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Découverte et premières analyses structurelles

Dans le document Les Trois Bergers (Page 139-142)

L’importance accordée par Augustin Holl au site orné de Tikadiouine impose de s’arrêter un temps sur la documen- tation iconographique et l’analyse de cet auteur45. Dans cette étude, il réitère en l’approfondissant la démarche proposée à Iheren. La paroi peinte a été découverte par Alfred Muzzolini et Aldo Boccazi46 à proximité de la piste reliant Djanet à Illizi. Elle appartient par son style à l’ensemble dit d’Iheren-Tahilahi, attribué à une phase du Bovidien récent. Quoique de bonne qualité de conservation, les peintures sont de lecture délicate en raison des irrégularités anguleuses de la paroi (fig. 87). Les inventeurs en ont réalisé un premier relevé, indiquant par là même l’intérêt qu’ils accordaient à cet exercice pour la prise

45. Holl, 2004, p. 80-109.

46. Muzzolini et Boccazi, 1991 ; Muzzolini, 1995a, p. 256, fig. 265. Figure87– Vue de l’abri de Tikadiouine (Tassili-n-Ajjer, Algérie) (cliché : L’Y. Ferhani).

Figure 86 – Iheren (Tassili-n-Ajjer, Algérie). Détail : animaux sauvages rejoints par des animaux domestiques (relevé d’après H. Lhote).

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en considération et l’analyse de cette vaste composition diffi- cile à appréhender dans sa globalité. Ce document, qui devait plus tard révéler ses lacunes, a été repris par Augustin Holl, soucieux, comme les inventeurs, de faire apparaître les articula- tions du dispositif pariétal. Il identifie plusieurs scènes, plus ou moins rapprochées les unes des autres, réparties en trois grands ensembles. La composition principale s’étend sur une surface totale de 5 m2; ses motifs sont dispersés en fonction d’une idée globale organisant la composition, mais également selon les opportunités de surfaces plus ou moins propices au dessin. La paroi ornée est découpée en sept « scènes » par Augustin Holl (fig. 89). En position centrale, la représentation de la découpe d’un ruminant (jeune bovin ou ovin) est considérée comme « one of the key episodes of the narrative of Tikadiouine47 »

47. La représentation est considérée comme « l’un des épisodes clé de la narra- tion de Tikadiouine ».

(scène III d’Augustin Holl, fig. 88). L’auteur relie cette composi- tion à l’accomplissement d’un rite initiatique de passage à l’âge adulte, reprenant à son compte l’information rapportée de chez les Nuer par Edward E. Evans-Pritchard selon laquelle « as a rule boys are initiated from about fourteen to sixteen […]48». Augustin Holl précise ensuite que « the number of portions of the butchered animal, amounting to three, is congruent with that of the social categories of participating actors – the adult/elder female representing the mother, both adult males representing the sacrificator and his assistant – and may thus have been distributed among the different partners49». C’est cette seule scène que reproduit la photographie donnée par Alfred Muzzolini, qui la considère lui aussi comme essentielle. Grâce à un chapitre inséré avec raison dans une étude an- thropologique des Sahariens holocènes (« Holocene Saharans50»), Augustin Holl nous fait franchir une deuxième étape décisive dans l’analyse de l’art bovidien. Après la lecture événementielle de la composition exceptionnelle d’Iheren, il réédite, selon les mêmes principes fondamentaux, l’analyse du panneau plus modeste de Tikadiouine, qui focaliserait l’attention sur l’acte majeur constitué par l’immolation et le partage de l’animal par lequel se serait accompli le «drame» permettant à la société de se recomposer. Il s’agit bien d’un rite comme le pense Augustin Holl, mais il ne paraît pas réellement fondé dans son essence sur le seul caractère initiatique, sinon en seconde intention. La célébration du sacrifice peut fort bien être l’occasion de procé- der à des rituels secondaires, comme les cérémonies initiatiques ainsi que l’envisage l’auteur.

Ayant ouvert cette voie de réflexion, Augustin Holl adopte la démarche d’un comparatisme ethnographique qui s’appuie sur les observations d’Edward E. Evans-Pritchard. Le contexte des

48. « En règle générale, les garçons reçoivent l’initiation entre quatorze et seize ans. »

49. « Le nombre de découpes en quartier, trois au total, correspond au nombre de catégories sociales bénéficiaires du partage – la mère représentant les femmes adultes ou âgées, le sacrificateur et son assistant représentant les classes d’âges des hommes –, chacune ayant ainsi reçu la part qui lui revenait au travers des divers partenaires. »

50. Holl, 2004. Figure88– Tikadiouine (Tassili-n-Ajjer, Algérie).

139 Nuer est cependant très typé ; il s’inscrit de plus dans son propre

cadre historique et environnemental. Plutôt qu’une transposi- tion pure et simple des particularités, il aurait été préférable de s’en tenir aux principes généraux. La valeur anthropologique de la notion de victime sacrificielle est suffisamment universelle pour pouvoir s’appliquer indépendamment des cadres spéci- fiques de chaque type de relation (littéraire ou graphique). A contrario, on ne compte aucune représentation incontestable d’un quelconque rituel initiatique, certainement d’ailleurs fort difficile à figurer et à reconnaître.

La tentative de reconstitution opérée par Augustin Holl est néanmoins parfaitement éclairante d’une démarche origi- nale, séduisante et novatrice 51. Elle a en effet l’immense mé- rite de mettre l’accent sur une réalité méconnue, consistant en

51. Holl, 1994.

l’intégration d’une sorte de dilatation du temps à l’intérieur d’une même représentation. Le découpage en sept scènes dif- férentes permet de reconnaître un séquençage sans réel équiva- lent dans l’art rupestre. Selon l’ordre des événements évoqués, un lien direct de simultanéité unirait les scènes V, VI, VII, I et II, alors qu’une disjonction chronologique apparaît entre les précédentes et la scène III, plus tardive selon l’ordre de dérou- lement des cérémonies, et une rupture à la fois chronologique et spatiale pour la scène IV, qui évoque les faits et gestes parti- culièrement remarquables de trois personnages importants du récit. Cette lecture accorde cependant aux lacunes une place inappropriée, dans la mesure où les solutions de continuité graphique ne sont pas toujours réelles.

Une révision récente de cette paroi est à l’origine d’un nou- veau relevé s’appuyant sur le traitement informatique des images. L’observation du détail de la représentation montre par exemple qu’il n’y a pas de discontinuité entre le groupe des trois personnages (scène IV d’Augustin Holl) et le troupeau en marche arrivant de la droite. Une ligne de dos parfaitement lisible existe en effet entre le premier bovin, désormais pris

Figure89– Tikadiouine (Tassili-n-Ajjer, Algérie). Découpage des sept scènes reconnues par Augustin Holl (d’après le relevé de A. Muzzolini et A. Boccazi).

Figure90– Tikadiouine (Tassili-n-Ajjer, Algérie). Décor rupestre. Les compléments apportés par le relevé de Fabio Maestrucci et Gianna Giannelli au relevé d’Augustin Holl sont indiqués en rouge.

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en compte, et le personnage debout. Cet animal, dont on a reconstitué l’existence, établit une continuité entre le troupeau et le groupe. Sa présence modifie sensiblement la lecture de l’ensemble de la composition.

Dû au remarquable travail de Fabio Maestrucci et Gianna Giannelli, ce nouveau relevé nous offre une vision du décor de la paroi dans la plénitude de son développement et nous montre ainsi une réalité beaucoup plus complexe (fig. 90).

Tikadiouine (Tassili-n-Ajjer, Algérie). Trois compositions

Dans le document Les Trois Bergers (Page 139-142)