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1.1 – LA RECONSTITUTION SPATIALISEE PAR L’IMAGE FIXE

LA REVUE TYPOLOGIQUE DES DISPOSITIFS DE RECONSTITUTION SPATIALISÉE

1.1 – LA RECONSTITUTION SPATIALISEE PAR L’IMAGE FIXE

La reconstitution spatialisée n’a pas commencé avec des éléments en 3D, mais bien avec le gigantisme de la peinture. Grâce aux sciences optiques, la manipulation de l’image a permis de créer une troisième dimension illusoire. En symbiose avec le pouvoir évocateur que peut avoir la peinture, la démesure a rendu l’image immersive et a repoussé les limites de l’espace.

1.1.1 - Le panorama (aujourd’hui appelé « cyclorama »)

On définit le panorama comme un « dispositif d’exposition spécifique présentant, au moyen d’un très grand tableau disposé de manière circulaire, une représentation d’un paysage ou d’un événement historique […] offrant au visiteur, introduit au centre du dispositif, une sensation d’immersion dans l’action ou le paysage évoqué81 ». Il a été inventé à Londres

par Robert Baker (1739-1806), mais c’est le peintre français Pierre Prévost (1764-1823) qui en a vraiment maîtrisé la technique picturale, suivi par le Colonel Charles Langlois (1789- 1870), qui a perfectionné le faux terrain et les effets de réalisme.

Pour arriver à une telle illusion d’espace, le dispositif doit respecter certaines règles. Il loge d’abord dans l’architecture d’une rotonde ayant un toit en forme de cône avec une fenestration permettant un éclairage intérieur zénithal. La toile est immense, pouvant faire de 12 à 16 m de hauteur par 110 à 115 m de circonférence, pour créer un cercle de 32 à 36 m de diamètre82. Elle est accrochée à un cadre circulaire en bois dans sa partie supérieure : elle est maintenue par des anneaux de fer entre lesquels passe une barre de fer circulaire. Afin de maintenir la toile constamment tendue, on suspend des poids à chacun des anneaux83 de la partie inférieure. Le visiteur se déplace sous le dispositif et gravit un escalier jusqu’au centre d’une plate-forme circulaire pouvant contenir jusqu’à 150

81 DESVALLÉES, André et François MAIRESSE, dir., Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Armand Collin,

Paris, 2011, p. 642.

82 Les grandeurs des panoramas varient beaucoup, avant la standardisation, pour des fins commerciales vers

la fin du XIXe siècle. On en trouve plusieurs exemples dans COMMENT, Bernard, The Panorama, Ch4 – Variations: From the Diorama to the « moving panorama », Reaktion Books, London, 1999, 272 p. et Olivier

Grau, Virtual Art, From Illusion to Immersion, The MIT Press, Cambridge, Massachusetts, 2003, 416 p.

83 BAPST, Germain, Essai sur l’histoire des panoramas et des dioramas, Paris, Imprimerie Nationale, 1891, p.

personnes84. Ainsi, il ne voit la toile que lorsqu’il se trouve sur la plateforme. Sa position centrale et sa distance par rapport à la toile ne variant pas, il n’y a aucun effet de distorsion de la perspective.

Pour augmenter l’illusion d’espace, le panorama respecte deux principes optiques : la perte du cadrage et la distance entre l’œil du visiteur et la toile. En premier lieu, le panorama ne pourrait fonctionner sans la perte du cadrage. Pour ce faire, on installe au-dessus de la plate-forme centrale une toile tendue, créant un parajour. Celui-ci empêche le visiteur de voir le plafond de la rotonde (l’armature et la fenestration), et il est assez allongé pour cacher en même temps la limite supérieure du cadre de la toile. Il en va de même de la partie inférieure, où le faux-terrain va de la plateforme centrale jusqu’à la toile sans y toucher, cachant son extrémité. Ce fauxterrain va évoluer de la simple toile tendue jusqu’à la mise en scène d’éléments en 3D aidant ainsi à accentuer le prolongement de la perspective de la toile. Le visiteur est alors immergé dans une illusion picturale qu’il croit réelle.

En deuxième lieu, la distance entre le visiteur et la toile joue un rôle capital. En effet, la vision stéréoscopique humaine85 peut distinguer des objets en trois dimensions grâce à la convergence binoculaire jusqu’à 10 m86. Au-delà, le cerveau doit s’accommoder, en

comparant les éléments entre eux pour créer une profondeur de champ. De plus, le visiteur se tient dans une semiobscurité-, et la « lumière, en tombant verticalement entre les spectateurs et le tableau, crée l’illusion de perspective aérienne et donne la sensation d’éloignement et d’espace87 ». Cet effet ne dure qu’un temps, car l’immobilité de la toile

fait réaliser à l’observateur qu’il ne s’agit que d’une image.

84 POTONNIÉE, Georges, Daguerre, peintre et décorateur, Publications photographiques et

cinématographiques, Paul Montel, Paris, 1935, p. 42.

85 Pour en connaître davantage sur la vision stéréoscopique, (consulté le 4 septembre 2015) :

http://www.choixnumerique.com/tout-comprendre-sur-les-technologies-3d

86 La vision stéréoscopique, principes et applications, (consulté le 17 novembre 2016) :

http://users.polytech.unice.fr/~buffa/cours/java/internetEssi96_97/PROJETS/cierniak/article.html.

Les plus petits panoramas sous rotonde font 10 m de rayon, mais la majorité aura 12-14 m de rayon. Ces données proviennent principalement des livres d’Oliver GRAU, Germain BAPST et Bernard COMMENT, (voir bibliographie).

Il est difficile de parler « d’objet muséal » comme tel dans ce dispositif. Le seul exemple que nous possédons est l’achat de la dunette du vaisseau Scipion par le Colonel Langlois, où nous pouvons clairement parler d’une authenticité de l’objet en 3D88. Les faux-terrains

ont pour mission de donner des repères visuels en 3D, mais le statut des objets comme tels fait en sorte qu’ils n’ont pas à être des témoins matériels de l’événement. Il en va de même pour l’instauration d’un parcours narratif sous la plateforme avant d’arriver à la toile. Bernard Comment et Olivier Grau parlent de « dioramas peints »89, mais rien ne montre qu’il y avait des vitrines d’objets dans ce parcours, ce qui n’en exclut cependant pas la possibilité.

Au niveau de la peinture panoramique, Prévost avait le souci du réalisme. Il faisait des voyages au cours desquels il dessinait des croquis sur place à partir d’un point élevé de la ville. Les panoramas à vue unique montrent un souci de documentation. Toutefois, le débat sur l’authenticité s’amorce lorsqu’on parle de scènes de batailles ou de scènes religieuses. Les éléments géographiques servant à identifier les lieux peuvent être véridiques, mais la disposition des personnages peut être interprétée comme satisfaisant simplement par l’harmonie de la composition du tableau. Lorsque le panorama devient réellement un outil de propagande, nous pouvons penser que le propos national prend le pas sur l’authenticité des faits.

Les Beaux-arts vont rejeter avec sévérité le panorama lorsqu’il se transformera en produit commercial, surtout au moment où les commerçants achètent les droits artistiques du maîtrepeintre-, afin de garder l’exclusivité du sujet90. Pourtant, au temps de Baker et de Prévost, l’Académie des Beaux-arts a encensé le panorama, car il imite à merveille la

88 Le premier panorama du Colonel représente une bataille navale dans laquelle il s’est illustré. Il achète la

dunette, partie supérieure arrière du bateau, pour l’aménager en plateforme. Le reste du bateau continue sur le faux-terrain pour entrer dans la toile. L’eau est également simulée. Tout au long de la montée de l’escalier, Langlois aménage l’intérieur des étages du bateau. Ainsi, le visiteur passe de la salle des canons présentés en diorama, puis il arrive dans la salle du commandant, où tout est aménagé avec des objets physiques : cartes, compas, table, etc. Ensuite, le visiteur poursuit dans la chambre du commandant, pour finalement arriver sur la dunette, où le bateau se retrouve au cœur d’une bataille navale en cours (BAPST,

op. cit. p. 24).

89 GRAU, Olivier Grau, Virtual Art, From Illusion to Immersion, The MIT Press, Cambridge, Massachusetts,

2003, p. 163 et COMMENT, Bernard, The Panorama, Reaktion Books, London, 1999, p. 124-125.

nature. Sir Joshua Reynolds, président de l’Académie Royale, expliquera à Baker, lors de son premier panorama : « […] the present exhibition proves it to be capable of producing effects and representing nature in a manner far superior to the limit scale of picture in general91».

À Paris, le professeur d’art et l’artiste Jacques Louis David visitera un panorama de Prévost avec ses étudiants et soulignera à quel point le dispositif représente bien la vraie nature92. Pourtant, même si on reconnaît toujours la qualité picturale et son exécution, le caractère illusoire de la mise en scène de plus en plus élaborée dérange avec le temps.

Olivier Grau divise les panoramas en deux catégories : les paysages urbains (cityscapes) et les scènes historiques comprenant le militaire et le religieux93. Pour les villes, le choix

s’arrêtait souvent sur le caractère exotique. Plus la ville était éloignée, plus elle attirait les foules. Ce spectacle de divertissement, accessible à tous à cause de la variation de ses prix94, était une entreprise lucrative. Elle permettait aux citadins de voyager sans connaître les désavantages du voyage95 : le souci du détail et la représentation de ces monuments célèbres en faisaient apprécier l’observation. C’était le début du tourisme pratiqué à distance.

Dans la deuxième catégorie, celle des scènes historiques, on proposait plutôt un voyage dans le temps. Les sujets à caractères religieux venaient toucher les racines iconographiques des églises chrétiennes romaines. Grau comprend les scènes de batailles qui pouvaient ressembler à des chroniques de guerre comme un outil pour exhalter la montée de l’impérialisme96.

91 WITHEY, William T., 1968, Artists and their friends in England 1700-1799, vol. 2, New York, Benjamin Blom,

p. 106, cité dans le livre de GRAU, op. cit., p. 57.

92 « Si vous voulez voir la vraie nature, courez aux panoramas ! », GRAU, op. cit., p. 63. 93 GRAU, op. cit., p. 69.

94 Le prix variait d’après les jours et aussi selon la nouveauté. Il devenait moins cher après quelques

semaines, ibid., p. 71.

95 Ibid., p. 69. 96 Idem.

Du côté de la perception sensorielle, le premier but du panorama consiste à immerger le visiteur dans un espace créé par une image d’une telle grandeur qu’elle le transporte sans repère dans une confusion avec la réalité. Cependant, l’expérience immersive ne durait que quelques instants. Le Colonel Langlois poussera l’expérience à devenir multi-sensorielle en faisant intervenir l’ouïe, l’odorat et même le toucher (sensation du vent sur la peau). La plate-forme va parfois tanguer pour créer un effet de déséquilibre, afin d’augmenter l’illusion de la navigation. Elle deviendra plus tard rotative, afin de suivre la composition narrative de la toile. Transporté par une stimulation constante des sens, le visiteur doit continuellement analyser de nouvelles composantes, retardant ainsi la fin de l’effet immersif. Et on constate un engouement qu’on ne peut nier de la part du public. Malgré la critique des milieux des Beaux-arts sur le caractère illusionniste, c’est précisément cet effet que les spectateurs recherchent.

1.1.2 - Le diorama de Daguerre

Le panorama a connu un féroce concurrent : le diorama. D’ailleurs, il sera aisé de voir comment l’un va influencer l’autre97. Le diorama comprenait à la fois le bâtiment ayant une

architecture particulière, le spectacle et le dispositif. On attribue souvent l’étymologie du diorama à dio- (à travers) et -orama (la vue), mais on l’accorde en même temps à di- (deux) et -orama (la vue)98, et ces deux vues se démarqueraient de la vue unique du panorama.

Le diorama est donc une « composition plastique consistant en l’évocation d’un paysage ou d’une scène exprimant un fait historique, à partir d’un décor en trompe-l’œil disposé en vue frontale et de grandes dimensions, et parfois complété d’accessoires en trois dimensions, le diorama est […] couplé avec des jeux de lumière donnant, par la variation d’éclairage d’une succession de tableaux, l’illusion de mouvement99 ». Il a été inventé par Louis

Joseph Mandé Daguerre (1787-1851) et Charles-Marie Bouton (1751-1853) à Paris. Le premier spectacle sera inauguré en 1822100. Au départ, la toile n’était peinte que d’un côté ;

97 COMMENT, Bernard, op. cit., p. 57.

98 GERNSHEIM, Helmut et GERNSHEIM, Alison, L.J.M. Daguerre, The History of the Diorama and the Daguerrotype, New York, Dover Publications Inc., 1968, p. 20.

99 DESVALLÉES, André et François MAIRESSE, op. cit., p. 588. 100 POTONNIÉE, op.cit., p. 53.

ce n’est qu’en 1831 que Daguerre la peindra des deux côtés pour perfectionner la narration101.

Le diorama est avant tout une peinture exécutée sur une fine toile de lin, presque transparente. Elle mesure 14 m de haut par 22 m de long102, ce qui représente près du quart d’un panorama, et elle est tendue droite ou légèrement courbée. Elle est éclairée par réflexion (en avant) ou par réfraction (par derrière) par l’entremise d’un mécanisme de miroirs et de filtres de couleurs.

Ces transparents mus par des cordes et des contre-poids, en se plaçant ou se retirant, varient les tons généraux et les tons locaux et produisent tantôt sur quelques points, tantôt sur le tableau entier, tous les effets de lumière, depuis le brouillard le plus intense jusqu’au soleil le plus éclatant. Le clair de lune même est rendu avec une vérité qui surpasse tout ce qu’on peut imaginer. 103

Devant la peinture se trouve un tunnel, légèrement en entonnoir, qui contrôle la vue du spectateur en le cadrant. Les dimensions de ce cadre sont de 4 m de hauteur par 7 m de longueur : il est trois fois plus petit que la toile. Le public prend place au bout de ce tunnel, ce qui crée une distance de 7 m avec la toile. Les visiteurs peuvent être assis ou debout, et circuler librement sur une plate-forme circulaire. Par conséquent, même avec une vue en diagonale dans le tunnel, le spectateur ne perçoit pas la fin de la toile, ayant la véritable illusion de regarder par une fenêtre un nouveau monde infini104. La plate-forme circulaire, où se situe le public, tourne à l’aide d’un « fort pivot reposant sur une crapaudine et sa circonférence, portée par des pieds droits armés de galets, roule sur un plan circulaire

101 L’âge d’or du diorama de Daguerre se déroule vraiment de 1822 à 1830. Après la mort de Pierre Prévost,

en 1823, les panoramistes n’étaient pas à la hauteur du talent du maître, laissant ainsi toute la place au diorama. Toutefois, 1830 coïncide avec l’arrivée du Colonel Langlois, dont on peut penser qu’il s’est inspiré du diorama avec ses éléments en 3D pour améliorer le faux-terrain du panorama et le sens de la dramaturgie du diorama dans sa mise en scène. Bouton était alors à Londres depuis quelques années pour instaurer le diorama en Angleterre. Par conséquent, Daguerre est seul devant le nouveau spectacle de Langlois à Paris. En 1831, il va innover ses dioramas en les peignant des deux côtés de la toile pour créer un double effet, afin d’accentuer la narration. Un de ces plus grands succès sera la Messe de Minuit à Saint-

Étienne-du-Mont, où l’on voit l’intérieur de l’église vide en plein jour, et s’ensuit la nuit qui tombe. Alors, des

cierges s’allument, et on voit apparaître un à un les gens assis pour assister à la messe. Le spectacle finit avec une église remplie à craquer. Pour créer l’illusion, l’intérieur de l’église était peint d’un côté de la toile, et les personnages de l’autre côté. Cet effet d’apparition a augmenté le réalisme spatial et le succès du diorama se renouvellera. BAPST, op. cit., p. 20.

102 BAPST, op. cit., p. 20. 103 POTONNIÉE, op. cit, p. 46. 104 BAPST, op. cit., p. 20.

incliné vers le centre. Un mécanisme fort simple permettant à un homme seul de faire mouvoir cette rotonde qui tourne ainsi toute entière sur elle-même105 ». La plate-forme, faisant 12 m de diamètre, peut contenir 350 personnes106.

Pour ce qui a trait à l’objet matériel, le diorama de Daguerre ne veut pas témoigner du passé. Il se situe davantage dans la logique de raconter l’histoire d’un espace connu. Daguerre est véritablement le premier à mettre des objets en 3D devant la toile. Il y va de simples éléments de décor comme des outils, des barils, etc., jusqu’à des éléments plus élaborés, par exemple, une vraie cascade d’eau et même une chèvre vivante107. La fonction

de ces éléments est d’amplifier le réalisme de la toile et d’aider également à la perspective de l’espace reconstitué. On veut tendre vers une parfaite imitation de la nature. Les objets et la toile n’ont alors aucune valeur intrinsèque, ils ne servent qu’à la vue.

Le spectacle de lumières offre deux vues : chaque tableau dure environ 15 minutes108. Rien

n’indique que les sujets exposés de Daguerre avaient un discours politisé109. Ce sont des

paysages urbains (rues, cathédrales, temples, etc.) et ruraux (champs, montagnes, villages au loin, etc.). Il n’y a pas de narration vocale, mais il y a quand même un récit simple créé par les jeux de lumières qui illustre le passage du temps : le jour et la nuit, l’orage qui s’en vient. Il n’est pas spécifié dans la littérature s’il y avait une quelconque musique d’ambiance.

Toutefois, on constate un changement vers une progression plus complexe de la narration à partir de 1831, avec des dioramas à double effet comme la Messe de Minuit nous le montre ou encore l’Éboulement de la vallée de Goldau110, mais encore ici, la narration est liée au

facteur du temps qui passe.

105 POTONNIÉE, op. cit, p. 46. 106 Idem.

107 LE GALL, Guillaume, « Rémanences du diorama chez Dominique Gonzalex-Foerster », Espace, Art actuel, pratiques et perspectives, Diorama, vol. 109, hiver 2015, p. 21.

108 GERNSHEIM et al., op.cit., p. 18.

109 Voir l’inventaire des tableaux de Daguerre réalisé par Gernsheim, op. cit., annexe, p. 79-89.

110 Il s’agit du tableau Éboulement de la Vallée de Goldau, en Suisse, le 2 septembre 1806, qui a été exposé du

20 septembre 1835 au 8 mars 1839. Le diorama montre le village paisible au fond de la vallée par une nuit jouissant d’une pleine lune. Au matin, le visiteur voit le village enseveli où ne paraissent que le clocher et quelques toits de maisons. POTONNIÉE, op. cit., p. 86.

L’expérience de visite du diorama est chaudement accueillie par le public. Rapidement les journaux de la région font l’éloge de son pouvoir narratif supérieur à toutes les peintures, incomparable à cause de « l’idée que l’émotion serait du côté de l’illusion, du transport, du spectateur devant une image qui stimule les sens111 ».

Le diorama n’immerge pas son visiteur physiquement, puisque celui-ci demeure à l’extérieur et observe par une fenêtre un monde qui ne semble pas avoir de limite. Ce monde paraît vivant, puisqu’on y voit bouger des éléments de la nature. Par le jeu de lumière, on s’émerveille de voir la brume se dissiper, un nuage qui semble avancer dans le ciel, l’eau qui miroite, le changement de couleur du crépuscule, de l’orage qui menace et qui se réfléchit dans l’eau, de la tombée de la nuit ou de la lune qui brille d’une grande intensité112. Le critique Louis Vitet affirme, dans Le Corsaire (Paris) du 25 septembre

1824, que « Le spectacle dioramique a pour but d’exciter en vous un tout autre ordre d’émotions que si on vous promenait dans un musée. Au lieu de cela, le diorama déclenche chez le spectateur l’envie d’aller marcher dans les rues et sur les voûtes, de se baigner dans l’eau, de gravir ses rochers113. » Aussi, selon Vitet, le principe du diorama veut que

l’imagination accompagne l’œil dans les tableaux114. Et pour le critique Janin, le diorama

va au-delà de la peinture, car il fournit la possibilité d’« entrer » à l’intérieur des tableaux, au lieu de convier à ne voir que leur surface : le visiteur reste dans une position passive et contemplative.

1.1.3 Bilan de la reconstitution spatialisée par l’image fixe

Ainsi la reconstitution par image fixe utilise le gigantisme des tableaux pour créer un rapport 11 avec le visiteur. L’espace est utilisé pour aménager de la distance entre le visiteur et la toile, afin d’accentuer l’illusion d’un espace plus grand que ce qu’il n’est réellement. Dans les deux cas, ces éléments délimitent la vision du spectateur, afin de lui faire perdre ses repères. Quant aux objets, leur présence n’épouse pas une logique muséale ou patrimoniale. Leur statut en luimême n’a aucune importance : il sert uniquement à