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1.5 – LA PROJECTION : LA RECONSTITUTION SPATIALISEE PAR L’IMAGE ANIMEE EN 2D

LA REVUE TYPOLOGIQUE DES DISPOSITIFS DE RECONSTITUTION SPATIALISÉE

1.5 – LA PROJECTION : LA RECONSTITUTION SPATIALISEE PAR L’IMAGE ANIMEE EN 2D

Les images en mouvement sont arrivées dans les musées comme des outils pédagogiques efficaces. « Par la faculté qu’apporte l’image de réaliser une synthèse rapide, visuelle, concrète de ce qu’il faut savoir pour comprendre une œuvre d’art et surtout pour ressentir son influx émotionnel, les techniques cinématographiques permettent d’apporter au

visiteur-spectateur une foule d’informations, de repères qui l’engagent dans un dialogue direct avec l’œuvre 210. »

Il y a eu une évolution de l’intégration de l’écran dans l’institution muséale. Le dispositif a d’abord été jumelé au musée comme l’a été le planétarium. Il a ensuite poursuivi sa conquête spatiale, pour s’insérer à l’intérieur de l’exposition, où des espaces lui étaient assignés. Aujourd’hui, l’écran côtoie plus aisément l’objet, mais sa juxtaposition engendre aussi des conflits.

Dans la présente revue de la documentation, nous nous sommes concentrée sur les écrans qui recréent des lieux par la projection d’images en mouvement. Nous avons rejeté les petits écrans, qui jouent plutôt le rôle de cartels de luxe illustrées et animées. Nous commençons donc par le plus grand des écrans : le dôme du planétarium, pour nous diriger, dans un deuxième temps, vers le grand écran de l’exposition.

1.5.1 - Le planétarium (le dôme)

Le planétarium désigne à la fois l’architecture spécifique du bâtiment, l’institution muséale et un dispositif dont la principale « caractéristique est le dôme qui permet, par projection, de représenter la voûte étoilée211 » et montre le mouvement des planètes et des étoiles.

On voit apparaître le terme, en 1397, dans un document intitulé The planetarium of Giovanni de Dondo212. Le planétarium a été formé, pendant longtemps, par tout mécanisme qui reproduisait les mouvements célestes. Il faudra attendre le début du XXe siècle pour associer le dôme au planétarium.

Les planétariums d’aujourd’hui sont formés d’une salle circulaire chapeautée d’un écran en forme de dôme. Au centre de la pièce se trouve un multi-projecteur. Les visiteurs sont assis au pourtour du cercle sur des sièges inclinables. Généralement, ils basculent vers l’arrière,

210 ICOM, Musée, film, télévision, Conseil International des Musées, Paris, 1972, p. 17. 211 DESVALLÉES, André et François MAIRESSE, op. cit., p. 647.

212 GRIFFITHS, Alison, « Ch.4 ‘A Moving Picture of the Heavens’, immersion in the planetarium space show », Shivers Down Your Spine, Cinema, Museums & the Immersive View, Columbia University Press, New York,

pour appuyer leur tête et leurs épaules, afin de rendre le visionnement du spectacle plus ergonomique213.

Il n’y a pas d’objet matériel dans le spectacle de projection, toutefois, tous les planétariums réservent un espace annexe à une exposition de pièces de collection : équipements spatiaux, météorites, échantillons récoltés dans l’espace, etc. Les objets sont souvent petits et difficiles à comprendre. Le spectacle aide alors à recontextualiser les notions scientifiques apprises dans l’exposition ainsi qu’à l’extérieur de l’institution. Bien que toujours fondés sur l’astronomie, les spectacles des planétariums ont souvent flirté avec la culture populaire, afin d’ajouter un divertissement à leurs présentations. La trame de fond, quant à elle, reste toujours dépendante des connaissances scientifiques de l’époque.

La question de l’objet dans un planétarium ne se pose pas. La voûte céleste n’étant pas collectionnable, le dispositif devient un diffuseur scientifique recourant à la simulation. Bien que des activités d’observation d’étoiles ou de phénomènes célestes peuvent être planifiées à l’extérieur de l’institution, il n’est demeure pas moins que la projection n’est qu’une simple vue comme l’était le panorama et le diorama de Daguerre.

Les premiers spectacles étaient scientifiques, utilisant un guide-animateur manipulant le projecteur au rythme de son récit. Si dans les années 1920, on ne voyait que la voûte céleste à différents endroits sur terre, les années 1930 verront apparaître des spectacles de voyages dans le temps, afin de montrer des ciels du passé, du présent et de l’avenir sur un fond musical comme accompagnement214.

Influencée par la télévision et par les films de science-fiction, on voit naître, dans les années 1950, la dramaturgie dans le spectacle. Un récit organisé s’installe : un décollage de la terre pour se diriger vers la lune avec plusieurs rebondissements au cours du voyage215. Avec la course à l’espace des Américains et l’abondance des fonds investis, on considère le planétarium comme un bon outil d’éducation ludique. Cette fiction atteint son apogée avec

213 LANTZ, Ed., « Planetarium of the Future », Curator, The Museum Journal, vol. 54, no 3, July 2011, p. 296. 214 GRIFFITHS, op. cit., p. 146.

l’alunissage de la navette Apollo 11, en 1969. Sur fond du film de Stanley Kubrick 2001 : Space Odyssey (1968), le Hayden Planetarium embauchera dix hôtesses de l’air revêtues du même costume que celui qu’on voit dans le film. Et après le décollage, les hôtesses servent, sur des plateaux futuristes, des rafraîchissements et de la nourriture spatiale, sous la trame musicale du film216.

Afin de rehausser l’expérience, des effets visuels vont apparaître dans les années 1970. Le Hayden Planetarium embauche des techniciens et des concepteurs de spectacles pour renouveler l’offre des films, dont les thématiques reviennent toujours au même. Laissant plus de place à l’art visuel, les spectacles ont commencé à se revêtir de titres accrocheurs : Space drama, Challenge of sky, Weathers Wonders217, etc.

Le programme d’exploration de la NASA et la venue de la comète Haley stimuleront à nouveau l’intérêt du grand public envers l’espace dans les années 1980. Ainsi, le planétarium utilise son bagage scientifique et sa dramaturgie, afin de rendre plus concrète la complexité de l’astronomie. Encore aujourd’hui, l’état des connaissances est ficelé dans une narration linéaire qui rend digestes les notions. Le visuel est pour une grande part du spectacle.

En 1928, le conservateur d’American Museum of Natural History (AMNH), Clyde Fisher, s’est rendu à Jena (Allemagne), afin de vivre l’expérience de Zeiss, premier projecteur sous dôme. Il a été ébahi par l’illusion que créait l’appareil. Cette représentation du ciel artificiel lui semblait très réelle218.

En installant le visiteur sous le dôme, celui-ci réfère immédiatement à la voûte céleste qu’il connaît. Sachant qu’il quitte la terre pour mieux voyager dans l’espace, l’immensité de l’écran aide le visiteur à s’immerger dans le récit. Le contenu frôle l’extraordinaire, le plus grand que soi. Toutefois, on parle réellement de « spectacle », car la projection est linéaire. Le visiteur reste passif. Un guide animateur de foule peut interagir avec le public.

216 Ibid., p. 146. 217 Ibid., p. 140. 218 Ibid., p. 122.

Cependant, la grosseur et la complexité du dispositif ne permettent pas aux visiteurs d’intervenir. Alors, pour le sortir de sa torpeur et de sa passivité, on utilise la dramaturgie, avec plus ou moins d’artifices.

La dramaturgie est nécessaire, car le contenu ne varie pas tellement ; c’est plutôt un processus de compilation des connaissances qui se produit. Ainsi, pour renouveler l’expérience de visite, les thématiques populaires du jour (l’exploration de Mars, les sondes exploratrices, etc.) sont exploitées pour conserver l’intérêt du public.

1.5.2 – L’écran : l’espace juxtaposé

L’écran a pris une importance capitale dans l’exposition. Il a pour but de faire de l’exposition un lieu dynamique et accessible pour tous. En effet, « les musées conservent les témoignages qui forment la matière même de l’histoire. Il leur est bien difficile toutefois de créer cette illusion d’une histoire vivante que l’écran procure au spectateur de façon si persuasive219 ».

L’écran se définit comme une « surface sur laquelle se reproduit l’image d’un objet220 ». Il

peut s’agir autant de l’écran de télévision ou d’ordinateur que de la toile qui reçoit la projection de diapositives, de vidéos ou de mondes virtuels en 3D. Leurs rôles dans l’exposition sont variables. Dans cette revue, nous nous concentrons uniquement sur les écrans qui évoquent un lieu spatial, celui-ci supporte la reconstitution. Dans l’expographie, les écrans sont généralement grands et en position verticale. Ils sont rectangulaires et droits, mais ils peuvent être recourbés pour devenir plus immersifs. Nous excluons donc les petits écrans posés près des objets qui diffusent de l’information visuelle. Même si le documentaire présente une reconstitution, celleci- n’est pas une stratégie muséale spatialisée.

L’écran pour la reconstitution spatialisée tend vers l’immersion visuelle du visiteur, mais dans cette catégorie, il n’est pas interactif. Il est accompagné d’une sonorisation stéréo ou en 3D (dit « surround ») contribuant à l’ambiance et à la spatialisation221. Un appareil

219 ICOM, op. cit., p. 16.

220 REY-DEBOVE, Josette et Alain REY, op. cit., p. 817.

diffusant une odeur particulière peut être présent pour renforcer le propos, si elle est bien choisie222.

L’organisation de l’espace est diversifiée. Le dispositif peut être isolé et offrir une expérience cinématographique. Il crée alors une expérience intimiste chez le visiteur. Il peut également servir d’arrière-plan plus vivant pour évoquer une contextualisation pour les objets présentés d’une manière plus conventionnelle en avant-plan. Il y a là une juxtaposition avec la matérialité.

Cette cohabitation rapprochée avec l’objet muséal peut entraîner une problématique avec l’expographie. « […] Les nouvelles technologies sont confrontées à une muséologie qui place l’objet de collection au centre de ses préoccupations et pose celui-ci comme moyen principal de la mise en exposition […]223 » L’écran est alors relayé au niveau de la

subordination de l’objet, il a pour but de le magnifier et de le contextualiser224. L’objet ne

perd pas son individualité comme les autres dispositifs que nous avons examinés antérieurement le faisaient.

Lorsque l’écran se trouve dans cette situation, le discours ne s’appuie que sur les objets exposés. L’image animée projetée ne fait qu’enrichir le propos, comme un décor de théâtre soutient la mise en scène et le jeu des acteurs. Toutefois, si l’écran est seul, il consolide entièrement le discours comme le ferait un film. Le récit est linéaire dans les deux cas, puisqu’il ne propose pas d’interactivité aux visiteurs.

L’intégration de l’écran à l’exposition est acceptée par les visiteurs. « Visitor involvement is a must in an age of continual bombardment by sound and light from television, films and theater225. » L’image en mouvement, par sa faculté d’évocation et d’illustration, permet de restituer une âme aux objets226. Les gens moins nantis de connaissances peuvent avoir accès à une infinité de richesses, et la nature de l’écran leur offre une meilleure proximité.

222 GARDNER, George S., « The Shape of Things to Come », Curator, vol. 22, no 1, 1979, p. 15. 223 COURCHESNE, op. cit., p. 63.

224 Idem.

225 GARDNER, op. cit., p. 6. 226 ICOM, op. cit., p. 16.

L’intégration de l’écran à l’exposition la métamorphose en une machine à exposer, « une machine ayant le pouvoir de transformer profondément toute la nature de l’objet [ainsi] que son contexte et la perception que le visiteur a de lui-même227 ».

1.5.3 – Bilan de la reconstitution spatialisée par l’image animée en 2D

La reconstitution spatialisée en 2D par l’image en mouvement recoupe la première catégorie de dispositif du 2D fixe, le panorama et le diorama de Daguerre. Même si on demeure dans le grand dispositif, la distance n’est plus un critère de la création d’espaces. L’illusion s’établit sur l’animation de l’image.

Le planétarium en lui-même garde sa forme spatiale : le dôme et les visiteurs en dessous, et ce, malgré l’évolution technologique du multi-projecteur. Du côté de l’écran, son intrusion dans l’espace expographique entraîne des bouleversements autant spatiaux que philosophiques. La quantité d’appareils de projection construit une multitude d’organisations spatiales. Selon la technologie utilisée, l’écran peut se trouver isolé dans un coin aménagé, mais il peut également se rapprocher de l’objet comme décor. Les deux cas présentent une juxtaposition dans l’espace. Le premier est une juxtaposition de zone dans l’institution muséale, car le dispositif se situe à l’extérieur, mais non loin de l’exposition. Dans le deuxième cas, le côtoiement se fait à l’intérieur même de l’espace expographique, soit d’une manière isolée, soit qu’il accompagne les objets de façon plus assujettie.

Les deux dispositifs n’utilisent pas d’objets muséaux comme tels pour exister. Toutefois, le contenu diffusé se trouve en relation directe avec eux et le savoir scientifique. La présence de l’écran près de l’objet le confine à la subordination. L’expographe considère alors l’objet comme plus important que l’écran dans l’espace.

Le récit repose alors soit sur la projection, soit sur la matérialité. Le planétarium propose un récit très linéaire, et la dramaturgie fait rapidement son entrée pour dynamiser et maintenir l’attention du visiteur. Du côté de l’écran, le récit est également linéaire comme au cinéma.

Le récit est également en relation avec l’expérience de visite. Le planétarium, par sa linéarité, met le visiteur dans une posture passive. Les sensations sont créées par le récit, mais aussi par l’immersion. Perdu dans un écran englobant, le visiteur perd ses repères. Il peut ainsi se laisser transporter dans le spectacle. L’écran, quant à lui, peut être immersif, s’il est suffisamment grand. Plus il se rapproche de l’objet, plus il joue le rôle de décor et d’ambiance. Il constitue ainsi une plus-value pour l’exposition, car il y ajoute de la vie, il la dynamise et la personnifie.

1.6 - LA RECONSTITUTION MIXTE : LE PARTENARIAT ENTRE LE