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Des techniques imposées aux parties

Section 1 – L’organisation de la compensation centrale

A. Le recours au collatéral

265. – Technique du collatéral – On sait que les parties à une opération – bilatérale –

sur dérivés de gré à gré – peuvent décider de recourir à des contrats de collatéralisation585. Cette technique du collatéral est également reprise en matière de compensation centrale, en vue de maîtriser l’exposition au risque de contrepartie au sein du système de compensation centrale.

266. – Bien que la réglementation EMIR appréhende le collatéral essentiellement au niveau

de la contrepartie centrale, le recours au collatéral se fait de part et d’autre du système de compensation centrale. Ainsi, le collatéral est utilisé entre la chambre de compensation et ses membres compensateurs, mais également entre les adhérents compensateurs et leurs clients (selon le modèle d’adhésion applicable). Quel que soit le niveau où intervient l’échange du collatéral, le principe reste in fine le même. Il faut néanmoins comprendre qu’entre l’adhérent compensateur et le client, le collatéral est échangé conformément à la documentation contractuelle négociée entre eux. Dès lors, tout l’enjeu pour le client sera de réussir à négocier que l’adhérent compensateur indexe – plus ou moins – l’échange de collatéral sur celui qui lui est demandé au niveau de la contrepartie centrale, afin de ne pas fournir plus de collatéral que ce que l’adhérent doit lui-même fournir à la chambre.

267. – Echange du collatéral – Le texte européen prévoit que « les contreparties centrales imposent, appellent et collectent des marges auprès de leurs membres compensateurs (…)

afin de limiter leurs expositions de crédit »586. Plus précisément encore, ces marges

585 Voir supra §147 et s.

permettront à la chambre de compensation de « couvrir le risque découlant des positions

inscrites sur chaque compte »587 tenu par les adhérents compensateurs.

268. – Les modalités pratiques de l’échange du collatéral ne sont pas détaillées par le

règlement EMIR. Chaque contrepartie centrale détermine ainsi les règles applicables à ces échanges (fréquence, montants, calcul, etc.). Le texte européen impose néanmoins un niveau de couverture a minima concernant le collatéral. Il indique que les marges doivent être

« suffisantes pour couvrir les expositions potentielles (…) [qui] surviendront jusqu’à la

liquidation des positions correspondantes (…) [et] suffisantes pour couvrir les pertes

résultant (…) de la variation des expositions »588.

269. – Concernant la nature de ce collatéral échangé, le législateur européen précise

également que les contreparties centrales ne peuvent accepter que « des garanties (collateral)

très liquides comportant un risque de crédit et de marché minimal pour couvrir leur exposition initiale et présente vis-à-vis des membres compensateurs »589. Plusieurs types de collatéral sont visés par le texte européen comme pouvant être considérés comme "très liquides" dont notamment « le collatéral en espèces »590, « les instruments financiers, les

garanties bancaires et l’or »591.

270. – Une fois le collatéral reçu, les chambres de compensation doivent valoriser « le collatéral qu’elles détiennent au prix du marché en temps quasi-réel [et] lorsque ce n’est pas

possible, [d’être] en mesure de prouver aux autorités compétentes qu’elles sont capables de

gérer les risques »592.

271. – Formats de l’échange du collatéral – La règlementation EMIR prévoit deux formats

différents concernant le collatéral échangé593. On distingue d’une part, les marges dites "initiales" et d’autres part, celles dites "de variation" (souvent évoquées par leurs acronymes anglo-saxons qui sont respectivement "IM" pour “initial margin” et "VM" pour “variation

margin”).

587 Règlement EMIR n° 648/2012, Art. 41, §4, p. 37. 588 Règlement EMIR n° 648/2012, Art. 41, §1, p. 37. 589 Règlement EMIR n° 648/2012, Art. 46, §1, p. 38. 590 Règlement délégué n° 153/2013, Art. 38, p. 61. 591 Règlement délégué n° 153/2013, Art. 39, p. 61. 592 Règlement délégué n° 153/2013, Art. 40, §2, p. 61.

272. – Le principe de ces deux marges se retrouve également dans l’obligation de

collatéralisation des dérivés non compensés, de sorte que l’on s’attardera plus longuement sur le contour de ces deux notions dans nos développements postérieurs594. Précisons néanmoins brièvement que la distinction de ces deux marges a son importance car celles-ci ne visent pas à couvrir la même exposition au risque de contrepartie. D’un point de vue textuel, le législateur européen précise que la marge initiale est « une marge que collecte la contrepartie

centrale pour couvrir ses expositions futures potentielles vis-à-vis des membres compensateurs qui fournissent la marge (…) dans l’intervalle entre la dernière collecte de

marge et la liquidation des positions consécutive à la défaillance d’un membre compensateur ou d’une contrepartie centrale (…) »595, alors que a marge de variation est « une marge

collectée ou versée pour tenir compte des expositions actuelles qui résultent de variations effectives des prix du marché »596 .

Plus simplement, la marge initiale permet de couvrir l’exposition entre deux appels de marges de variation (c’est-à-dire celle résultante de la potentielle différence défavorable entre la valeur de marché définitive et le dépôt du dernier appel de marge) tandis que la marge de variation permet de couvrir l’exposition d’une potentielle fluctuation défavorable de la valeur de marché ("mark-to-market") des positions concernées597.

273. – Nature juridique de l’échange du collatéral – Ni le Règlement EMIR, ni ses normes

techniques de réglementation n’abordent la question de la nature juridique des différents échanges du collatéral (sous la formation IM ou VM). C’est le législateur national qui nous apporte la réponse à cette interrogation. La qualification juridique du collatéral a connu un changement à la suite des dernières modifications législatives. Alors que l’ancienne rédaction de l’article L. 440-7 du Code monétaire et financier prévoyait que les dépôts effectués par des adhérents d’une chambre de compensation auprès d’une telle chambre « ne pouvaient être

transférés qu’en pleine propriété »598, la nouvelle rédaction599 dispose désormais que ces

594 Voir infra §336 et s.

595 Règlement délégué n° 153/2013, Art. 1er, 5), p. 47. 596 Règlement délégué n° 153/2013, Art. 1er, 6), p. 47. 597 Voir infra §347.

598 H. Boucheta, « Les impacts de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires sur les chambres

de compensation », Bulletin Joly Bourse n°11, 2 novembre 2013, p. 542.

599 Nouvelle rédaction de l’art. L.440-7 du CMF issue de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, JO 27 juillet 2012, p. 12530.

dépôts « prennent la forme d’une garantie financière prévue à l’article L. 211-38 ou de toute

autre forme prévue par les règles de fonctionnement »600.

274. – Cette nouvelle rédaction joue incontestablement en faveur d’un plus large choix quant

à la forme juridique que peut recouvrir les échanges de collatéral. D’abord, le renvoi à l’article L.211-38 du Code monétaire et financier permet aux contreparties centrales d’opter désormais pour « des remises en pleine propriété, opposables aux tiers sans formalité (…) ou [pour] la constitution de sûretés »601. Le transfert en pleine propriété n’est donc plus la forme exclusive de l’échange du collatéral.

Enfin, la liberté de choix de forme du collatéral est poussée à son maximum en reconnaissant aux contreparties centrales la possibilité de prévoir tout autre forme dans ses règles de fonctionnement. Ainsi, comme l’explique un auteur, on peut potentiellement imaginer que ces règles se réfèrent « à des garanties prises sur le fondement d’un droit étranger ou sur des

garanties moins traditionnellement utilisées en la matière, telles que les garanties bancaire ou l’or »602. Précisons néanmoins que dans l’hypothèse de telles dispositions plus ou moins "exotiques", il restera à voir leur réelle efficacité juridique auprès des juridictions françaises.

275. – Renforcement du régime juridique du collatéral – Pour finir, notre le législateur

français ne se contente pas d’offrir une plus grande liberté dans le choix de la forme juridique des échanges de collatéral, il vient également renforcer le régime juridique de ces échanges sur deux points.

D’abord, on vient de voir le fait que les échanges de collatéral peuvent prendre « la forme

d’une garantie financière prévue à l’article L.211-38 »603du Code monétaire et financier. Or, ce renvoi emporte également le bénéfice du régime juridique qui y est attaché. Ainsi, le collatéral – qu’il ait été transféré en pleine propriété ou avec constitution de sûreté – pourra être réalisé « même lorsque l’une des parties fait l’objet d’une des procédures prévues par le

600 Article L. 440-7, alinéa 1 du Code monétaire et financier : « Les dépôts effectués par les donneurs d'ordre

auprès des prestataires de services d'investissement, des adhérents d'une chambre de compensation ou effectués par ces adhérents auprès d'une telle chambre en couverture ou garantie des positions prises sur des instruments financiers prennent la forme d'une garantie financière prévue à l'article L. 211-38 ou de toute autre forme prévue par les règles de fonctionnement ».

601 Article L. 211-38, I du Code monétaire et financier.

602 H. Boucheta, « Les impacts de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires sur les chambres

de compensation », Bulletin Joly Bourse n°11, 2 novembre 2013, p. 542.

603 Article L. 440-7, alinéa 1 du Code monétaire et financier : « Les dépôts effectués par les donneurs d'ordre

auprès des prestataires de services d'investissement, des adhérents d'une chambre de compensation ou effectués par ces adhérents auprès d'une telle chambre en couverture ou garantie des positions prises sur des instruments financiers prennent la forme d'une garantie financière prévue à l'article L. 211-38 ou de toute autre forme prévue par les règles de fonctionnement ».

livre VI du code de commerce, ou d’une procédure judiciaire ou amiable équivalente sur le fondement d’un droit étranger »604.

Ensuite, la loi française prévoit une protection supplémentaire à l’égard des droits des tiers sur le collatéral échangé. Une distinction est néanmoins opérée selon que les échanges de collatéral prennent ou non la forme des garanties financières (prévue à l’art. L211-38 du CMF). Si tel n’est pas le cas, et que les échanges prennent une forme prévue spécialement par les règles de fonctionnement de la contrepartie centrale, alors « aucun créancier d'un

adhérent d'une chambre de compensation, d’un prestataire (…) ou selon le cas, de la

chambre elle-même, ne peut se prévaloir d'un droit quelconque sur ces dépôts même sur le fondement du livre VI du code de commerce »605. En revanche, dans le cas où les échanges de collatéral prennent la forme des garanties financières, le législateur étend le périmètre de la limitation des droits des tiers sur le collatéral en plus aux créanciers d’un donneur d’ordre ainsi qu’aux mandataires de justice606.

276. – En somme, les caractéristiques attachées à la technique du collatéral expliquent que la

réglementation en impose le recours en matière de compensation centrale. L’échange de marges (IM et VM) permet en effet aux différents acteurs de limiter les diverses expositions au risque de contrepartie mutualisé au sein du système de compensation centrale. La liberté offerte quant à la forme et aux modalités de ces échanges assure l’adaptabilité de cette technique aux spécificités de la compensation centrale. Enfin et surtout, l’utilisation de tels mécanismes de couverture participe à favoriser la solidité financière du système de compensation centrale, notamment en limitant les expositions qui résulteraient de la survenance de potentiels cas de défaillances.

La volonté de renforcer la stabilité financière du système de compensation centrale explique aussi l’autre technique de limitation du risque de contrepartie que constitue la ségrégation.

604 Article L. 211-38, I du Code monétaire et financier. 605 Article L. 440-7, alinéa 2 du Code monétaire et financier.

606 Article L. 440-8 du Code monétaire et financier : « Aucun créancier d’un donneur d’ordre, d’un prestataire

de services d’investissement (…), d’un adhérent d’une chambre de compensation ou, selon le cas, de la chambre

elle-même ni aucun mandataire de justice désigné dans le cadre du livre VI du code de commerce ne peut se prévaloir d’un droit quelconque sur les dépôts (…) même sur le fondement du livre VI du code de commerce.

Les interdictions mentionnées (…) sont également applicables aux procédures judiciaires ou amiables ouvertes