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Des techniques imposées aux parties

Section 1 – L’organisation de la compensation centrale

B. Intervention des adhérents compensateurs

252. – Conditions d’adhésion – La compensation centrale nécessite l’intervention

d’adhérents compensateurs. Il s’agit d’entreprises « admise[s] par la chambre de

compensation et autorisée[s] à soumettre des transactions pour enregistrement »566. Chaque adhérent compensateur est effectivement chargé d’enregistrer auprès d’une chambre d’enregistrement l’opération soumise à la compensation. Le règlement EMIR précise

contrepartie, la technique de la compensation centrale présente également l’avantage de simplifier les flux entre les parties en liquidant l’ensemble des opérations et en dégageant le règlement d’un solde net unique ; mais aussi que cette technique participe à la transparence du marché en ce qu’une chambre de compensation – en sa qualité de contrepartie centrale – connaît l’ensemble des expositions des parties sur le marché. En ce sens : A. Gaudemet, « Les obligations de négociation et de compensation », RDBF n°1, Janvier 2013, dossier 2, §4. 564 Un auteur explique en ce sens que si une contrepartie centrale offre « une assurance contre le risque de

contrepartie [c’est parce qu’elle] transforme le contrat bilatéral entre l’acheteur et le vendeur (…) en deux

contrats avec la CCP. Si l’une des deux parties fait défaut, la CCP remplit ses obligations » (B. Biais, « La

compensation centralisée crée-t-elle plus de risques qu’elle n’en assure ? », Revue Banque n°781, février 2015, p. 40). Nous verrons un peu plus loin dans nos développements que cette présentation se nuance quelque peu selon le modèle d’adhésion applicable au sein de la contrepartie centrale.

565 En ce sens : « La mise en œuvre d’une obligation de compensation centrale permet ainsi aux parties aux

contrats dérivés OTC de neutraliser le risque de contrepartie qu'elles ont l'une envers l'autre » (H. Ekué et L. Vincent, « Utilité et périmètre des avis juridiques relatifs à la compensation centrale des contrats dérivés OTC :

les premières ISDA Client Clearing Opinions », Revue de Droit Bancaire et Financier n° 1, Janvier 2015, étude 1, §16).

566 Formule issue des Règles de la Compensation, LCH.Clearnet SA, Version française du 3 février 2017, Art.

également qu’un adhérent est une « entreprise qui participe à une contrepartie centrale et qui

est tenue d’honorer les obligations financières résultant de cette participation »567.

Comme « les relations entre une chambre de compensation et ses adhérents sont de nature

contractuelle »568, chaque contrepartie centrale définit au sein de ses rulebook ses propres conditions d’adhésion. Chaque adhérent compensateur devra donc respecter ces conditions pour pouvoir être accepté par la chambre de compensation. À ces conditions contractuelles – propres à chaque chambre – s’ajoute néanmoins une condition négative (c’est-à-dire une restriction) posée par la loi, quant à la qualité de ceux autorisés à devenir adhérents. Ainsi, seulement certaines personnes morales ont la possibilité de devenir membre compensateur569.

253. – Modèles d’adhésion – Au-delà des conditions d’adhésion imposées aux adhérents, il

existe deux modèles d’adhésion. Une contrepartie centrale peut ainsi appliquer l’“agency

model” ou le “principal-to-principal model”.

254. – Modèle "Agency" – Le modèle dit "agency", qui constitue le modèle principalement

utilisé aux Etats-Unis d’Amérique, repose sur l’existence d’un lien direct existe entre la chambre de compensation et la contrepartie finale. L’adhérent compensateur ne joue ici qu’un rôle d’intermédiaire transparent entre la chambre et les parties aux transactions. Il agit « au

nom et pour le compte de son client en concluant un contrat dérivé OTC avec la CCP »570

mais aucun dérivé n’est conclu entre son client et lui. L’adhérent compensateur va néanmoins

567 Règlement EMIR n° 648/2012, art. 2, 14), p. 15. 568 Art. L. 440-2 du Code Monétaire et Financier.

569 Art. L. 440-2 du Code Monétaire et Financier : « Seuls peuvent adhérer aux chambres de compensation : 1.

Les établissements de crédit et les entreprises d'investissement ayant leur siège social en France ainsi que les succursales établies sur le territoire français d'établissements de crédit ayant leur siège social ou, à défaut de siège social, leur direction effective dans un État qui n'est ni membre de l'Union européenne ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen ; 2. Les établissements de crédit et les entreprises d'investissement ayant leur siège social ou, à défaut de siège social, leur direction effective dans un État membre de l'Union européenne ou dans un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen autre que la France ; 3. Les personnes morales dont les membres ou associés sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes et engagements, à condition que ces membres ou associés soient des établissements ou entreprises mentionnés aux 1 et 2 ci-dessus ; 4. Les personnes morales ayant leur siège social en France métropolitaine ou dans les départements d'outre-mer ou du Département de Mayotte ou à Saint-Barthélemy ou à Saint-Martin et dont l'objet principal ou unique est la compensation d'instruments financiers ; 5. Dans des conditions fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers, les établissements de crédit, et les entreprises d'investissement, autres que ceux mentionnés aux 1 et 2, ainsi que les personnes morales ayant pour objet principal ou unique l'activité de compensation d'instruments financiers qui ne sont pas établis sur le territoire de la France métropolitaine ou des départements d'outre-mer ou du Département de Mayotte ou à Saint- Barthélemy ou à Saint-Martin ; 6. Les organisations ou organismes financiers internationaux, les autres organismes publics ainsi que les entreprises contrôlées opérant sous garantie d'un Etat, qui ne sont pas des personnes mentionnées aux 1 à 5, désignés sur une base individuelle ou par catégorie par un arrêté du ministre chargé de l'économie, ainsi que les banques centrales (…) ».

570 H. Ekué et L. Vincent, « Utilité et périmètre des avis juridiques relatifs à la compensation centrale des

« se porter garant auprès de la CCP de la bonne exécution par son client de ses obligations »571.

255. – Ce modèle d’adhésion emporte certaines conséquences quant à l’exposition au risque

de contrepartie. Le client de l’adhérent compensateur – étant censé être la contrepartie directe de la chambre de compensation – est exposé au risque de contrepartie attaché à la chambre. Le risque se concentre vis-à-vis de la chambre de compensation et n’implique pas l’adhérent compensateur (ce dernier ayant seulement agit au nom et pour le compte de celle-ci)572. On pourrait penser symétriquement, que les adhérents compensateurs sont soustraits au risque de contrepartie (tant à l’égard de la chambre de compensation qu’à celui de leurs clients) puisqu’ils n’ont pas de qualité de contrepartie directe. Cependant, étant garants vis-à-vis de la contrepartie centrale de la bonne exécution par ses clients de ses obligations, les membres compensateurs sont finalement exposés au risque de contrepartie de leur client573.

256. – Modèle "principal" – Le modèle dit "principal-to-principal" est diamétralement

opposé au modèle "agency " puisque l’adhérent compensateur est au contraire la contrepartie directe de son client ainsi que de la chambre de compensation. Dès lors, il n’existe aucun lien direct entre la contrepartie finale et la chambre de compensation. Prennent place ici deux relations contractuelles totalement indépendantes – mais nécessairement « symétriques »574 – avec d’un côté, la relation entre la chambre de compensation et l’adhérent compensateur et, de l’autre, celle entre l’adhérent et son client.

257. – Le modèle principal-to-principal emporte certaines conséquences quant à l’exposition

au risque de contrepartie.

571 H. Ekué et L. Vincent, « Utilité et périmètre des avis juridiques relatifs à la compensation centrale des

contrats dérivés OTC : les périmètres ISDA Client Clearing Opinions », RDBF n° 1, Janvier 2015, étude 1, §9. 572 En ce sens : « Dans un modèle "agency", le client devrait en principe uniquement être exposé au risque de

défaillance de la CCP qui sera sa contrepartie juridique directe aux contrats dérivés OTC compensés » (H. Ekué et L. Vincent, op. cit., §22).

573 En ce sens : « Si dans un modèle "agency" la situation de l’adhérent compensateur semble a priori plus

confortable, celui-ci ne faisant que représenter juridiquement son client dans ses rapports avec la CCP, l'adhérent compensateur n'en demeure pas moins garant vis-à-vis de la CCP de la bonne exécution par son client de ses obligations. L'adhérent compensateur restera, par conséquent, exposé au risque de défaillance de celui-ci. » (H. Ekué et L. Vincent, op. cit., §21).

Les adhérents compensateurs apparaissent ici "doublement" exposés au risque de contrepartie, tant vis-à-vis de la chambre de compensation que de leurs clients. Cela résulte en effet de leur qualité de contrepartie directe de part et d’autre du processus de compensation575.

L’interposition des adhérents au titre du modèle "principal-to-principal" conduit – de la même manière – leurs clients (contreparties finales) à être doublement exposés au risque de contrepartie : chaque client est exposé, d’une part au risque de voir sa contrepartie directe – l’adhérent compensateur – faire défaut et, d’autre part au risque de défaillance de la chambre de compensation dans l’exécution de ses obligations de compensation centrale576. Cette seconde exposition est certes médiate et non directe. Mais les deux relations juridiques opérées par le modèle "principal" demeurant symétriques (bien que distinctes), la réalisation du risque de contrepartie au titre de l’opération entre la chambre de compensation et l’adhérent compensateur aurait nécessairement un effet par "ricochet" sur celle entre l’adhérent et son client.

258. – Le modèle "principal" est aujourd’hui le modèle le plus largement retenu en Europe

pour la compensation des dérivés de gré à gré577.

259. – Qualification juridique de l’intervention des adhérents – Les modèles de

compensation centrale décrits, il convient désormais de s’interroger sur la qualification juridique que peut recouvrir l’intervention d’un adhérent compensateur au titre de chacun de ces modèles d’adhésion.

260. – Concernant d’abord le modèle "agency", la plupart des auteurs estiment que

l’intervention d’un adhérent compensateur s’analyserait « en droit français comme un contrat

575 En ce sens : « (…) dans un modèle "principal-to-principal", les adhérents compensateurs (…) seront ainsi

exposés, du moins en théorie, à un double risque de contrepartie, celui lié au risque de défaillance de la CCP dans l’exécution de ses obligations de compensation centrale, et celui que le client ne soit plus en mesure d’exécuter ses obligations au titre des contrats dérivés OTC compensés, ou de satisfaire les appels de marge qui lui sont adressés » (H. Ekué et L. Vincent, « Utilité et périmètre des avis juridiques relatifs à la compensation

centrale des contrats dérivés OTC : les périmètres ISDA Client Clearing Opinions », RDBF n° 1, Janvier 2015, étude 1, §20).

576 En ce sens : « Dans un modèle "principal-to-principal", nous avons vu qu'un adhérent compensateur viendra

s'interposer juridiquement entre le client et la CCP. Le client sera par conséquent exposé à un double risque de contrepartie, celui lié au risque de défaillance de la CCP dans l’exécution de ses obligations de compensation centrale, mais également celui lié au risque de défaillance de son adhérent compensateur » (H. Ekué et L. Vincent, op. cit., §22).

577 En ce sens : « Le modèle "principal-to-principal" est aujourd’hui le modèle le plus largement retenu pour la

de mandat, au sens de l’article 1984 du Code civil »578. Il est certain que l’engagement de l’adhérent compensateur au nom et pour le compte de son client rappelle la figure juridique du mandat en droit français579.

261. – Concernant ensuite le modèle "principal", on distingue deux approches doctrinales

quant à la nature juridique de l’intervention du membre compensateur.

Pour certains, l’adhérent intervient ici en « qualité de commissionnaire (…) car l’adhérent

commissionnaire est tenu d’une dette qui lui est propre » 580. L’engagement personnel de l’adhérent est d’ailleurs expressément reconnu par notre législateur national qui précise que

« dans tous les cas, les membres adhérents d’une chambre de compensation s’engagent à remplir, vis-à-vis de la chambre de compensation, l’intégralité des obligations découlant des transactions inscrites au nom des tiers dans leurs comptes »581. Au-delà de cet engagement personnel, la qualité de commissionnaire implique que l’adhérent compensateur agit – certes – en son nom propre mais néanmoins pour le compte de son client. Or, ce dernier élément est justement celui sur lequel repose une proposition alternative de qualification.

On a vu dans le modèle "principal" que le membre compensateur est la contrepartie directe de la chambre de compensation, cette dernière n’ayant aucun lien avec le client de l’adhérent. Par conséquent, des auteurs estiment que dans ce modèle « l’adhérent compensateur

s’interpose juridiquement entre la CCP et le client »582. La notion – là encore autonome – d’interposition juridique sert donc à expliquer la nature de l’intervention du membre compensateur (à l’instar de ce que l’on a vu précédemment pour l’intervention de la contrepartie centrale). La conséquence de cette approche est que le modèle "principal" ne pourrait donc pas s’analyser comme reposant sur un contrat de commission où l’adhérent

578 H. Ekué et L. Vincent, « Utilité et périmètre des avis juridiques relatifs à la compensation centrale des

contrats dérivés OTC : les périmètres ISDA Client Clearing Opinions », RDBF n° 1, Janvier 2015, étude 1, §10. En ce sens également : « D'autres États (…) connaissent (…) le modèle dit "agency" par lequel l'intermédiaire,

adhérent à la chambre de compensation (…) s'engage généralement dans les termes d'une relation juridique

voisine du mandat de droit français » (S. Praicheux, « Le traitement juridique des garanties financières, entre

restrictions et innovations », Mélanges en l’honneur de Jean-Jacques Daigre, Joly éditions, Novembre 2017, §27, p. 631).

579 L’idée ayant conduit à retenir la qualification du mandat tient au fait qu’il s’agit de la forme la plus connue et développée de représentation parfaite. Or, l’intervention de l’adhérent compensateur sous modèle "agency" correspond à l’hypothèse d’une représentation parfaite telle que récemment consacrée par le Code civil à son article 1154. Concernant les auteurs entendant le mandat comme un contrat de représentation, voir : Ph. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, « Les contrats spéciaux », Defrénois, 3e éd. 2007, n° 530, p. 275 ; P.-H. Antonmattéi et J. Raynard, « Droit civil. Contrats spéciaux », Litec, 5e éd. 2007, n° 454, p. 341 ; A. Bénabent,

« Les contrats spéciaux civils et commerciaux », Domat-Montchrestien, 7e éd. 2006, n° 620, p. 421 ; Fr. Collart- Dutilleul et Ph. Delebecque, « Contrats civils et commerciaux », Dalloz, coll. Précis, 7e éd. 2007, n° 630, p. 525 ; J. Huet, « Les principaux contrats spéciaux », LGDJ, 2e éd. 2001, n° 31100, p. 1065 ;).

580 S. Praicheux, op. cit., §27, p. 631.

581 Art. L.440-6 du Code monétaire et financier. 582 H. Ekué et L. Vincent, op. cit., §12.

agirait pour le compte de son client. En effet, par cette interposition juridique, l’adhérent compensateur devient une contrepartie à part entière, agissant en son nom propre mais également – et surtout – pour son propre compte583. Les partisans de cette approche distinguent par conséquent non pas deux mais trois modèles d’adhésion. Aux côtés des traditionnels modèles "agency" (analysé comme mandat) et "principal" (analysé comme interposition juridique), on trouverait un modèle dit de "commission" utilisé en France notamment pour la compensation des contrats dérivés règlementés584.

262. – Quel que soit le schéma retenu, l’architecture du système de compensation centrale

limite le risque de contrepartie. En effet, l’interposition de la contrepartie centrale permet d’abord de fractionner le risque de contrepartie initial au titre de l’opération bilatérale et de le transférer au sein du processus de compensation centrale. Au cours de ce processus, c’est l’intervention des adhérents compensateurs – selon le modèle d’adhésion en présence – qui va par la suite assurer la répartition, la mutualisation du risque de contrepartie entre les différents acteurs de la compensation (clients, adhérents et chambre).

263. – L’efficacité de la compensation centrale quant à l’atténuation du risque de contrepartie

ne se limite pas à une mutualisation de ce risque entre les acteurs de la compensation. Une fois ce risque mutualisé, chaque acteur reste – malgré tout – plus ou moins exposé au risque de contrepartie propre à sa situation au sein du système de compensation centrale. Pour cette raison, l’utilisation de divers outils "internes" (c’est-à-dire propre au fonctionnement de la compensation centrale) vient ensuite prendre le "relais" en assurant une meilleure gestion de l’exposition au risque de contrepartie mutualisé.

583 Toujours selon cette conception, l’adhérent conclut certes des contrats distincts pour son propre compte mais ceux-ci restent « symétriques ». Voir en ce sens : H. Ekué et L. Vincent, « Utilité et périmètre des avis juridiques

relatifs à la compensation centrale des contrats dérivés OTC : les périmètres ISDA Client Clearing Opinions », RDBF n° 1, Janvier 2015, étude 1, §12.

584 En ce sens : « (…) le modèle "agency" (…) s’analysera en droit français comme un contrat de mandat (…).

Il convient par ailleurs de distinguer le modèle "agency" du modèle de "commission". Dans un modèle de compensation dit de "commission", l'Adhérent Compensateur agit bien auprès de la CCP en son nom propre, mais pour le compte du Client qu'il représente. Ce dernier modèle repose sur un rapport de commettant à commissionnaire, au sens de l'article L.132-1 du Code de commerce, entre le Client et l'Adhérent Compensateur. Il s'agit du modèle utilisé en France pour la compensation des contrats dérivés réglementés. (…)

Dans le modèle "principal-to-principal", l’adhérent compensateur s’interpose juridiquement entre la CCP et le client. (…) il (…) suppose l’interposition juridique (…) » (H. Ekué et L. Vincent, op. cit., §9 et s.).

§2. Les renforts à la compensation centrale par des techniques de gestion des risques 264. – La mise en œuvre de la compensation centrale implique le respect de certaines

règles de fonctionnement. Au titre de ces règles, on y trouve l’utilisation – aux différents niveaux du processus de compensation – d’outils internes dont l’objet est d’assurer une meilleure gestion des risques en présence. Parmi eux, certains viennent tout particulièrement renforcer l’efficacité de la compensation centrale sur l’atténuation du risque de contrepartie, à l’instar notamment du recours au collatéral (A) et à la ségrégation (B).