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1.6 LA RECONSTITUTION MIXTE : LE PARTENARIAT ENTRE LE MATÉRIEL ET LE VIRTUEL

LA REVUE TYPOLOGIQUE DES DISPOSITIFS DE RECONSTITUTION SPATIALISÉE

1.6 LA RECONSTITUTION MIXTE : LE PARTENARIAT ENTRE LE MATÉRIEL ET LE VIRTUEL

Les dispositifs constituant une reconstitution mixte utilisent le virtuel pour suppléer au manque de matériel. La compréhension et la lisibilité de l’objet original peuvent s’altérer avec le temps, c’est pourquoi la superposition du matériel et du virtuel dans l’espace permet cette fois au visiteur de se définir dans une relation plus fusionnelle dans laquelle l’interdépendance existe.

1.6.1 – La matérialité optimisée par l’image animée

La matérialité optimisée comprend tous les dispositifs mettant en valeur le patrimoine tangible par une projection directe sur celui-ci ou par une projection incorporée à la mise en scène. Cette dernière catégorie comprend les hologrammes et les projections sur verre. Le but principal est la collaboration entre les deux composantes (matérielles et virtuelles), afin de redonner du sens à une matérialité déficiente. Ces dispositifs sont utilisés dans l’exposition même, sur le lieu original ou encore dans un spectacle d’introduction multimédia.

Le matériel et le virtuel sont planifiés conjointement dans l’espace physique du dispositif. Le visiteur se situe à l’extérieur, afin de pouvoir bien percevoir les éléments en même temps sous un angle défini. Par exemple, il peut s’agir d’un atelier dont la porte et la fenêtre sont des écrans. La projection montre alors des personnes travaillant dans une pièce adjacente à l’atelier. Il peut également s’agir d’un personnage qui semble affairé à une tâche particulière et qui est projeté sur une vitre verticale servant d’écran dissimulable dans

le décor reconstitué. Ou encore, plus simplement, il peut être question d’une projection de couleur dirigée directement sur le patrimoine, donnant l’allure originelle d’un passé révolu, comme la façade de la cathédrale d’Amiens, où les projections montrent les couleurs que l’architecte avait conçues au Moyen-Âge228.

Les objets muséaux composant le décor sont généralement authentiques, et le virtuel tente de les mettre en valeur. La projection remplace, en quelque sorte, les reproductions qui combleraient l’espace. Toutefois, celles-ci peuvent être présentes, selon le cas. La matérialité optimisée rejoint la philosophie de l’intervention minimaliste et elle donne des résultats probants. Présenté parfois en alternance (allumé-éteint), le dispositif permet alors au visiteur d’apprécier à la fois l’état actuel de l’objet et l’évocation de ce qu’il a déjà été. Le récit se déroule selon la mise en scène. La succession d’éléments mis en lumière par les projecteurs peut créer une linéarité si le système est automatisé, alors que la projection en alternance donne une liberté d’ordre, de choix, mais elle impose son rythme de visionnement. Si une borne interactive contrôle la projection, le visiteur a alors la liberté de choisir l’ordre de son récit. C’est la cohabitation du matériel et du virtuel qui permet ainsi d’obtenir des clés de lecture.

L’expérience de visite de ce dispositif permet au visiteur d’avoir une vision tangible du sujet exposé. Une représentation dévoile au visiteur le passage du temps, en lui montrant les splendeurs du passé que le temps a altérées. Toutefois, l’expérience de visite est dépendante de la fonctionnalité des appareils. En effet, par un partenariat d’interdépendance, si l’une des deux composantes disparaît, la magie de l’évocation s’efface instantanément.

1.6.2 – La réalité augmentée

Si, au point précédent, il s’agissait de l’enrichissement de la matérialité, ici, il est plutôt question d’augmentation de la réalité. L’auteur Alan B. Craig considère la réalité augmentée comme un médium pouvant avoir recours à plusieurs technologies pour parvenir

228 ANONYME, « Amiens : la Cathédrale », Nordmag, consulté le 24 août 2015,

à ses buts229. C’est un médium dans lequel cohabitent les données virtuelles et le monde physique. « [It] is a medium in which digital information is overlaid on the physical world that is in both spatial and temporal registration with the physical world and that is interactive in real time 230. »

Pour procéder, deux étapes s’engagent continuellement. Le programme informatique a d’abord besoin de détecter l’état de la situation au moyen de marqueurs dans le monde réel, auquel il jumelle la partie virtuelle qui lui est associée. Ensuite, il lui faut une interface pour superposer les données, de manière à provoquer chez l’utilisateur une vision unie, dans laquelle le virtuel fait partie intégrante du monde physique231. Le processus recommence constamment ainsi au moindre mouvement, produisant une réaction en temps réel sur l’interface.

Il y a plus précisément trois composantes nécessaires à l’exécution de ce processus : d’abord, le capteur, qui voit l’état des lieux. Il s’agit la plupart du temps d’une caméra. Puis, il y a le processeur, qui reconnaît ce que la caméra capte et qui traite les données recueillies. Il les associe à une image virtuelle de sa base de données. Le repérage en lui- même peut se réaliser par différents types de marqueurs. Il peut s’agir de codes QR (Quick Responses), qui fournissent une orientation à l’objet virtuel grâce aux trois carrés et qui apportent les données sur l’objet même. Les codes QR ont évolué, pour aboutir aujourd’hui à des marqueurs de calibrage (fiducial marker), qui sont plus personnalisés en termes d’apparence ; certains éléments de décor peuvent même devenir des repères. La position géo-référencée (GPS : Global Positionning System) peut également être utilisée. Le GPS de l’appareil employé permet de détecter le positionnement de l’objet virtuel dans l’espace. Lorsque le processeur a repéré et jumelé l’image virtuelle et l’objet, il les envoie à l’interface, qui crée une impression de cohabitation du virtuel et du physique lorsque le visiteur la regarde. Il existe aussi différentes interfaces : il peut s’agir de l’écran d’un téléphone mobile, d’une tablette numérique, de lunettes spécialisées ou encore d’un

229 CRAIG, Alan B. Understanding Augmented Reality, Concepts and Applications, Elsevier, Waltham (MA),

2013, p. 1.

230 Ibid., p. 36. 231 Ibid., p. 39.

moniteur d’ordinateur. Pour que l’illusion de cohabitation soit crédible, le virtuel utilise des stratégies de perspectives comme l’éclairage, l’ombre ou la vision stéréoscopique. De plus, le visiteur peut brancher d’autres dispositifs comme des gants numériques, une combinaison, une machine à odeurs, etc. Il peut être mobile et très actif, comme il peut demeurer stationnaire. Son déploiement dans l’espace varie donc énormément d’un cas à l’autre.

Dans une application muséale, l’artefact a un rôle important à jouer. Bien souvent, l’objet est le canevas de l’image virtuelle. Ainsi, nous pouvons procéder à la reconstitution d’un vase complet dont nous n’avons que le tesson, et la réalité augmentée peut redonner vie à des ruines en montrant les bâtiments complets lors de leurs beaux jours. Avec son animation et/ou son interaction, la réalité augmentée peut faire connaître un mouvement, un fonctionnement, etc. Elle constitue donc une valeur ajoutée que l’objet seul ne peut révéler.

Le discours, quant à lui, repose sur le dialogue entre le monde virtuel et l’univers physique. Il n’a aucun sens sans cela. Son but est d’expliquer différentes représentations de reconstitutions où la mise en contexte est de mise. L’état originel, le passage du temps, le fonctionnement, la contextualisation et même la confrontation de diverses hypothèses peuvent en constituer des finalités acceptables. La difficulté réside dans le fait de rendre plus réelle l’image virtuelle, afin de la rendre partie prenante de la réalité. Le manque de couleur, de texture ou d’éclairage peut en biaiser la lecture, et le simple récit reste lui-même éclaté devant la flexibilité et la mobilité que procure la réalité augmentée.

Pour Alan B. Craig, la réalité augmentée ne se regarde pas et ne s’écoute pas non plus ; elle s’expérimente232. C’est l’interactivité qui rend ce médium intéressant ; le visiteur doit

s’engager à devenir actif. Plus ses sens seront stimulés, plus l’expérience sera immersive. Dans la majorité des cas, l’expérience est individuelle en elle-même. Il y a cependant aussi la possibilité d’être plusieurs à la fois sur le même marqueur ; dépendamment de l’appareil

utilisé233, le visiteur n’est pas nécessairement isolé des autres. Aujourd’hui, on constate un développement vers la téléprésence- en temps réel avec d’autres utilisateurs234.

1.6.3 – Bilan de la reconstitution mixte : le partenariat entre le matériel et le virtuel

La reconstitution mixte est la dernière collaboration entre le matériel et le virtuel de notre revue. La matérialité est muette, à un point tel qu’il lui faut un ajout pour être compréhensible. La reconstitution est alors fondée sur l’interdépendance des deux composantes.

Pour l’espace, il y a dans les deux cas une simultanéité. Le premier, la matérialité optimisée, maintient le virtuel et le matériel ensemble. Ils cohabitent réellement dans l’espace. À l’opposé, la réalité augmentée sépare les deux composantes. Il faut donc que le visiteur soit muni d’un appareil pour retrouver cette simultanéité.

Les objets muséaux reprennent un certain statut, car la plus-value virtuelle remet l’objet en contextualisation (ou reconstitue). Rien n’empêche toutefois le dispositif d’utiliser des reproductions : le dialogue se fera tout autant. Lorsque nous parlons véritablement de reconstitution, les objets muséaux sont assimilés à l’ensemble et perdent leur individualité. Le message à diffuser s’appuie dans les deux cas sur le dialogue des deux composantes apparaissant simultanément. C’est la superposition qui soutient le discours. Si la partie virtuelle se retire, la matérialité redevient muette.

Comme expérience de visite, les deux dispositifs apportent une vision tangible du sujet exposé. La matérialité optimisée offre une représentation animée. Si l’on présente un

233 Au cours de la dernière année doctorale, plusieurs événements sont venus populariser l’utilisation de la

réalité augmentée. On pense tout de suite à l’application de Niantic (Nintendo), Pokémon Go, lancée en juillet 2016, mais l’annonce d’Apple au moment de notre soutenance a créé une marque dans l’histoire en rendant la réalité augmentée accessible au grand public grâce au système d’exploitation mobile iOS 11 installé sur les tablettes numériques et téléphones intelligents de plusieurs millions d’utilisateurs. (Europe 1,

Avec iOS 11, Apple se prépare à démocratiser la réalité augmentée, 29 août 2017.

http://www.europe1.fr/technologies/avec-ios-11-apple-se-prepare-a-democratiser-la-realite-augmentee- 3421595, consulté le 15 octobre 2017.) Nous pouvons déjà prévoir qu’il s’agit là que le début de ce type de dispositif qui pourrait facilement être récupéré par les musées.

234 Pour en savoir davantage sur le sujet, il est possible de suivre les travaux de Luc Courchesne. Consulté le

personnage, la reconstitution peut alors se trouver dans la déclinaison de l’interprétation du living history. Le visiteur, quant à lui, se situe à l’extérieur du dispositif et il est stationnaire. Son interactivité varie selon le degré de sélection qui lui est permis. La réalité augmentée, de son côté, exige un plus grand engagement de la part du visiteur. Il sélectionne ce qu’il désire voir, manipule l’appareil pour mieux considérer la reconstitution. Il est donc plus mobile et, de là, il peut développer une certaine fatigue corporelle. L’interface non conviviale peut entraîner chez lui son lot de frustrations, ce qui peut entacher son expérience de visite.