s’est cristallis´e par exemple dans notre g´eom´etrie alg´ebrique moderne apparaˆıt bien comme identique sous ces deux manifestations.

Remarquons ici que ce qui nous paraˆıt sceller la constitution d’un ob- jet math´ematique, ce n’est pas seulement la pr´esence de plusieurs incarna- tions se pr´esentant comme « solutions de probl`eme », « objets d’´etude », ou

5Cf. [Descartes(1964-1974), II, p. 83]. 6Cf. [Descartes(1637c), p. 407].

7Cf. [Descartes(1964-1974), II, p. 82 et 84]. 8Cf. [Descartes(1637c), p. 407].

4.1. LES AFFIRMATIONS CART ´ESIENNES : 1638-1639 95

« instruments de recherche »9, mais `a terme, l’´etablissement d’un « isomor- phisme » entre celles-ci. Il nous semble ainsi que l’´elucidation de la question des signes examin´ee en d´etail auparavant au sein de la G´eom´etrie apparaˆıt comme une condition n´ecessaire pour la constitution de la courbe alg´ebrique en un objet math´ematique.

En effet, seule cette ´elucidation autorise l’identification entre ses dif- f´erentes incarnations, comme par exemple celle apparaissant `a l’issue de l’analyse alg´ebrique d’un probl`eme de lieu g´eom´etrique comme solution, l’´equation alg´ebrique exprimant localement un arc de courbe g´eom´etrique, ou bien celle `a l’origine d’un probl`eme des normales comme objet d’´etude, l’´equation alg´ebrique exprimant alors globalement la courbe.

Descartes ne pouvait que renvoyer plus tard Mersenne `a la lecture de la G´eom´etrie dans une lettre du 9 f´evrier 1639 et d´edaignait le caract`ere nouveau de l’Isagoge ad locos solidos de Fermat qui lui avait ´et´e envoy´e par Mersenne le 1er mars 1638 selon Adam et Tannery. Ainsi ´ecrivait-il :

C’est Isagoge ad locos solidos que vous m’auez cy deuant en- voy´e, & ie n’en desire point voir d’avantage, car ie donne tous ces lieux eu 2 livre de ma Geomet., en y construisant la question de Pappus, ainsy que i’ay auerti en la pa(ge) 33410; & ceux qui

y cherchent quelque autre chose, monstrent par la qu’ils ne les entendent pas.11

Dans la lettre `a Mersenne du 31 mars 1638, Descartes indiquait ensuite encore plus pr´ecis´ement ce qu’il entendait et qui constituait `a ses yeux, au sein de la r´esolution du probl`eme de Pappus, une composition des lieux solides :

Or par cete seule equation de la page 32612,

y= m − n zx+ r mm+ ox − p mx 2

a s¸cavoir en changeant seulement les marques + et −, ou sup- posant quelques termes pour nuls, ie comprends toutes celles qui peuvent se rapporter `a quelque lieu plan ou solide. Ie ne croy pas qu’il soit possible de rien imaginer de plus general, ny plus court,

9Cf. supra [Introduction G´en´erale, n. 48, p. 9] les cat´egories adopt´ees par Enrico Giusti

pour qualifier la gen`ese d’un objet math´ematique.

10Il s’agit du « corollaire des lieux » pr´ec´edemment mentionn´e. 11Cf. [Descartes(1964-1974), II, p. 495].

96 CHAPITRE 4. APR `ES LAG ´EOM ´ETRIE : 1637-1656

ny plus clair & facile que cela, ny que ceux qui l’auront vne fois compris doiuent apres prendre la peine de lire les longs escris des autres sur mesme matiere.13

Ainsi, le traitement choisi par Descartes de l’´equation (2.29) du lieu de Pappus, qui consistait en l’´etude de l’´equation alg´ebrique (2.38) d´eduite de la premi`ere en proc´edant `a l’extraction de la racine positive, lui paraissait tenir lieu de composition des lieux solides.