Les travaux de relevé et d’étude effectués sur les sites peints de la région de M’Sied (province de Tan-Tan, Maroc) ont permis de reconnaître plusieurs dizaines d’abris peints dont l’abri 7 des sources (aouinet) de l’oued Azguer (fig. 135). Le site abrite la repré- sentation de deux suites de personnages se rencontrant. La plus longue file, qui vient en serpentant de la droite, aligne 14 person- nages d’une dizaine de centimètres de haut, marchant, levant les bras et brandissant des objets non identifiables. Ils sont accom- pagnés de deux brebis et d’un bovin, animaux qui rattacheraient la composition au thème du troupeau, ici réduit à une expression symbolique. La file progressant vers la droite est composée de sept personnages, en ordre moins régulier quoique groupés, saisis dans des attitudes assez semblables aux précédents. Leurs gestes ne semblent pas dénoter une quelconque agressivité, même si l’exhibition d’objets allongés à extrémité renflée pourrait, pour
certains, le donner à penser ; ils peuvent tout autant exprimer la joie des retrouvailles. On ne comprendrait d’ailleurs pas que seuls quelques personnages soient armés et animés d’intentions belliqueuses. La représentation retient donc comme objet essentiel les retrouvailles – pacifiques et heureuses selon les apparences les plus probables – de deux groupes. La scène précède la rencontre qui va suivre en exposant un thème des plus courants dans l’art saharien. Le thème du troupeau en marche a néanmoins disparu et, désormais, les animaux ne sont plus individualisables.
Sidamo (Éthiopie)
Même si les sculptures en bas relief de Sidamo, en Éthiopie, ne re- prennent pas, loin de là, les principes sahariens de représentation d’un troupeau dans toutes ses composantes, elles ne constituent pas moins l’évocation d’un groupe de vaches, ordonnées selon les registres subhorizontaux du banc rocheux et évoluant dans une même direction (fig. 136). Les figurations éthiopiennes, dont celles de Sidamo ne sont qu’un exemple stylistique, étendent jusqu’à cette zone de l’Est africain la représentation d’un ensemble cohé- rent de bovins, qui en définitive, avec certainement des contenus divers et des significations différentes, établit un même modèle structurel de l’océan Atlantique à l’océan Indien. La composition réduite à un seul thème, mais dans un registre opposé à celui de l’exemple antérieur (Aouinet Azguer 7), montre que, pour autant qu’il y ait eu un enracinement commun dans le fonds mytholo- gique du Nord de l’Afrique, les choix successifs des groupes ont engendré, malgré les apparences, d’énergiques processus de diffé- renciation en fonction des spécificités régionales, des conditions de vie et des préoccupations qu’elles ne manquaient pas de susciter.
Figure136– Sidamo (Éthiopie). Troupeau de vaches en bas relief (d’après R. Joussaume, 2007).
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Corral et campement
L’espace de stabulation libre à l’intérieur duquel le troupeau est rassemblé à proximité du campement n’est jamais repré- senté explicitement, peut-être parce qu’il n’est délimité que par quelques éléments végétaux de peu de consistance, comme des buissons épineux par exemple, ou parce que l’espace qui leur était consacré près du campement était délimité par des élé- ments naturels, ainsi que plusieurs représentations le suggèrent au travers de particularités ou d’accidents de la paroi.
Très riches en renseignements ethnographiques, les représen- tations de campements reproduisent de manière constante des figures de bovins de sens opposés, divaguant vers la droite ou la gauche.
Séfar (Tassili-n-Ajjer, Algérie)
Le panneau peint de Séfar (cf. fig. 100) permet d’observer un trou- peau en marche, qui entre dans la composition depuis la partie su- périeure gauche, et un ensemble d’animaux en stabulation libre au sein d’un campement, ou dans sa proximité immédiate. Ces deux types de représentation du troupeau apparaissent en effet dans cet ensemble peint sous la forme de trois habitations vues en plan, en haut et en bas de la composition ainsi que dans sa bordure droite40.
Le troupeau arrivant est formé de bovins disposés en plusieurs files, selon ce qu’il est aisé d’observer dans la réalité. Les bœufs sont tous figurés marchant dans la même direction, selon toute logique, et accompagnés d’un berger. Les animaux déjà en place sont, quant à eux, soigneusement représentés selon des orien- tations différentes et entremêlées, tout aussi logiquement, afin de notifier des bœufs statiques ou déambulant placidement dans l’espace du campement et de ses environs immédiats. Peu de dif- férences sont observables dans le détail de chaque type d’ani- mal. Dans le grand abri de Tin Amaren, dans l’Immidir, le panneau des bovins qui montre un animal couché en train de ruminer est un cas démonstratif mais exceptionnel d’animaux
40. Hugot et Bruggmann, 1999, p. 431, fig. 503.
au campement41. À Séfar, seuls les trois ou quatre veaux attachés
à leur corde indiquent clairement leur stabulation. Malgré un dessin assez sommaire, les robes des bovins ont fait l’objet d’un soin particulier, avec la notation de leurs spécificités.
Les habitations, tentes de peaux cousues ou huttes confectionnées à l’aide de nattes légères assujetties à de fins arceaux de bois, comme à Iheren, ne sont représentées que sous l’aspect schéma- tique de cercles bruns incluant divers objets difficiles à identifier, mais constituant vraisemblablement un petit mobilier domestique. Les humains, peu nombreux – trois ou quatre au maximum –, sont représentés assis ou debout dans la proximité immédiate de ces structures.
Takededoumatine (Tassili-n-Ajjer, Algérie)
Le relevé du campement de Takededoumatine figure les bovins à proximité immédiate d’habitations, représentées en plan schéma- tique par une couronne devant lesquelles vaquent des personnages, adultes ou enfants, debout ou assis, arrêtés ou en marche, isolés ou dialoguant (fig. 137). Hormis le bétail rassemblé qui nous préoccupe
41. Bernezat, 2004, p. 148 et 149.
Figure137– Takededoumatine (Tassili-n-Ajjer, Algérie). Campement (relevé : mission H. Lhote).
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ici, l’image qui donne le nombre de veaux à la corde indique l’im- portance du rassemblement en cours. Il pourrait prendre au final les dimensions d’une véritable «foire» aux bestiaux.
Des remarques semblables pourraient être formulées pour de nombreux autres sites, comme à Ouan Bender, à Tissoukaï42,
à Séfar où l’habitat s’est également réfugié près de la paroi43,
et dans bien d’autres lieux dont l’évocation spécifique n’aurait d’autre but, au-delà des détails, que de montrer la constance de cette représentation, banale dans ce qu’elle a de quotidien mais suggestive dans sa dimension symbolique.