• Aucun résultat trouvé

reconstruit : thèmes principaux, ornements et récits périphériques

Dans le document Les Trois Bergers (Page 133-139)

Les peintures de la station d’Iheren font partie de cet ensemble d’œuvres relevées par Henri Lhote et son équipe. Ces relevés, malgré leur immense valeur documentaire et la très grande qualité du travail réalisé, ont été très nettement sous-exploités. Très souvent reproduits en fragments dispersés41, ils ont été utilisés pour les détails pittoresques et situations anecdotiques des figures qu’ils montrent.

Augustin Holl a cependant su se détacher de ce type d’exploi- tation42 pour procéder à une étude globale et à une interpréta- tion dépassant la simple lecture d’un campement en cours de formation. Il considère l’œuvre principalement pour ses belles qualités documentaires comme s’il s’agissait, ce qu’elle est aussi toutefois, d’une sorte de reportage en images sur un groupe de pasteurs préhistoriques saisis dans leur vie quotidienne. Le travail de « documentariste » de l’artiste est évident, et c’est principalement cela que ce dernier auteur valorise ; cet aspect documentaire est d’ailleurs inestimable, car nous voyons les individus d’un groupe social en action dans l’un de leur cadre de vie, au travers de leurs comportements, de leurs attitudes, de leurs pratiques, de leur équipement (fig. 80)…

Quelle que soit l’importance de toutes ces notations, il paraît impossible de concevoir que l’immense fresque limite sa portée à la seule dimension d’une simple chronique illustrée, alors que la réalité d’un campement était disponible en permanence, ou presque, et que sa représentation, à cette échelle monumen- tale et avec le luxe de détails dont elle porte témoignage, ne

41. Lhote, 1976, p. 74, 76, 313, 358-359, 365, 418-419, 424-425, 428-429 et 430-431 ; Lhote, 1978, p. 358-359 ; Muzzolini, 1995a, p. 23, 24, 51, 66, 112, 132, 156-157, 158 et 232 ; Hachid, 1998, p. 245-250 et 253 ; Holl et Duep- pen, 1999 ; Hachid, 2000, p. 43, 44-45, 49, 50, 54-55, 59, 60, 66 et 67. 42. Holl, 2004, p. 16, compositions 1 à 6, p. 34 modifiée, 48, 70, 100 et 112

modifiée.

se conçoit guère sans une motivation beaucoup plus forte que celle que peut générer, par exemple, la nostalgie du retour au camp ou bien l’ennui lors d’un séjour solitaire.

Même si cela était, et cela peut se concevoir chez un artiste complètement investi par son sujet et mené par sa « passion » créatrice, l’organisation du panneau, cohérent et homogène, montre par sa construction et le séquençage de ses narrations que son élaboration a répondu à d’autres exigences.

L’inscription de la composition d’Iheren dans le registre de l’évocation mythologique paraît possible désormais pour peu que l’on tienne compte de l’enseignement de Timidouine 12. Ce regard nouveau ne peut pas être totalement satisfaisant tant que l’étude du grand panneau d’Iheren ne fera pas suite à une visite des lieux et à une reprise de l’observation métho- dique de la paroi ornée. Les détracteurs du principe du relevé systématique ont à ce sujet raison lorsqu’ils refusent d’étudier les œuvres au travers de la perception élaborée par les autres observateurs, car subjective. Le relevé, surtout lorsqu’il a été réalisé par un tiers, est bien le pire des moyens, à l’exception de tous les autres, pour analyser méthodiquement une paroi ornée et pour en restituer les particularités. Malgré ses dé- fauts, il est bien sûr totalement indispensable. Dans l’attente d’une nouvelle série d’observations directes, le relevé de Pierre Colombel constitue ici le document de référence; c’est le seul, avec la lecture qu’en a faite Augustin Holl, qui soit disponible. Inévitablement, mes insuffisances s’ajouteront aux lacunes, imprécisions et erreurs de ces relevés, pour autant qu’il y en ait. De 14 m de développement longitudinal, ce panneau renfer- merait 514 unités graphiques, dont 120 humains (hommes, femmes et enfants bien caractérisés), 325 animaux dont des bovinés, des ovicapridés, quelques chiens ainsi que des repré- sentants de la grande faune sauvage (éléphant, girafes, gazelles, antilopes, autruches) ; il est possible de décompter également des récipients (céramiques ou calebasses), des tentes… Un in- ventaire détaillé des éléments documentaires pourrait inclure, pour les animaux domestiques, les particularités des cornages et

135 des pelages des bovinés ainsi que des décors vraisemblablement

peints, et pour les animaux sauvages les notations éthologiques, particulièrement nettes chez les girafes ; s’y ajouteraient le vête- ment et ses accessoires pour les humains, déjà décrits.

La réflexion est comme saisie à l’examen de ce très vaste et très complexe ensemble. En tirant argument de principes métho- dologiques suggérés par la conviction d’être confronté à une représentation mythologique donc structurée par un récit sous- jacent, selon des principes d’organisation assez proches de ceux de Timidouine 12, représentation pourtant plus ancienne, il est possible d’affirmer que les compositions de ces deux sites ont un centre d’attraction, ou zone essentielle (ou « topique » pour Hélène et André Wlodarczyk43), déterminé par une mise en image appropriée susceptible d’être révélée par l’analyse (fig. 81 et cf. fig. 104).

Aux yeux de l’observateur et en première approche, les prin- cipes de l’organisation générale de l’œuvre sont indépendants des thèmes iconographiques. Les premiers sont en effet per- ceptibles au travers de l’orientation des éléments animés (hu- mains et animaux), qu’ils soient statiques ou en mouvement, tandis que la connaissance des seconds relève de leur position topographique au sein de la composition et des principes de segmentation qu’elle induit. Les deux aspects peuvent être ap- préhendés simultanément.

La disposition générale de la très grande majorité des figures, y compris le groupe d’animaux sauvages placé à l’extrême gauche et orienté vers la gauche, contrairement à ce qui est ob- servable dans la Téfedest et dans maints autres sites du Sahara central, crée un mouvement général dans ce sens. En partant de son origine (à l’extrême droite), la convergence engendrée par le double courant, qui pourrait correspondre à la diffé- rence d’origine géographique des participants, est placée au point de rencontre, d’une part, des deux groupes en marche et, d’autre part, d’un campement : les personnages assis, hommes,

43. Wlodarczyk H. et A., 2006.

femmes, enfants, font face à des personnages debout les sa- luant, tandis que d’autres, arrivés depuis un certain temps et déjà installés, boivent à l’aide d’un chalumeau. La scène est classique et a fait l’objet de nombreuses représentations. Ce principe de décomposition du temps, étalé depuis ce centre d’action jusqu’aux derniers arrivants encore à l’extérieur du campement, le tout rassemblé dans une scène unique quoique parfaitement réaliste au sein d’un vaste « plan panoramique », a l’avantage de détailler les diverses phases de l’arrivée : ren- contre, salutations, offrande de boisson44, parcage des animaux, marche finale d’autres personnages en déplacement, soit, pour les hommes, à pied accompagnés de leurs animaux, soit, pour les femmes, montées sur des bœufs porteurs. Le tout s’organise en deux files convergentes bien constituées, superposées sur la paroi mais juxtaposées dans l’espace réel. Quelques détails anecdotiques ou pittoresques renforcent l’impression toujours actuelle d’assister réellement à l’irruption tumultueuse d’une cohue animale et humaine, pour quelques instants encore sur la lancée d’un long parcours. De longs développements seraient nécessaires pour en rendre compte, ce que fait d’ailleurs par- faitement l’étude d’Augustin Holl à laquelle il convient de se reporter.

La présence d’autres groupements, secondaires par rapport à l’action principale, paraît toutefois plus surprenante dans la mesure où ces derniers introduisent une réelle discontinuité dans le mouvement général. Ils sont parfois en position péri- phérique, et généralement, sans lien évident avec le cœur de la représentation.

44. Rien ne prouve qu’il s’agisse d’une boisson fermentée, mais elle a manifes- tement été préparée à l’avance et stockée dans une grande jarre décorée.

136

Figure 82 – Iheren (Tassili-n-Ajjer, Algérie). Détail : lion dévorant une antilope, surpris par un groupe de chasseurs (relevé d’après H. Lhote).

Figure 83 – Iheren (Tassili-n-Ajjer, Algérie). Détail : personnages dans un arbre (relevé d’après H. Lhote).

À titre d’exemple, on peut considérer l’épisode du lion dévorant une antilope, surpris par un groupe de chasseurs (fig. 82) ; des personnages perchés sur un arbre ou autour de celui-ci, peut- être occupés à quelque récolte (de miel ou de fruits) (fig. 83) ; trois bergers rencontrant un quatrième personnage (fig. 84) ; des bœufs groupés alignés sur la berge d’un point d’eau (fig. 85).

Figure 85 – Iheren (Tassili-n-Ajjer, Algérie). Détail : bœufs autour d’un point d’eau (relevé d’après H. Lhote).

Figure 84 – Iheren (Tassili-n-Ajjer, Algérie). Détail : personnages se rencontrant (relevé d’après H. Lhote).

137 Le regroupement d’animaux sauvages, à l’extrême droite de la

composition, est encore plus étonnant dans le contexte d’une représentation réaliste en raison de la densité élevée d’espèces figurées dans un espace restreint. Il s’agit bien d’une évocation de la grande faune, mais celle-ci est exclusivement limitée aux herbivores. Chaque sous-groupe d’animaux est représenté dans son comportement caractéristique. Le groupe des girafes, des plus célèbres et des plus reproduits, qui montre des mâles au cou très mobile et dans des positions très diverses, constitue une réelle approche éthologique de ces animaux. Le fait que quelques bœufs domestiques placés au premier plan se mêlent aux animaux sauvages n’est pas surprenant en soi ; ce qui l’est davantage est la représentation même de tout cet ensemble, comme si l’on avait voulu souligner le fait pour ce qu’il montre : la coexistence de ce qui est « de la maison » et ce qui est exté- rieur à celle-ci, et donc étranger (fig. 86).

Tikadiouine (Tassili-n-Ajjer, Algérie)

Dans le document Les Trois Bergers (Page 133-139)