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Gardiennes de bœufs

Dans le document Les Trois Bergers (Page 172-175)

Le panneau de Ouan Bouya 2, abri situé sur le plateau de Timalaïne, au cœur de la chaîne de la Téfedest23, est intéressant

en ce qu’il illustre le thème du troupeau de bœufs en marche accompagné d’un petit groupe de personnages (fig. 120). Quoique exposé aux intempéries qui en ont altéré la partie inférieure, le panneau présente huit personnages de genre indéterminé, quoi qu’en dise sa dénomination, à corps rouge foncé cernés de blanc. Les modalités d’exécution inscrivent certaines de leurs particulari- tés graphiques dans la tradition picturale des «Têtes Rondes», au moins telle qu’elle est attestée dans le bassin du Haut-Mertoutek. L’association de ces figures avec des animaux domestiques montre l’absence de rupture avec cette tradition. L’élevage est mani- feste et il y a lieu d’imaginer, en raison des caractères picturaux

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archaïsants des personnages, que cette représentation se situe dans une certaine ancienneté bovidienne.

Dans le détail, les figures montrent l’association d’un person- nage certainement féminin, à jupe bouffante et tête triangulaire, placé à l’extrême gauche du panneau, et de deux enfants, qui le précèdent, ainsi que des individus apparemment masculins, à grosse tête (ou à coiffure volumineuse) et corps sinueux cernés de blanc, comme l’on en observe dans tout le bassin de Mertoutek, en particulier à Timidouine. Une autre femme, ou du moins un personnage vêtu de la même manière, apparaît en bas à gauche. Plusieurs bœufs à attribut céphalique sont visibles sur le panneau. Les bovins sont peu nombreux mais assurés malgré leur conserva- tion assez médiocre. L’ensemble des figures est uni par un même mouvement ascendant, de la gauche vers la droite.

Jabbaren (Tassili-n-Ajjer, Algérie)

À Jabbaren, le panneau présentant un troupeau de bœufs se déplaçant est certainement l’une des plus célèbres compositions de l’art saharien (fig. 121). Il montre à la perfection le nouvel usage de l’espace au Bovidien, avec l’intégration de l’illusion de la profondeur de champ et la mise en perspective, certes encore imparfaite, des diverses unités graphiques. Leur échelonnement en hauteur selon l’ordonnancement de plans parallèles rend de manière convaincante l’impression d’un espace à trois dimensions, en opposition flagrante à l’art des « Têtes Rondes ». Nous assis- tons avec ce changement de mode de représentation à une sorte de « révolution symbolique » telle que l’a décrite Pierre Bourdieu pour qualifier le puissant mouvement de renouveau, à la fois cause et conséquence, instauré au XIXe siècle par la peinture d’Édouard

Manet24. Ce nouveau regard a été, mais c’est pour nous une évi-

dence, indissociable des conditions d’émergence des champs de la production culturelle. Les transformations enregistrées par l’art de la fin du Moyen Âge nous l’avaient déjà appris.

Ici, l’illustration du thème du troupeau est parfaite. Composé d’une vingtaine de bovins de diverses couleurs, il avance vers la droite sous le contrôle d’un berger placé à l’arrière. L’arrivée des bœufs à proximité d’un autre élément, secondaire mais

24. Bourdieu, 2013. Figure 120 – Ouan Bouya 2 (Hoggar, Algérie). Les Petites Gardiennes

de bœufs (relevé : M. Barbaza, mission CNRPAH-TRACES).

Figure121– Jabbaren (Tassili-n-Ajjer, Algérie). Troupeau de bovins en marche et scène de « boucherie » à droite (d’après H. Lhote, 1958).

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indissociable du précédent, introduit dans la scène un facteur de variabilité au sein du thème général avec la représentation de deux individus en train de dépecer et de partager un bovin, souvent considérée de ce fait comme une scène de boucherie.

Jabbaren (Tassili-n-Ajjer, Algérie)

Le panneau d’un petit abri-sous-roche de Jabbaren présente une suite de figures monochromes brun-rouge marchant vers la gauche (fig. 122). Elle est composée de cinq bovins, dont deux à peine esquissés, et de sept humains, sans qu’il soit aisé de distin- guer les hommes des femmes, uniformément vêtus d’une longue jupe25.

En arrière du grand bœuf à robe panachée apparaît sous forme d’esquisse une étonnante figure anthropomorphique dont la sil- houette, seul élément d’appréciation, se différencie des autres humains. Enfin, un dernier personnage, un jeune humain selon sa taille, vêtu d’un court pagne, semble venir les bras levés à la rencontre du groupe.

25. Hugot et Bruggmann, 1999, p. 381.

L’homogénéité du panneau, conférée par le mouvement général des figures, ainsi que la netteté des panachures des trois bœufs principaux soulignent l’intérêt principal de l’événement évoqué. D’après l’œuvre elle-même, celui-ci tient sans nul doute, d’une part, à l’évocation de la rencontre qui se prépare, mais qui n’est encore qu’en devenir, et, d’autre part, à la représentation de ces trois bovins dans leurs particularités individuelles.

Jabbaren (Tassili-n-Ajjer, Algérie)

À Jabbaren, les peintures rupestres d’un autre abri (fig. 123) montrent l’ordonnancement général des troupeaux bovidiens en marche26.

Les animaux, une quinzaine de bovins au total, sont assez disper- sés autour d’un groupe central et accompagnés de personnages en marche. Des éléments insolites et peu fréquents montrent ce- pendant que la représentation ne s’inscrit pas exactement dans un même ordre de préoccupation que les précédentes, à moins

26. Hugot et Bruggmann, 1999, p. 354 et suivantes, fig. 403 et suivantes. Figure122– Jabbaren (Tassili-n-Ajjer, Algérie).

Troupeau et personnages se déplaçant.

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qu’elle n’illustre un épisode original, propre au groupe qui en a été le témoin. Le caractère prognathe des faces, parfois souligné par certains auteurs, accréditerait l’idée d’une population eth- niquement différente, avec des pratiques et des traditions spéci- fiques. Parmi les éléments énigmatiques apparaissent les étranges formes en arceau allongé, dissymétriques, fixées aux extrémités des cornes des deux bovins de la partie supérieure. Ces éléments doublent les cornes elles-mêmes avec une telle emphase que l’on comprend mal quel pourrait en être le mode de fixation, pour autant d’ailleurs que la représentation renvoie ici aussi à la réalité.

Dans le document Les Trois Bergers (Page 172-175)